Qualification du statut et du contrat des participants aux émissions de téléréalité (fr)
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Dans l’univers de la téléréalité des individus ordinaires vivent artificiellement des situations ordinaires. Des auteurs de programmes créent des situations inspirées de la vie réelle, dans lesquelles des personnes sélectionnées vont être intégrées afin de se donner en spectacle au quotidien. Les candidats évoluent dans un environnement dénudé ne leur offrant pas la possibilité de ne pas se confronter entre eux.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, première autorité de régulation à être intervenue pour réglementer la télé-réalité, a édicté trois idées-forces qui structurent ce genre :
- Enfermer dans un lieu clos des personnes ne se connaissant pas auparavant.
- Les observer et les enregistrer en permanence par le biais de caméras et micros.
- Les soumettre à un processus d’élimination progressive.
La Télé réalité se décline en différents types d’émissions :
1- Les émissions où des candidats sont isolés du reste du monde, éliminés un par un à la suite d’une perte d’épreuve, de la désignation d’un autre candidat, ou par vote d’un téléspectateur. Selon la Société Endemol, quatre éléments reposent sur cette catégorie. Premièrement, les candidats doivent évoluer dans un environnement où ils se confrontent. Deuxièmement, les candidats sont éliminés par les téléspectateurs, ce qui permet de les fidéliser. Troisièmement, les organisateurs du jeu édictent des tâches. Quatrièmement, application d’un système de confessionnal où les candidats se confient (exemples : Loft Story, Nice People).
2- Les émissions où des candidats chanteurs sont en compétition pour gagner l’enregistrement d’un album (exemple : la Star Academy).
3- Les émissions où des candidats évoluent dans un environnement qui leur était inconnu auparavant (exemples : Koh-Lanta, la ferme des célébrités, première compagnie).
4- Les émissions où des candidats doivent prouver leur amour, trouver l’âme sœur, charmer.( opération séduction, l’île de la tentation, the Bachelor).
Il ressort de l’ensemble de ces éléments, que ce genre de programmes, en entrant dans le paysage audiovisuel français, a entraîné des problématiques juridiques nullement envisagées antérieurement. Parmi elles la validité et la qualification du contrat des participants. Ils sont officiellement considérés comme des joueurs du fait d’être liés à une société de production par un contrat de participation accompagné d’un règlement de jeu. Cependant, au sens de la législation française et par consécration jurisprudentielle leur convention est un contrat de travail ce qui leur attribue le statut de salarié.
Un contrat de participation « nul et non avenu »
Une contractualisation des droits de la personnalité nulle
L’article 1108 du Code civil édicte que « quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention : le consentement de la partie qui s’oblige ; la capacité de contracter ; un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; une cause licite dans l’obligation». =
Un consentement et une capacité réelle de contracter
La personne qui s’oblige doit être capable, libre de son choix et éclairée . Il ne plane pas de doute sur le fait que les participants autorisent la société de production à exploiter leurs traits et de leur intimité sans limites. La société de production diffusant Loft story avait stipulé « que les intéressés sont majeurs et doté d’un consentement éclairé ». On peut légitimement juger que toutes les sociétés de production on les mêmes exigences, et par conséquent que tous les postulants ont la majorité et la pleine capacité pour contracter. Par contre, un bémol est présent en ce qui relève du consentement libre sans contrainte. En effet, on peur émettre l’hypothèse selon laquelle il existe une « violence économique » sur l’accord.
Une portée illicite de la volonté
Quand deux parties contractent, il est essentiel que l’objet du contrat soit existant, déterminé et licite.
Dans le contexte du genre téléréalité, l’objet du contrat consiste en la cession des droits de la personnalité. Les parties ont conscience à ce à quoi elles s’engagent. Pour ainsi dire, en l’espèce, les candidats savent qu’ils renoncent à leurs droits de la personnalité en contrepartie d’un gain. Cette dernière supposition reste discutable dans la mesure où parfois l’engagement des candidats est tellement étendu qu’ils n’ont pas réellement en perspective ce à quoi ils consentent. Cela fut le cas dans l’émission loft story, considérant que le «participant donne son autorisation pour la diffusion, la rediffusion, multidiffusion, sur tout le réseau et toute publication, reproduction ou représentation sur tout support possible de ses enregistrements ou de son journal. ».Dans ce cas l’objet du contrat peut être qualifié d’indéterminé.
Quant à la licéité de l’objet de leur contrat, elle est contestable en vertu du fait que les droits à la personnalité sont attachés à la personne, émanent du corps humain et par conséquent se situe hors commerce . L’autorisation des candidats à divulguer leur vie privée pour l’avenir est nul.
Du fait de cette illicéité de l’objet, le contrat est caduc.
Une légalité des motifs déterminant la volonté
Pour qu’un contrat soit approuvable ; au surplus des conditions étudiées précédemment ; une cause doit exister et être licite.
Selon l’article 1133 du Code civil « la cause est illicite, quand elle prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ».
Dans notre cas, les parties s’obligent avec des intentions licites. En effet, il n’est pas contraire à la législation que les motifs déterminants d’un contrat soit attachés à l’appât d’un gain, à un besoin de reconnaissance ou de faire un maximum d’audience afin de remporter la plus grande part de marché.
Cependant, la cause peut être entraînée dans une nullité s’il s’avère que l’objet utilisé pour y arriver est illégal. Cela n’est pas automatique.
La force du contrat malgré une nullité absolue caractérisée
Lorsqu’on distingue l’entrave à un élément fondamental d’un contrat, il en dépend sa validité.
En l’espèce, considérant l’illicéité de l’objet du contrat, ce dernier est entaché d’une nullité absolue. De ce fait, toute personne ayant un intérêt peut demander la nullité du contrat, et ce, même si les parties ont voulu ce contrat. Si la nullité absolue est prononcée par le juge, les partis seront remis dans l’état ou ils se trouvaient avant l’acte.
Cependant, même si le contrat est nul, il continue à exercer un effet obligatoire à l’égard des parties l’ayant signé tant qu’aucune action en justice n’est engagée à cet effet. Malgré cela, il est constaté dans la pratique que les candidats peuvent arrêter à tout moment les émissions de téléréalité, sans que des représailles soient effectuées à leur égard en vertu du contrat. Les sociétés de productions ont bien conscience qu’elles ne peuvent pas se prévaloir en justice de la rupture d’un tel contrat, étant consciente de sa nullité.
Constatons qu’il apparaît difficile pour les intéressés d’engager une action une fois enfermés à huit clos, et qu’il est inutile de faire revenir les partis en l’état ou elles se trouvaient avant l’acte alors que les effets illicites du contrat auront été opérés et seront irrémédiables. En effet, les candidats ne pourront pas rétroactivement revenir sur la renonciation de leur droit à la personnalité, étant donné que l’atteinte sera d’ores et déjà caractérisée.
Jusqu’à présent, aucune dénonciation de la nullité absolue de ces contrats n’a été constatée, mais si à l’avenir un intéressé en fait la demande, il se peut que le contrat ne résiste pas à l’examen du juge.
Au travers de ce contrat de participation « nul et non avenu », les candidats bénéficient du statut de joueur ce qui permet aux sociétés de production d’établir des relations contractuelles souples ; selon les dispositions générales des contrats ; et d’imposer des exigences exorbitantes par rapport au droit du travail .
Force est de constater que la qualification de joueurs ne correspond pas à la réalité du statut des participants des émissions de téléréalité. La Jurisprudence a récemment démontré que la qualification de « salarié » paraît davantage s’appropriée à leur situation.
La Consécration jurisprudentielle de leur convention en contrat de travail
La qualification juridique d’un contrat de travail
En l’absence de définition précise dans le Code du travail, il faut se pencher sur la doctrine et la jurisprudence pour caractériser un contrat de travail.
Il en découle que « Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération».
D’après cette définition, on constate que pour qualifier un contrat en contrat de travail, trois éléments doivent être présents :
- Une prestation de travail.
- En contrepartie de cette prestation, le salarié doit percevoir une rémunération.
- Un lien de subordination entre le salarié et l’employeur. Ce lien se constitue par « l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler et de sanctionner les manquements de ses subordonnés ».
Il semble que pour qualifier une relation de travail le caractère « professionnel » de l’activité importe peu, comme l’articule la Cour de justice des communautés européenne et la doctrine travailliste.
En outre, le juge prête peu d’importance à la qualification que les parties offrent à leur contrat, il s’attarde surtout « aux conditions de fait dans lesquelles s’est exercée l’activité du travailleur ».
Quand un contrat est spécifié de travail, des règles de droit spécifique sont applicables. Entre autres, l’employeur :
- doit incomber à son salarié des horaires de travail au respect de la durée légale maximum.
L’article L 212-4 du Code du travail précise que « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ces occupations personnelles ».
- De plus, les salariés ont droit à un repos, quotidien d’au moins 11 heures consécutives, et hebdomadaires de deux jours.
- il doit le rémunérer au minimum et au prorata des heures supplémentaires effectuées.
- Il doit respecter les règles strictes du licenciement. Les salariés doivent être licenciés sur motif réel et sérieux.
- Il doit respecter sa vie privée et son intimité aux temps et lieu de travail.
Concernant l’implication d’un artiste de spectacle dans une production, il existe une présomption légale de contrat de travail .Cette mesure s’applique, si la présence d’un artiste est discernable.
« La télé-réalité, ce n’est plus un jeu, mais un métier »
Lors de la production de la première émission de téléréalité, certains auteurs avaient émis l’hypothèse selon laquelle on ne pouvait pas dénier le statut de salariés aux participants.
Les juges sont récemment intervenus sur la question en confirmant ces présuppositions.
En effet, le Conseil des prud'hommes de Paris , le 30 novembre 2005, a requalifié le contrat dénommé « règlement participant » de trois participants à l’ « île de la tentation » de la saison 3, en contrat de travail. Le juge a relevé la présence des trois critères qui amènent à relever un contrat de travail à durée déterminée :
- L’engagement des participants pour leur qualité et leur défaut, le fait qu’ils exercent des activités agréables dans un cadre de rêve, sous la conduite d’une mise en scène de la société Glem (devenue TF1 Production), est considéré comme étant une prestation de travail.
- Le versement aux participants de la somme de 1525 euros au titre d’une note de redevances d’un contrat de licence a été requalifié en salaire. Par conséquent, présence d’une rémunération en contrepartie d’une prestation.
- La présence d’un lien de subordination. En annexe à leur « contrat », les participants doivent respecter les « règlements de jeu », c'est-à-dire un certain nombre d’ordres et de directives imposées par la société de production :
- Participer aux activités fixées.
- Se plier aux dizaines d’interviews quotidiennes.
- Rester à la disposition de la production jour et nuit.
- Etre présent sur des lieux de tournages imposés à des heures imposées.
- Interdiction de prendre contact avec le monde extérieur pendant la durée du tournage.
- Obligation de rester sur le lieu de tournage, sous peine de devoir reverser 15 000 euros à la société de production Glem.
De par « les actes d’autorité et le contrôle non équivoques » de la société de production envers les participants de l’île de la tentation, le juge en conclut la présence d’un lien de subordination juridique.
La cour d’appel de Paris, le 12 février 2008, a confirmé cette décision en évoquant dans son jugement « l’exécution d’un travail subordonné caractérisé ».Elle est même aller plus loin en requalifiant le règlement en contrat de travail à durée indéterminée.
TF1 et la société Glem, se sont pourvus en cassation en espérant un revirement de jurisprudence.
La Cour de Cassation réunie en chambre sociale le 3 juin 2009 s’est prononcée sur le statut des participants aux émissions de téléréalité pour la première fois. Dans son arrêt très attendu, elle a confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris, en validant la requalification de contrats des participants de l’île de la tentation en contrat de travail à durée indéterminée.
En ce qui concerne le présent, toutes les personnes ayant participé à une émission de téléréalité durant les cinq dernières années peuvent ester en justice afin d’obtenir la requalification de leur contrat en contrat de travail.
Cette requalification, outre entraînant toutes les sociétés de productions d’émissions de télé-réalité sur une pente glissante et mettant en péril l’industrie de la télé-réalité, permet aux participants d’obtenir des indemnités.
Les conséquences de cette qualification
La requalification du règlement des participants en contrat de travail à durée indéterminée entraîne la condamnation de la société de production à verser aux intéressés : des indemnités liées au contrat de travail et à la rupture du contrat de travail, des dommages et intérêts pour les frais de procédures.
Dans notre cas d’espèce, les trois participants de l’île de la tentation ont empoché, 27 000 euros chacun (soit 8 176 euros d’heures supplémentaires, 817 de congés payés, 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 1 500 euros pour rupture abusive du contrat et 16 000 d’indemnités pour travail dissimulé.)
Si toutes les personnes qui ont participé aux émissions de téléréalité demandent la requalification de leur contrat, et que le juge accueille leurs prétentions, cela pourrait entraîner des conséquences économiques importantes à l’encontre des diverses sociétés de productions. Pour exemple, si le contrat des 126 candidats de la Star Academy devient un contrat de travail, la société de production Endemol devra reverser 14,4 millions d’euros. « La téléréalité ça peut rapporter gros. Aux producteurs et, désormais, aux candidats ».
Pour J.Assous, l’avocat de la défense dans l’affaire « île de la tentation », « c’est la fin de la télé-réalité telle que nous la connaissons ».
Selon Virginie Calmels, PDG d'Endemol France, la production d’émissions de téléralité ne sera pas impossible pour l’avenir mais seulement plus chère!
La consécration jurisprudentielle du statut de salariés aux candidats des émissions de téléréalité va susciter un « véritable bouleversement pour la production audiovisuelle », comme l’a estimé Edouard BOCCON-GIBORD, directeur général de TF1 production. Ce dernier a évoqué la possibilité de créer « un statut des participants aux émissions de téléréalité et de jeux ». Cela s’avérait être un projet intéressant et fort attendu des sociétés de production qui doivent concilier l’inconciliable, la législation sociale ; vue précédemment ; avec la prestation de participants considérés tels des salariés.
Comment appliquer les 35 heures à des salariés filmés presque 24 h/24 h ? Comment leur aménager le repos légal ? Comment étendre le droit du licenciement à des personnes évincées arbitrairement par vote ? Comment répondre aux exigences de la loi de 1992, qui vise à protéger l’intimité et la personne du postulant lors du recrutement ? Les producteurs sont dans l’impossibilité de se plier aux exigences du droit du travail.