Les relations magistrats - avocats / Le rapport du comité d’éthique du Barreau de Paris

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Auteur : Daniel Soulez Larivière, Comité d’éthique du Barreau de Paris
Date : 2021

Suivi de :

  • Magistrats – avocats : des relations sans règle du jeu, par Antoine Garapon
  • Existe-t-il une éthique commune des juges et des avocats faisant référence à une théorie générale et à une définition de la justice ?, par Guy Canivet


INTRODUCTION

La justice est faite pour assurer la paix civile en résolvant les conflits entre particuliers pour éviter qu’ils ne dégénèrent et pour faire respecter les éléments clés du pacte social afin d’assurer l'ordre public avec des sanctions qui évoluent au fil des âges.

Le juge ne peut exister que s'il est indépendant de l'État et de son appareil mais, en en faisant cependant partie. Il ne peut prospérer durablement que s'il établit des relations pacifiques et constructives avec le pouvoir tant exécutif que législatif. Si le conflit de pouvoir se manifeste constamment et violemment, l’ordre public ne peut plus être assuré. Que les procureurs qui sont en quelque sorte les avocats de la société, appartiennent au même corps que les juges du fait d’une particularité historique française, ne simplifie pas le fonctionnement judiciaire global ni sa compréhension par le public qui ne voit pas bien la différence entre eux. Quant aux avocats ils se logent de manière conflictuelle entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire, dans une histoire souvent tourmentée et où ils n’interviennent au pénal que très tard, à partir du XVIIIème siècle mais très peu jusqu’à la fin du XIXème. Les avocats sont eux aussi des agents de l’ordre public dans la mesure où en assurant au citoyen qu’il sera défendu ils permettent son adhésion au système.

Le but de l'ensemble du système judiciaire est de créer les conditions d'une paix civile durable. Mais les particularités françaises sont telles qu'elles génèrent des tensions entre les professions et entre elles et l’État. C'est à la lumière de ce contexte schématique qu'il faut examiner et relativiser les incidents et les effervescences de 2019- 2020 qui vont se poursuivre en 2021. La nomination par le gouvernement d'un avocat Éric Dupond- Moretti comme Garde des Sceaux, quarante ans après Robert Badinter a provoqué plus de tensions qu’à l’époque.

Le principal syndicat de magistrats, l’USM, a considéré cette désignation comme une déclaration de guerre. Le Syndicat de la magistrature de son côté a publié une lettre ouverte au Garde des sceaux le prévenant en quelque sorte de l'agitation qui l’attendait. Sa proposition de nommer une avocate, vice-bâtonnière du barreau de Paris, Nathalie Roret, comme directrice de l'École nationale de la magistrature a marqué les esprits et été accompagnée de propos très discutés du ministre suscitant de fortes critiques et des remontrances de la part des syndicats de magistrats.

La situation est aggravée par le contexte puisqu’au cours de la préparation de l'affaire du Président Sarkozy (première venue à l'audience en décembre) il fut découvert que des magistrats du parquet national financier avaient collationné les fadettes de plus d'une dizaine d'avocats parisiens connus et même de magistrats pour trouver l'origine de la fuite qui aurait permis à la défense de Nicolas Sarkozy de savoir que sa deuxième ligne de téléphone portable ouverte sous un pseudonyme était elle aussi écoutée– recherches qui n’aboutirent à rien.

Mais il s’en est suivi une enquête administrative demandée par le Garde des Sceaux d’alors, Nicole Belloubet professeur émérite des universités, à laquelle a succédé Éric Dupond-Moretti. Celui-ci ayant été lui-même espionné les syndicats de magistrats ont considéré que cette qualité de « victime » générait un conflit d’intérêt entre ses anciennes fonctions et celles de garde des sceaux. Et voilà que, sur plainte des trois syndicats et d’une association anticorruption (Anticor) et sur réquisition du Procureur général de la Cour de cassation, la Cour de justice de la République a ouvert une information contre le ministre. Le tout étant précédé d’une tribune dans Le Monde pour fustiger le comportement de l’avocat-ministre et signée par la Première Présidente et le Procureur Général de la Cour de Cassation.

Au terme d’une réflexion fine et très mûrie, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, a placé à la tête de l'école de l’École de formation du barreau de Paris, un magistrat qui semble- t-il fait l’unanimité, Gilles Accomando, ancien formateur à l’ENM, dont la carrière l’a amené à être président de la cour d’appel de Pau et pendant un moment président de la conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel en France.

Cette initiative aboutit donc à ce que la direction de l’école nationale de la magistrature soit assurée par une avocate et celle des 1 800 élèves-avocats parisiens par un magistrat connu et respecté. Si l’on a présent à l’esprit la petite révolution qui a consisté pour le premier Président de la cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat à donner la parole au bâtonnier de Paris lors de la rentrée solennelle le 14 janvier 2021, on se rend mieux compte que les institutions bougent.

Mais c’est dans ce contexte complexe que le travail du comité d’éthique sur les relations avocats-magistrats prend sa place.

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