Divorce pour faute prononcé pour refus de relations intimes sanctionné par la CEDH
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Laurence Mayer, avocat au barreau de Paris [1]
Février 2025
La Cour Européenne des Droits de l'Homme a sanctionné la France qui avait prononcé le divorce aux torts de l'épouse pour refus de relations intimes: il y ingérence des juges français dans la vie privée de l'épouse et de sa liberté individuelle
L’arrêt rendu le 23 janvier 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire H.W. c/ France (Requête n° 13805/21) fait référence à la notion de « devoir conjugal » du droit français, dans un contexte de divorce pour faute.
En l'espèce, la CEDH a jugé que le divorce prononcé aux torts exclusifs de la requérante, fondé sur son absence de relations sexuelles avec son époux, constituait une violation de son droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La notion de « devoir conjugal » en question
Dans cette affaire, la requérante a assigné son époux en divorce pour faute, reprochant à ce dernier d’avoir privilégié sa carrière professionnelle au détriment de leur vie familiale et de s’être montré irascible, violent et blessant.
De son côté, l’époux a formé une demande reconventionnelle, sollicitant que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de la requérante l’accusant de s’être soustraite à son devoir conjugal pendant plusieurs années et d’avoir manqué au devoir de respect mutuel en formulant à son encontre des accusations calomnieuses.
À titre subsidiaire, il demandait que le divorce soit prononcé pour altération définitive du lien conjugal.
Le 13 juillet 2018, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Versailles a estimé que les griefs invoqués par les époux n’étaient pas suffisamment prouvés pour prononcer un divorce pour faute.
Il a toutefois considéré que les problèmes de santé de la requérante pouvaient expliquer l’absence durable de relations intimes au sein du couple.
Constatant que la communauté de vie des époux avait cessé depuis plus de deux ans à la date de l’assignation, il a prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal.
La requérante a interjeté appel de ce jugement.
Le 7 novembre 2019, la Cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement et a prononcé le divorce aux torts exclusifs de la requérante estimant que le refus prolongé de relations intimes avec son époux constituait une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ».
La Cour d’appel a donc considéré que l’absence de relations intimes, assimilée à une violation du « devoir conjugal », justifiait un divorce pour faute, conformément à l’article 242 du Code civil (cet article prévoit que le divorce peut être prononcé en cas de violation grave et répétée des devoirs et obligations du mariage.)
Historiquement, la jurisprudence a interprété ce devoir conjugal comme une obligation d’entretenir des relations sexuelles régulières dans le cadre du mariage.
Un arrêt de la Cour de cassation de 1997 (2ème Civ. 17 décembre 1997, Pourvoi n° 96-15.704 [2]) avait déjà confirmé qu’'un manquement à ce devoir pouvait constituer un motif de divorce pour faute.
La requérante a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, considérant que les arguments de la requérante n’étaient pas de nature à entraîner la cassation de l’arrêt.
Analyse de l’arrêt de la CEDH : ingérence dans le droit au respect de la vie privée
Le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme)
La CEDH a examiné la notion de « devoir conjugal » qui impose aux époux d’entretenir des relations intimes sous peine de voir leur comportement constituer une faute justifiant un divorce.
Ce « devoir conjugal » du droit français a été mis en relation avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. Ce droit comprend, selon la jurisprudence de la CEDH, la protection de la sexualité, de la liberté sexuelle et de l’intégrité corporelle, qui sont des aspects intimes de la vie privée.
En l'espèce, la CEDH a estimé que l’ingérence des juridictions françaises dans la vie privée de la requérante, en fondant le divorce sur son absence de relations sexuelles, violait son droit au respect de sa vie privée.
Elle a relevé notamment que la sexualité et le consentement au sein du mariage renvoient à la liberté individuelle et ne peuvent pas être régis par des normes coercitives, comme c’est le cas lorsqu’un époux est contraint par le « devoir conjugal ».
En effet, la CEDH souligne que le mariage ne saurait impliquer un consentement implicite à des relations sexuelles futures et que le consentement doit être donné librement à chaque moment, au regard des circonstances et du respect mutuel entre les époux.
En d’autres termes, la CEDH considère que le fait de fonder un divorce sur le « non-respect du devoir conjugal » sans tenir compte du consentement des époux est incompatible avec les droits individuels et avec la convention européenne des droits de l’homme.
- La notion d'ingérence est-elle justifiée ?
La CEDH a examiné ensuite si cette ingérence dans la vie privée de la requérante était justifiée au regard de l’objectif poursuivi. Elle indique que les juridictions françaises ont agi en suivant une norme interne bien établie, visant à garantir la stabilité du mariage.
Toutefois, la CEDH a considéré que cette ingérence ne repose pas sur des motifs pertinents et suffisants. En l’espèce, la requérante ne contestait pas le divorce en lui-même, mais se plaignait des motifs invoqués, qui ne tenaient pas compte de son consentement en matière sexuelle.
En l’absence d’arguments particulièrement graves justifiant une ingérence dans la liberté sexuelle de la requérante, la CEDH conclut qu’il y a violation de l'article 8 de la Convention.
La possibilité pour le mari de demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal (et non sur la base du devoir conjugal) montre qu’il existait d’autres voies moins intimes pour obtenir un divorce, sans empiéter sur les droits de la requérante.
Les implications de l'arrêt pour le droit français et les libertés individuelles
L'arrêt H.W. c. France remet en question la notion du « devoir conjugal » comme fondement de la faute dans un divorce. Cette décision fait écho à la liberté de disposer de son corps et de consentir librement à des relations sexuelles. La jurisprudence de la CEDH pourrait inciter les juridictions françaises à repenser la notion de « devoir conjugal ».
D’autant plus qu’en France, le viol conjugal est reconnu comme un crime depuis une décision de la Cour de cassation en 1990 (Cass Crim, 5 septembre 1990, Pourvoi n° 90-83.786 [3]) et a été intégré dans le Code pénal par la loi du 4 avril 2006.
La législation française prévoit des sanctions plus lourdes lorsque ce crime est commis par un conjoint, un concubin ou un partenaire de PACS. En effet, alors que le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle, la peine peut être portée à 20 ans dans ce cas.
Cette décision entraîne des répercussions importantes sur la lutte contre les violences sexuelles.
En soulignant que le consentement est essentiel dans toute relation sexuelle, l’idée que le mariage ne doit pas être un terrain d’impunité pour des abus sexuels est renforcée.
La CEDH s'inscrit ainsi dans un mouvement visant à faire évoluer les mentalités sur la notion même de consentement et amène également à une réflexion sur les limites de l’ingérence des juridictions dans les aspects les plus intimes de la vie personnelle.