Plaidoirie : Rêves d’enfants pendus à la barrière
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Auteur : Maître Max Adam Romero, avocat au Barreau de Séville - Prix du Mémorial et de la ville de Caen -
27e CONCOURS INTERNATIONAL DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS Dimanche 31 janvier 2016
L’affaire qui nous occupe est l’histoire de Diakaridia Diallo, un enfant
malien que les forces de sécurité espagnoles ont renvoyé illégalement
sur le territoire marocain, alors qu’il tentait d’entrer en Europe en
sautant par-dessus la barrière frontalière de Melilla l’an dernier, lui
refusant toute possibilité d’asile ou d’accueil.
Le saut raté a eu lieu le 2 décembre 2014. L’enfant avait été stoppé
lorsqu’il était juché sur la dernière des trois barrières qui délimitent la
frontière celle qui se trouve déjà sur le territoire espagnol. D’après le
témoignage de la victime elle-même, il n’avançait plus par peur d’être
arrêté par les autorités espagnoles et d’être renvoyé au Maroc. Il a été
arrêté après avoir passé six heures accroché à la clôture. Il était alors
descendu par une échelle placée par nos agents, appuyée contre la
barrière, tournée vers le territoire espagnol et européen. Diakaridia a
incontestablement foulé le sol de la juridiction espagnole. Pourtant, à
aucun moment il n’a été écouté. Personne ne lui a demandé son nom,
son âge, sa nationalité. Il n’a pas non plus été informé des possibilités
de demander l’asile. Il n’a reçu l’assistance d’aucun avocat ni d’aucun
interprète. Simplement, il a été arrêté et il a été renvoyé sans garantie,
souffrant des blessures qu’il a dénoncées.
Ces faits révèlent une pratique quotidienne : le retour de personnes
étrangères qui arrivent sur notre territoire, par une simple voie de fait,
procédure dénuée de tout fondement et enfreignant notre système
juridique, la réglementation communautaire et de nombreux traités
internationaux que l’Espagne a ratifiés.
Notre législation dispose que « les forces et les corps de sécurité
de l’État en charge de la surveillance des côtes et des frontières qui
interceptent les étrangers tentant d’entrer irrégulièrement en Espagne
les conduiront dans les meilleurs délais au commissariat du corps
national de police compétent, afin qu’il soit procédé à leur identification
et, le cas échéant, à leur retour ». Cette décision administrative de
retour doit être adoptée dans un arrêté des autorités gouvernementales
et implique de respecter les garanties visées par la loi : assistance
juridique et assistance d’un interprète si la personne ne comprend pas
ou ne parle pas les langues officielles. Par conséquent, telle devrait être
la procédure à suivre lorsque l’étranger est intercepté à la frontière ou
à ses abords en vue d’accéder en Espagne par une zone non autorisée
à cet effet. Nos lois n’envisagent pas la possibilité pour les forces et les
corps de sécurité de l’État d’expulser des citoyens étrangers se trouvant
sous leur surveillance sur le territoire espagnol par des voies de fait.
Les personnes qui tentent d’entrer sur le territoire national par cette
voie doivent être transférées au commissariat du corps national de
police. Un avocat doit leur être désigné. Elles doivent être assistées d’un
interprète et être identifiées. Un arrêté de reconduite doit être pris afin
de pouvoir être exécuté. En conséquence, la remise de la personne aux
autorités du pays voisin, comme cela s’est produit pour cet adolescent,
par une simple voie de fait, enfreint ouvertement les dispositions de la
législation sur les étrangers.
Notre Constitution espagnole exige une interprétation des droits
fondamentaux conforme à la Déclaration universelle des droits de
l’homme et autres accords internationaux développés et mis en œuvre.
Ainsi, les exigences de la législation sur les étrangers concernant la
nécessité d’offrir l’opportunité aux citoyens étrangers interceptés par
les autorités espagnoles d’invoquer leur situation personnelle découlent
du respect des obligations internationales en matière de droits de
l’homme.
La nécessité de protéger des personnes et des groupes vulnérables
tels que les enfants, comme c’est le cas ici, est ce qui nous a
amenés à élaborer et à signer des accords internationaux visant à la
reconnaissance et au développement de certaines garanties permettant
leur défense. Il en découle que la législation sur les étrangers des pays
démocratiques, dont l’Espagne, prévoit que toute entrée clandestine sur
leur territoire ne se termine pas systématiquement par une reconduite,
justement au regard de certaines circonstances qui exigent un meilleur
cadre de protection.
Mieux encore, cette pratique, qui n’a pas permis d’individualiser
et d’identifier ce citoyen étranger remis aux autorités marocaines,
tomberait également sous le coup de l’interdiction de procéder à
une expulsion collective. Elle enfreint également le principe de non-
retour établi, entre autres, par notre Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne, selon laquelle : « Nul ne peut être éloigné,
expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il
soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou
traitements inhumains ou dégradants. » Il s’agit d’un droit qui ne
peut être soumis au principe d’opportunité de la réglementation
nationale. Par conséquent, il n’est pas possible de procéder à des
expulsions collectives pour des motifs d’intérêt général ni pour des
besoins de protection d’autres droits et libertés d’autrui. Concernant
ce précepte, le contenu des rapports d’organisations et d’organismes
internationaux doit être pris en compte pour agir tel que cela a été
fait avec des migrants d’origine subsaharienne, comme c’est le cas
de Diakaridia Diallo. Ainsi, les retours prévus en vertu de la législation
sur les étrangers doivent être organisés après analyse personnalisée
et motivée de chaque dossier, afin de garantir ce principe de non-
refoulement.
Dans le même ordre d’idées, notre si sacrée Convention européenne
des droits de l’homme et notre Cour européenne des droits de l’homme
invoquées établissent l’interdiction de soumettre une personne à la
torture et à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants.
Ces textes incluent l’interdiction d’expulser des étrangers vers un pays
dont il existe des raisons suffisantes de penser que la personne expulsée
pourrait y être soumise à la torture, à des traitements inhumains ou
dégradants. Par conséquent, il existe une jurisprudence qui consacre
le principe de non-retour et qui, bien qu’elle ait été mise en œuvre
dans différents cas d’expulsion ou de déportation de demandeurs
d’asile[1] est applicable à toute situation d’expulsion, puisque les États
ont l’obligation de s’assurer du traitement auquel sont exposés les
migrants renvoyés dans leur pays d’origine ou de provenance[2].
En conséquence, il convient avant tout de s’assurer qu’aucun
étranger n’est expulsé sans que sa situation ait été examinée de
manière individualisée et sans qu’il ait pu avoir l’opportunité de faire
valoir ses arguments[3]. Dans le cas contraire, cela constituerait
violation de la garantie procédurale du droit à un recours effectif dans une violation de la garantie procédurale du droit à un recours effectif dans les procédures d’expulsion[4]. Les expulsions par voie de fait empêchent
l’accès aux procédures réservées aux étrangers et privent ainsi les
personnes expulsées de la possibilité de contester l’illégalité de leur
expulsion et la violation de leurs droits.
En approfondissant le cas de Diakaridia Diallo, le manquement
de la part de nos autorités espagnoles est d’autant plus grave qu’il a
empêché un enfant, qui avait de toute évidence besoin de protection, de
pouvoir accéder à ses droits de base en tant que mineur. Si les autorités
avaient procédé correctement à son identification, après avoir constaté
qu’il était mineur, elles l’auraient placé entre les mains des services de
protection existant à cet effet dans la ville autonome de Melilla. Ses
besoins en termes de soins médicaux auraient dû être satisfaits et il
aurait dû être informé de la possibilité de présenter une demande de
protection internationale en vertu des dispositions de la loi 12/2009
du 30 octobre sur le droit d’asile. Celle-ci établit en effet un précepte
spécifique pour les demandes formulées par des mineurs, en vue d’une
meilleure garantie de leurs droits.
N’oublions pas que l’Espagne n’est pas seulement partie à la
Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies du
20 novembre 1989. Sa législation contient également d’autres textes
tels que la loi sur la protection des enfants 1/1996 du 15 janvier, ainsi
que la loi sur les étrangers qui reprend les droits et les procédures
établis pour la protection intégrale de l’enfant, s’agissant de mineurs
étrangers non accompagnés. Son développement est complété par
le protocole du parquet général de l’État de juillet 2014 relatif aux
enfants non accompagnés. Ce texte légal établit que l’État espagnol
a une série d’obligations qui, non seulement, n’ont pas été respectées
dans le cas de Diakaridia, mais qui, en outre, le considérant comme
étranger avant de le considérer comme mineur, ont fait qu’il a été
procédé immédiatement à son refoulement par voie de fait vers les
forces de sécurité marocaine.
Même la directive européenne 2008/115/CE sur le retour prévoit,
une fois un mineur étranger non accompagné identifié, la nécessité
de l’éloigner vers un pays tiers autre que le pays d’accueil et le pays
d’origine, dès lors que la garantie qu’il existe dans ce pays des services
sociaux de protection adaptés pour garantir son bien-être est acquise.
Dans le cas présent, nos forces de sécurité ont omis le passage
essentiel par l’identification, qui aurait permis de constater que l’enfant
était mineur et de pouvoir ainsi lui offrir une protection adaptée.
Ces faits ont atteint une dimension plus alarmante encore en
présence du grave résultat que peut causer la violation des droits :
une agression de l’enfant Diallo, à qui des blessures d’une gravité
importante ont été causées, certaines avec de graves séquelles.
Nous ne devons pas et nous ne pouvons pas oublier que l’histoire
de Diakaridia Diallo n’est pas un cas isolé. Chaque jour, ce sont
des dizaines de citoyens étrangers d’origine subsaharienne, dont
de nombreux mineurs, qui ne peuvent accéder aux postes habilités
aux frontières de Ceuta et Melilla afin de demander la protection
internationale. Ils ne peuvent même pas accéder au périmètre de la
barrière frontalière, après avoir attendu des mois dans les campements
et dans les bois alentour. S’ils parviennent à entrer, ce sont les forces
de sécurité espagnoles elles-mêmes qui, comme dans le cas présent
et sans aucune couverture légale, les remettent de nouveau au pays
voisin en vertu de l’accord de réadmission souscrit, sans chercher à
connaître en aucune manière les situations particulières, pourtant si
importantes, comme c’est le cas de la minorité. Il serait bien difficile de
trouver un cas violant davantage de préceptes et enfreignant plus de
lois nationales, internationales, communautaires et universelles, comme
dans le cas présent, dans lequel, avant de porter atteinte aux droits
d’une personne étrangère, l’assistance et les droits universels ont été
refusés à un enfant.
Merci beaucoup.