Le droit comparé de la saisie-contrefaçon en droit d’auteur en France et au Canada (fr) (ca)

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Compte-rendu de la réunion mixte du 4 juin 2013 - Commission internationale Paris-Québec et commission Propriété intellectuelle du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition privée ,

Commission ouverte : Paris-Québec
Responsable : Richard Willemant avocat au barreau de Paris et du Québec

Commission ouverte : Propriété intellectuelle
Responsable : Fabienne Fajgenbaum avocat au barreau de Paris

Intervenants : Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris, Nicolas Binctin, professeur de droit privé à l’université de Poitiers


La saisie-contrefaçon a une place importante dans le cadre des actions en contrefaçon en France. Elle a un double objet : probatoire, mais aussi conservatoire en cas de saisie réelle. En pratique, c'est donc une étape préalable très souvent empruntée par les demandeurs. Le fait de ne pas se ménager une preuve certaine et incontestable des actes de contrefaçon allégués avant l'introduction de l'action est susceptible de fragiliser les chances de succès.

Au contraire, au Québec la saisie-contrefaçon n'est pas du tout considérée comme un préalable à une action en contrefaçon ; elle est au contraire une procédure assez exceptionnelle et mérite que l'on s'y intéresse en raison, d'une part, de ses spécificités et, d'autre part, du fait qu'elle se pratique ex parte. Ainsi, du fait de son caractère non-contradictoire, cette procédure porte en elle le risque d'une atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui la subissent, notamment, au droit au respect de la vie privée, du secret professionnel et des secrets commerciaux. La jurisprudence québécoise, soucieuse de préserver ces droits fondamentaux, a donc posé des conditions très restrictives de recours à la saisie-contrefaçon qui contrastent avec la pratique française.

I — Les mécanismes de la saisie-contrefaçon en France et au Québec

A — En France : la procédure de saisie-contrefaçon selon le Code de la propriété intellectuelle

par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers

La saisie-contrefaçon ressort, en droit positif, de la transposition en 2007 (loi n˚ 2007-1544 du 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon N° Lexbase : L7839HYY) de la Directive de 2004 (Directive (CE) n˚ 2004/48 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle N° Lexbase : L2091DY4) qui a elle-même procédé à une mise en conformité des règles européennes avec l'accord de l'ADPIC (article 50). Cette transposition a pour effet d'harmoniser la saisie-contrefaçon pour la quasi-totalité des droits de propriété intellectuelle (livres V, VI et VII du Code de la propriété intellectuelle, relatifs respectivement aux dessins et modèles, aux brevets et aux marques) à l'exception de droit d'auteur pour lequel le législateur a maintenu quelques éléments d'un ancien régime. Si certains y voient la défense des spécificités du droit d'auteur, rien ne justifie réellement l'existence de ces deux procédures, qui au surplus a pour effet de complexifier inutilement le système de la saisie-contrefaçon. Il existe donc une saisie-contrefaçon ordonnée par le commissaire de police, et une saisie-contrefaçon ordonnée par un magistrat.

– Qui peut agir ?

Deux grandes catégories de personnes peuvent agir en saisie-contrefaçon : les titulaires de droit, c'est-à-dire les auteurs eux-mêmes ou les cessionnaires des droits d'auteurs, et les sociétés de gestion collectives qui peuvent, défendre les droits de propriété dont elles ont reçu la gestion. Ce mécanisme crée une profonde différence entre le droit d'auteur et les droits de propriété industrielle. Dans le premier cas sont ainsi exclus les concessionnaires exclusifs, les licenciés exclusifs, ou encore les distributeurs exclusifs, qui pourront seulement demander la réparation de leur préjudice. Au contraire, en droit des brevets, par exemple il est prévu que le licencié exclusif peut agir en cas d'inaction du titulaire des droits.

– Selon quelle procédure ?

Il existe tout d'abord une procédure ancienne, traditionnelle, qui est la saisie par le commissaire de police (C. prop. intell., art. L. 332-1, al. 1er N° Lexbase: L3516IEX). Cette procédure est également exceptionnelle puisqu'elle permet la saisie des exemplaires contrefaisants et des recettes réalisées. Elle est utilisée de façon extrêmement rare, tant en raison des réticences des praticiens que des commissaires de police. Le maintien de cette procédure ne se justifie donc pas et peut tout à fait être qualifiée de surannée.

Il existe ensuite une procédure de saisie-contrefaçon sur autorisation du président du TGI, rendue sur la base d'une requête (C. prop. intell., art. L. 332-1, al. 2). Le pouvoir d'opportunité du juge semble ici assez limité. Il s'agit en effet d'une procédure de l'évidence, dans laquelle le juge dispose d'un pouvoir d'équilibrage assez précaire et qui se traduira par exemple par la demande de constitution de garanties par le saisissant.

La saisie sera opérée par un huissier, éventuellement accompagné par des experts, informaticiens, serruriers, les forces de l'ordre... L'huissier va collecter les informations qu'il identifie, établir le procès-verbal et remettre, sur le champ, une copie du PV à la personne saisie en indiquant les recours dont elle dispose pour contester la procédure.

– Que peut-on saisir ?

Les éléments saisissables sont assez larges : certains relèvent directement de l'atteinte au droit d'auteur ; il est également possible de saisir les recettes de la contrefaçon, mais aussi les outils qui permettent la contrefaçon. Le but est de pouvoir stopper l'activité économique de la personne qui est suspectée de contrefaçon, ce qui démontre le pouvoir important qu'offre cette procédure. Il est ainsi possible d'obtenir la suspension de la production, des reproductions, la saisie des exemplaires, des matériels ayant permis la production des éléments contrefaits, la saisie des documents économiques attachées à l'exploitation commerciale (clients, fournisseurs, réseaux de distribution), des recettes de l'exploitation des produits contrefaits. C'est donc l'économie complète de la contrefaçon qui peut se trouver appréhender par cette procédure, qui se caractérise donc par sa très grande performance à défendre la propriété. Il n'existe pas en droit civil d'outil de défense de la propriété, notamment mobilière, comparable. Cela s'explique certes par la nature incorporelle du droit de propriété intellectuelle mais manifeste aussi une volonté notable de proposer un cadre de défense spécifique.

– Selon quelles modalités ?

La saisie sera opérée par un huissier, éventuellement accompagné par des experts, informaticiens, serruriers, les forces de l'ordre... L'huissier va collecter les informations qu'il identifie, établir le procès-verbal et remettre, sur le champ, une copie du PV à la personne saisie en indiquant les recours dont elle dispose pour contester la procédure.

Enfin, une fois la saisie réalisée, la personne à l'origine de la procédure devra engager une action dans les 20 jours ouvrables ou 31 jours civils de la saisie. A défaut d'action dans ce délai, la personne saisie pourra demander la mainlevée de la saisie ou son cantonnement, là où pour les dessins et modèles, les brevets, les marques, ou encore les obtentions végétales, il sera possible d'en demander la nullité. Il est tout de même à noter que l'arrivée du terme de ce délai n'entraîne pas automatiquement ces sanctions ; le juge ne peut pas le relever d'office. En revanche, le juge ne dispose pas d'une opportunité d'appréciation, puisqu'il ne s'agit que du constat d'un fait objectif et devra donc prononcer ladite sanction dès lors qu'elle est demandée.

Il est à noter que cette procédure de saisie-contrefaçon est harmonisée sur l'ensemble du territoire des 28 Etats membres de l'Union européenne (la Croatie étant entrée dans l'UE le 1er juillet 2013). Si elle apparaît tout à fait "banale" en droit français puisqu'elle préexistait à la Directive de 2004, certains Etats ne connaissaient pas de procédure similaire avant la transposition du texte européen, comme c'était le cas de l'Allemagne qui vivait avec un droit de la propriété intellectuelle très mur et pourtant sans saisie-contrefaçon.

B — Au Québec : la procédure de "saisie-contrefaçon" suivant la loi sur le droit d'auteur et le Code de procédure civile du Québec

par Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris

Au Québec il existe deux procédures pour former une saisie-contrefaçon de droit d'auteur : - la saisie-revendication en vertu de l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur ; - la saisie-conservatoire en vertu du Code de procédure civil du Québec Le choix de l'une ou l'autre de ces procédures s'opèrera en fonction du but du plaideur -du titulaire des droits— : soit il souhaite saisir des exemplaires contrefaits, et auquel cas il revendiquera des droits de propriété fictifs sur lesdits exemplaires et optera pour la saisie-revendication ; soit il souhaite aller au-delà et conserver des éléments sur le système plus global de la contrefaçon et optera donc pour la saisie-conservatoire.

1˚ — La saisie-revendication en vertu de l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur

Le principe de cette procédure repose sur le fait qu'un contrefacteur ne peut pas avoir de revendication sur une chose qui ne lui appartient pas. Par conséquent, le titulaire des droits est réputé en être le propriétaire. La loi crée une fiction juridique qui permet au titulaire des droits de recouvrer la totalité des exemplaires contrefaits et de tout autre objet de droit d'auteur, et notamment les planches destinées à la confection de ces exemplaires contrefaits.

Selon la jurisprudence, l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur n'est toutefois pas générateur d'un droit de procéder à la saisie en tant que telle ; encore faut-il que la législation, soit provinciale, soit fédérale, prévoit des dispositions spécifiques à la procédure de saisie avant jugement, permettant alors d'utiliser ce moyen de procédure. Aujourd'hui, tant la loi fédérale canadienne que loi provinciale québécoise (article 734 du Code de procédure civile du Québec) prévoient une procédure de saisie avant jugement pour les meubles, les tribunaux ayant considéré que ces dispositions permettaient de faire jouer l'article 38 et donc la saisie avant jugement en ce qui concerne le droit d'auteur.

Dès lors que le contrefacteur est considéré comme ne disposant d'aucun droit sur les exemplaires contrefaits et que le titulaire des droits est, au contraire, réputé en être le propriétaire, les tribunaux estiment qu'il peut en disposer à sa guise (décision "Apple computer c/ Macintosh", 1981).

Cette fiction juridique de propriété existe indépendamment de la bonne foi du défendeur qui détient les exemplaires contrefaits en sa possession et s'ajoute à toute réclamation de dommages-intérêts (décision "Breen c/ Hancock House", 1985).

La preuve à déposer est une preuve prima facie de contrefaçon du droit d'auteur. Cette preuve est très facile à rapporter. Il s'agit en fait d'une analyse spécifique au cas par cas suivant les faits propres à chaque dossier. Il est à noter que dans un important arrêt de 2002, la Cour suprême du Canada a retenu que l'artiste ou l'auteur qui invoque la violation d'un droit moral ne peut pas recourir à une saisie avant jugement et que ce recours ne lui est ouvert que s'il y a eu violation du droit d'auteur, au sens donné à ce droit au paragraphe 3 de la Loi sur le droit d'auteur (Cour suprême du Canada, décision "Theberge c/ Galerie du Petit Champion", 2002).

Concernant, ensuite l'intérêt pour agir, il est à noter que le droit de saisir est réservé "au titulaire du droit d'auteur comme s'il en était propriétaire". Dès lors, comme en droit français, les personnes qui disposent d'une licence exclusive du droit d'exploitation ne peuvent pas pratiquer une telle saisie-revendication. Néanmoins, le cessionnaire et notamment le concessionnaire de licence exclusive de l'article 13-3, qui suppose une cession de droit, peut intenter une action en dommages-intérêts ou faire pratiquer une saisie-revendication de la l'article 38.

La procédure est très simple. Il s'agit d'une saisie avant jugement de l'article 734 du Code de procédure civile, qui se pratique sans la nécessité d'une autorisation du juge. Elle exige seulement de se présenter devant le greffe auquel on demande la délivrance d'un bref de saisie qui est facile à obtenir sur les simples allégations très générales de violation de droit d'auteur.

Il existe une spécificité en ce qui concerne la saisie d'un logiciel contrefait qui ressort d'un arrêt de 2000, selon lequel un ordinateur ne peut pas faire l'objet d'une fouille sans la permission du juge, aux conditions et suivant les modalités fixées par celui-ci ("D&G c/ Bouchard", 2000).

2˚ — La saisie-conservatoire en vertu du Code de procédure du Québec

La saisie-conservatoire est un recours si extraordinaire et si exceptionnel, que les juriste canadiens lui ont donné le nom d'arme nucléaire du droit civil au Québec. Ce recours ex parte et in camera a essentiellement pour objectif de protéger et conserver des éléments de preuve. Il s'agit d'une saisie avant jugement ordonnant au défendeur de se laisser perquisitionner et de se laisser saisir, afin de protéger et conserver les éléments de preuve qui, sans l'intervention de la Cour, risqueraient d'être détruits ou de disparaître. Cette saisie-conservatoire est appelée "ordonnance ou injonction Anton Piller" du nom de la décision rendue en 1976 par la Cour d'appel d'Angleterre, division civile, dans l'affaire "Anton Piller KGc.Manufacturing Processes Ltd". Elle fut, par la suite, importée dans le droit Canadien. La requête pour ordonnance "Anton Piller" est utilisée de façon assez fréquente devant la Cour fédérale, particulièrement dans les cas de violation de propriété intellectuelle, notamment en cas de violation de marques, de brevets ou de concurrence déloyale. En droit d'auteurs, elle a été utilisée dans certaines affaires.

Les tribunaux ont posé des conditions très restrictives pour obtenir une ordonnance d'injonction "Anton Piller" : — un droit d'action prima facie et un commencement de preuve très solide ou très convaincant ; — un préjudice réel ou possible, très grave pour le demandeur (forte probabilité d'un préjudice ou d'un dommage sérieux ou irréparable tel qu'une interférence dans les relations commerciale, une perte de clientèle, de manque à gagner, mais également une atteinte à la réputation) ; — une preuve manifeste que le défendeur a en sa possession des documents ou des biens pouvant servir de preuve. Le défendeur n'est pas nécessairement le contrefacteur mais un intermédiaire qui détient les objets contrefaits ; — la possibilité ou la probabilité que le défendeur détruise cette preuve avant que ne puisse être introduite une demande inter partes. Cette preuve est a priori extrêmement difficile à rapporter. La cour a fini par poser une présomption de risque de destruction qui découle de la malhonnêteté évidente du contrefacteur, compte tenu de ces agissements et de l'ampleur de ces derniers ; — l'urgence, qui est une condition commune à toutes les injonctions provisoires, catégorie d'acte à laquelle appartient l'ordonnance de type "Anton Piller". Toutefois, il est à noter que compte tenu du fardeau de la preuve et de l'importance des éléments à rassembler et donc du temps nécessaire, les tribunaux se montrent plutôt cléments en ce qui concerne la condition d'urgence ; — une pleine et entière divulgation des faits pertinents. Etant donné qu'il s'agit d'une procédure ex parte, le demandeur est tenu de divulguer et d'alléguer, dans sa requête pour ordonnance "Anton Piller", tous les faits dont il a connaissance, avantageant ou non sa position. Toute dissimulation de faits par le demandeur ou son procureur peut entraîner une annulation de l'ordonnance et engager la responsabilité du demandeur en dommages-intérêts compensatoires à être versés au défendeur.

C — Synthèse de la partie I

par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers

Dans les deux régimes, il existe une double procédure mais à l'esprit très éloigné. D'abord, la loi canadienne reconnaît une propriété de l'auteur sur les objets saisis ce qu'ignore le droit français. La procédure de saisie-revendication est très tournée vers la saisie réelle des exemplaires et est très facile à obtenir alors que la saisie-contrefaçon en droit d'auteur interne, si elle est facile à obtenir en ce qui concerne la saisie documentaire sera plus contraignante lorsqu'il s'agit d'une saisie réelle notamment parce que la constitution de garanties pourra être demandée au regard de la valeur des objets saisis. La procédure canadienne impose de cibler très précisément les informations recherchées par la saisie, là où la loi française semble beaucoup plus ouverte. Par ailleurs, la procédure de saisie-contrefaçon permet l'obtention quasi-automatique d'une ordonnance alors que la procédure canadienne de type "Anton Piller" est beaucoup plus aléatoire en raison des conditions très strictes posées par la jurisprudence.


II — L'analyse des mécanismes de saisie-contrefaçon français et québécois à la lumière des droits fondamentaux

A — Les doutes de l'exclusion totale du contradictoire dans la saisie-contrefaçon en France

par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers

Même si le droit français connaissait la procédure de saisie-contrefaçon avant la transposition de la Directive 2004/48, elle doit aujourd'hui être conforme aux sources internationales c'est-à-dire à la Directive de 2004 mais également à l'article 50 des ADPIC. Le juge français a une obligation d'interprétation conforme du droit interne à la lumière du droit européen et a une possibilité de contrôle de conformité du droit interne aux engagements internationaux.

Dans ce cadre, on peut se demander si la formule du droit français de la saisie-contrefaçon qui exclut radicalement toute approche contradictoire est bien en adéquation avec les sources internationales.

En effet, l'article 50 des ADPIC comme l'article 7, 1˚, in fine de la Directive prévoient que la saisie-contrefaçon peut être opérée en-dehors d'un débat contradictoire afin de bénéficier de l'effet de surprise et obtenir les éléments probatoires recherchés. Mais ces deux textes indiquent que le caractère non-contradictoire ne relève que de l'exception puisqu'il est clairement stipulé que "le cas échéant" ces mesures peuvent être prises sans que l'autre partie soit entendue, notamment lorsque tout retard est susceptible de causer un préjudice irréparable au titulaire du droit ou lorsqu'il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve.

Or, la transposition de la Directive n'a pas intégré ces éléments processuels dans la saisie-contrefaçon de droit interne. La lecture française de cette procédure est très traditionnelle et repose sur l'extrême nécessité de l'effet de surprise pour une défense efficace des droits du titulaire. La solution française s'éloigne radicalement de la rigueur de la procédure canadienne d'"Anton Piller" mais aussi, probablement, de la lettre et de l'esprit des accords ADPIC et de la Directive de 2004. Il est donc tout à fait possible de douter de la légalité de la législation française.

D'ailleurs la plupart des autres Etats de l'Union européenne, qu'ils eurent ou pas antérieurement à la transposition de la Directive une procédure de saisie-contrefaçon, ont prévu des hypothèses dans lesquelles le magistrat chargé d'ordonner la mesure peut écarter la démarche sans débat pour réintroduire, sous différentes formes en fonction des Etats, soit un débat contradictoire, soit d'entendre au préalable la partie adverse. Naturellement, l'idée d'une mesure avec effet de surprise est conservée mais elle n'est pas la seule voie processuelle puisque la délivrance de l'ordonnance pourra être soumise, conditionnée à la prise en considération, par le magistrat, de l'intérêt de la partie saisie. La solution française semble donc s'écarter largement d'un droit processuel soucieux des droits de la défense. S'il est nécessaire d'assurer une protection des droits des titulaires en droit d'auteur comme en droit de la propriété industrielle, il n'est pas certain qu'il ne faille pas également procéder à une balance des droits fondamentaux que sont le droit de propriété et les droits de la défense.

Sur ce point, la Cour de cassation (n˚ 12-23.349) doit se prononcer sur la validité d'une saisie-contrefaçon ordonnée sans débat contradictoire, alors qu'une action au fond avait déjà été engagée (1).

==B — Au Québec : les limites liées à la protection des droits fondamentaux du défendeur saisi== par Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris

Les conditions très strictes posées pour l'obtention d'une ordonnance de type Anton Piller sont la première des garanties de la transparence de la procédure et donc des droits du défendeur saisi, notamment de ses droits à la défense, parce qu'il s'agit d'une décision ex parte, mais également de son droit au respect de sa vie privée, à l'inviolabilité de son domicile consacré par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, ou encore au secret professionnel. La cour et les tribunaux très conscients de ces risques d'atteinte graves ont édicté ("Celanese Canada Inc. c/ Murray Demolition Corp", 2006) des conditions strictes à son exécution. Ainsi, le saisi bénéficie d'une triple protection : - une ordonnance soigneusement rédigée, décrivant les documents à saisir et énonçant les garanties applicables au traitement des documents ; - la présence d'un avocat superviseur, vigilant et indépendant, nommé par le tribunal ; - un sens de la mesure de la part des personnes qui exécutent l'ordonnance, l'accent devant être mis sur son objet précis, à savoir la conservation d'éléments de preuve et non d'en permettre l'utilisation précipitée.

1˚ — Une ordonnance soigneusement rédigée

Le contexte de la saisie-conservatoire de type "Anton Piller" n'est pas celui d'une perquisition en matière criminelle ; il n'y a donc pas lieu d'utiliser la force. A défaut, l'avocat superviseur aura l'obligation d'intervenir. En effet dans de telles circonstances sont encourus la nullité de la saisie, la possibilité de la faire cesser ainsi qu'une condamnation à verser des dommages-intérêts, voire à disqualifier les avocats. Il est donc demandé à la personne si elle se laisse saisir, l'avocat superviseur devant l'informer sur les conséquences de son acceptation et de son refus et dans quelle mesure cela peut lui être préjudiciable. La sanction du refus d'obtempérer à l'ordonnance s'obtient entre autres par le biais d'une condamnation pour outrage au tribunal et par les présomptions qui en découleront. Il est important de noter que le saisi a le droit à l'assistance d'un avocat et bénéficie d'un délai de consultation.

L'ordonnance restreindra la saisie aux documents concernant strictement le litige, qui, au-delà de l'atteinte portée au droit d'auteur, pourra porter sur d'autres aspects tels que la concurrence déloyale, l'atteinte à la réputation, etc.. En effet, dans la mesure où l'on se situe dans le cadre d'une procédure du Code de procédure civile, il sera possible d'étendre les conclusions. Le ciblage précis des documents a pour but d'éviter qu'une personne, par le biais d'une procédure "Anton Piller", ait accès à des documents qui ne sont pas pertinents pour la solution du litige mais qui pourraient revêtir un intérêt commercial. L'ordonnance mentionnera d'ailleurs que l'usage des documents saisis est retreint au contexte même du litige. Dans certains cas, il est possible d'exiger que soient fournis un cautionnement, un engagement d'indemnisation du défendeur dans l'éventualité où l'ordonnance s'avèrerait injustifiée ou si l'exécution était faite en ne respectant pas strictement les prescriptions de l'ordonnance émise par le juge.

2˚ — L'avocat superviseur

L'avocat superviseur indépendant (Independent Supervising Solicitor ou ISS) joue un rôle primordial dans la bonne exécution de l'ordonnance "Anton Piller". Dès l'affaire "Anton Piller", il a été suggéré qu'un avocat indépendant, c'est-à- dire, n'appartenant pas à la firme d'avocats représentant le requérant supervise l'exécution de l'ordonnance. Il semblerait que, depuis la décision "Celanese Canada c/ Murray" de 2006, sa présence ne soit plus seulement suggérée mais qu'elle soit obligatoire. L'avocat superviseur agit comme un officier du tribunal. Son rôle visa à : — superviser l'exécution de l'ordonnance, suivant les règles prescrites par le tribunal pour s'assurer que l'ensemble des conditions émises par le juge sont bien respectées ; — expliquer au défendeur en termes simples la teneur de l'ordonnance en s'assurant qu'il comprend la situation et en lui donnant clairement la possibilité de réfléchir et de consulter son propre avocat afin de décider s'il consent ou non à l'exécution ; — conserver les preuves saisies sous scellés ; — rédiger un rapport écrit sur l'exécution de la saisie qui comprendra ses premiers contacts avec la partie adverses, les évènements survenus, une liste complète des éléments saisis, en prendre des photos et ses commentaires sur la légitimé et le défaut de certains gestes.

En fait l'ISS va s'assurer que l'ordonnance est respectée et que les droits du défendeur le sont également, notant tout abus de la part des personnes autorisées. Il veille aussi à ce que le défendeur respecte ses obligations en vertu de l'ordonnance et notera toute violation à ce sujet, ouvrant ainsi, le cas échéant, la porte à l'outrage au tribunal.

3˚ — La conservation de la preuve, comme but ultime

Le but de la saisie de type "Anton Piller" est d'avoir accès à la preuve le plus rapidement possible et à des fins essentiellement conservatoire. Dans une décision de 2011, "Cogeco Diffusion c/ Lavoie", la cour suprême du Québec reprend les principes dégagés depuis 2006 pour assurer la garantie des droits des personnes saisies en lui permettant de contester les éléments de preuve saisis selon une procédure très précise.

Toute d'abord une période à compter de la saisie est accordée au défendeur, pendant laquelle il peut examiner la preuve, avant même que le requérant puisse voir les documents, pour soulever certaines objections qui seraient liées à la vie privée, au secret professionnel, au secret commercial.

Les objections qui sont soulevées sont remises à l'avocat superviseur indépendant qui fera une description précise des documents pour lesquels les objections ont été formées afin qu'un débat sur la pertinence de ces objectifs puisse s'ouvrir.

La preuve doit être déposée sous scellés, les avocats superviseurs devant apposer leurs signatures sur le sceau. Ces éléments scellés sont placés sous la garde des ISS jusqu'à ce qu'une autre ordonnance du tribunal soit rendue, sans que la demanderesse ou ses avocats n'y aient accès à moins que les défendeurs n'y consentent ou ordonnance de la cour à effet contraire.

Enfin, dans l'éventualité où les défendeurs omettent ou refusent de soulever une objection, la demanderesse ou leurs avocats ont l'autorisation d'avoir accès à la preuve ou d'en faire une copie à l'échéance d'un court délai de 72 heures. En mettant des balises temporelles au droit de former des objections, le but est ici d'empêcher que les défendeurs ne freinent de façon injustifiée la procédure. Un laps de temps relativement court est également laisser aux défenseurs pour présenter devant une cour des requêtes en annulation de la saisie, et notamment pour demander de vérifier les modalités d'exécution de la saisie et les conditions dans lesquelles l'ordonnance a été obtenue. Là encore le but est d'éviter de paralyser l'action de la demanderesse, qui rappelons-le subit prima facie une atteinte au respect de ses droits d'auteur.

La saisie de type "Anton Piller" est une procédure très encadrée, exceptionnelle et particulièrement lourde. L'intervention de nombreux acteurs en fait également une procédure extrêmement coûteuse (à partir de 40 000 euros), ce qui conduit les praticiens à ne la conseiller que dans des cas d'atteinte grave au droit d'auteur (en France, le coût est d'environ 10 000 euros)

C — Synthèse comparative de la partie II

par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers

A l'évidence, il existe une grande différence entre les systèmes français et canadiens. En effet, là où les tribunaux canadiens ont instauré des mesures importantes pour protéger les intérêts des tiers saisis, la loi française, en transposant imparfaitement la Directive, semble moins concernée par ce mouvement. On peut néanmoins se demander si les juges français s'inspireront de l'exemple canadien.

Voir aussi

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