RSE, Bioéthique et Droits de l'Homme (fr)

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Compte-rendu de la réunion mixte du 31 janvier 2012 - Commission de droit de l’environnement et Commission Bioéthique du barreau de Paris, réalisé par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction - Lexbase Hebdo — édition privée,

Commission ouverte : Droit de l’environnement
Co-responsables : Patricia Savin, avocat au barreau de Paris

Commission ouverte : Bioéthique et Santé
Co-responsables : Laurence Azoux Bacrie, Yves Lachaud, Soliman le Bigot, avocats au barreau de Paris

Réunion organisée conjointement avec l'Institut des droits de l'Homme du barreau de Paris et l'IDHAE

Intervenants : Michel Doucin, ambassadeur chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises auprès du ministre des Affaires étrangères,


Le concept de RSE

Le concept de la RSE s'est élaboré dans le cadre d'une vision économique et politique postérieure à la Seconde guerre mondiale. En 1953, Howard Bowen rédigeait son ouvrage Social Responsibilities of the Businessman, considéré aujourd'hui comme l'une des sources de la réflexion sur la responsabilité sociale de l'entreprise. Mais l'on peut remonter plus loin. En effet, dès les années 30, les chefs d'entreprises commençaient à s'exprimer sur ce thème et ce dans l'optique d'éviter le désastre social dans un contexte économique fragile.

Le concept de RSE, qui à l'époque était assez voisin de ceux de "paternalisme" et de "patronat social", a évolué avec le capitalisme, un tournant important se situant dans les années 1980. A cette époque s'opère la financiarisation de l'économie mondiale, avec la quasi disparition, pour les grandes entreprises - qui se "transnationalisent"-, du "patron propriétaire" : ces entreprises sont désormais le plus souvent détenues par des financiers. C'est au "manager" non propriétaire que revient le rôle principal, qu'il exerce en tant que médiateur entre les multiples intérêts qui entourent l'entreprise, entre les nombreuses "parties-prenantes". Il doit gérer les contradictions entre leurs attentes et les résoudre dans l'intérêt de l'entreprise. Il doit et motiver les salariés pour dégager de la productivité et motiver les actionnaires pour investir pour un profit à long terme. La théorie de la RSE se complète alors de celle des "parties prenantes" et devient une théorie du management des conflits et des risques. Au même moment apparaît le concept de développement durable et l'idée que l'entreprise doit jouer un rôle dans la préservation de la planète. D'où trois pôles dans la RSE : le social, la gouvernance et l'environnement.

Au niveau mondial, la RSE a été concrétisée par différentes normes s'inscrivant dans la sphère juridique de la soft law, le droit souple dont la seule force contraignante est la pression sociale qui en appuie la mise en oeuvre. Une force qui n'est pas négligeable et n'est pas exclusive de certains aspects contraignants. Le Pacte Mondial en est l'une des premières expressions universelles. Le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait évoqué l'idée du Pacte Mondial dans un discours prononcé au Forum économique mondial de Davos, le 31 janvier 1999. La phase opérationnelle du Pacte a été lancée le 26 juillet 2000. L'idée était de rassembler les entreprises et les organismes des Nations Unies, le monde du travail et la société civile autour de neuf principes universels relatifs aux droits de l'Homme, aux normes du travail et à l'environnement. Depuis le 24 juin 2004, le Pacte Mondial compte un dixième principe relatif à la lutte contre la corruption.

En France, les dirigeants sont à peu près tous formés aux mêmes écoles et, n'y étant guère préparés, ne veulent guère entendre parler de soft law. Or, la RSE s'est construite, au niveau mondial, sur la common law, qui fait couple avec la soft law. Il y a eu une série de "rendez-vous ratés" de ce fait entre la France et la RSE, par une absence d'investissement dans l'élaboration des différentes normes internationales depuis le début du siècle.

Par ailleurs, la loi "NRE" (loi n˚ 2001-420) qui a rendu obligatoire la RSE, sans pour autant prévoir de sanctions en cas de non-respect, a créé un paradoxe incompris hors de nos frontières : une sorte de "hard law" affaiblie. Puis, la loi "Grenelle I" (loi n˚ 2009-967) et surtout la loi "Grenelle II" (loi n˚ 2010-788) ont renforcé fortement - mais avec les mêmes ambiguïtés -, les devoirs des entreprises et les exigences de publication en matière de RSE, en les étendant aux sociétés non cotées, avec une volonté de transparence, vérifiabilité et certification par un "tiers indépendant". Cette dernière loi vise aussi une comparabilité des rapports par des méthodes communes de calcul et d'évaluation. Mais aucune sanction n'est prévue pour les entreprises ne répondant pas aux exigences de la loi. Un décret, dont la parution a été retardée, doit préciser le contenu et les modalités du reporting et des contrôles. Le Conseil national des barreaux est actuellement en train de réfléchir à la possibilité pour l'avocat d'être ce "tiers indépendant". Concernant les sanctions, les actionnaires auraient la possibilité, puisqu'ils sont destinataires de ces informations, d'engager une action en responsabilité civile si cette obligation n'était pas remplie.

Par ailleurs, il existe aussi une norme ISO (Organisation internationale de normalisation) dont l'élaboration a été initiée en 2004 par des associations de consommateurs et qui vise à responsabiliser tous types d'organisations au niveau de leur impact sur la société et l'environnement : la norme ISO 26 000. Cette norme définit cette responsabilité comme basée sur le respect des lois, la conformité aux normes internationales fondamentales, et la contribution au développement durable.


RSE, Bioéthique et Droits de l'Homme

Enfin, la RSE est en train de s'étendre aux droits de l'Homme, au fruit d'un processus de réflexion commencé en 1993 pendant la conférence mondiale de Vienne. En 2004, un projet de norme de l'ONU sur la responsabilité en matière de droits de l'Homme des sociétés transnationales et autres entreprises, élaboré par la sous-commission des droits de l'Homme, composée d'experts, a été rejeté par la Commission des droits de l'Homme composée, elle, d'Etats. L'un des points les plus critiques était la volonté de lui donner un caractère contraignant sans toutefois identifier de différence entre les obligations des Etats et celles des entreprises. La Commission n'a cependant pas abandonné la question. Elle a exigé, dans une résolution de juin 2005, la nomination d'un représentant spécial chargé de cette question. Le Professeur John Ruggie a été nommé fin 2005 à ce poste par le Secrétaire général de l'ONU, avec pour mandat d'identifier et de clarifier des normes relatives à la responsabilité sociale et à la transparence des entreprises au regard des droits de l'Homme. Son rapport de fin de premier mandat, présenté en 2008 au Conseil des droits de l'Homme (qui avait pris la suite de la Commission), a proposé un cadre politique construit autour des trois principes fondamentaux suivants :

— l'obligation pour les Etats d'assurer une protection contre les abus commis par les entreprises ;

— la responsabilité des entreprises de respecter l'ensemble des droits de l'Homme ;

— la nécessité d'offrir des voies de recours aux victimes d'abus commis par les entreprises.

Le Conseil a demandé au représentant spécial, d'ici la fin de son mandat en 2011, "d'opérationnaliser ces trois principes par le biais d'un ensemble de recommandations claires, ainsi que par des directives concrètes sur la responsabilité des entreprises". Et, le 17 juin 2011, les Nations Unies ont adopté les "Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme" issus de son travail. On peut s’interroger quant à leur applicabilité juridique et judiciaire en France. Ces principes prennent en compte la notion de "Due diligence" (diligence raisonnable), notion issue de la pratique du droit américain des affaires et qui risque d'être complexe à adapter aux pays de droit continental. Le barreau de Paris et les participants sont invités à se pencher sur la question, celle-ci étant d'autant plus importante que la Commission européenne a proposé, dans sa communication sur la RSE du 25 octobre dernier, d'inclure les Principes des Nations Unies dans la pratique (juridique ?) européenne. Il faut rappeler qu'était inscrit dans la Déclaration universelle de la Bioéthique et des Droits de l'Homme, d'octobre 2005, le principe d'une responsabilité sociale et de santé. En effet, aux termes de l'article 14, intitulé "Responsabilité sociale et sante" :

"1. La promotion de la santé et du développement social au bénéfice de leurs peuples est un objectif fondamental des Gouvernements que partagent tous les secteurs de la société.

2. Compte tenu du fait que la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques ou sa condition économique ou sociale, le progrès des sciences et des technologies devrait favoriser :

(a) l'accès à des soins de santé de qualité et aux médicaments essentiels, notamment dans l'intérêt de la santé des femmes et des enfants, car la santé est essentielle à la vie même et doit être considérée comme un bien social et humain ;

(b) l'accès à une alimentation et à une eau adéquates ;

(c) l'amélioration des conditions de vie et de l'environnement ;

(d) l'élimination de la marginalisation et de l'exclusion fondées sur quelque motif que ce soit ;

(e) la réduction de la pauvreté et de l'analphabétisme".

Cette disposition a une vocation singulière et remarquable, celle de conférer à la Déclaration des perspectives d'action qui vont au-delà de l'éthique médicale et elle réaffirme la nécessité de placer la bioéthique et le progrès scientifique dans le contexte d'une réflexion ouverte au monde politique et social. Il doit être souligné que cet article 14 élargit considérablement le domaine d'action de la bioéthique, pour prendre en compte les problèmes sociaux et les problèmes fondamentaux associés à la prestation des soins de santé. Il a pour objet d'appeler l'attention des décideurs dans le domaine de la "médecine" et de toutes les "sciences de la vie" sur les préoccupations concrètes de la bioéthique, contribuant ainsi à réorienter la prise de décision bioéthique vers des problèmes qui sont urgents pour nombre de pays. Même si la liste n'est pas exhaustive, cette disposition met en valeur cinq aspects précis comme domaines de décisions prioritaires et universels à prendre en compte. Les parties prenantes sont nombreuses : ce sont les Gouvernements, les groupes organisés au sein des sociétés, tels que les communautés ayant pour signe distinctif par exemple leurs croyances religieuses ou leurs caractéristiques ethniques, les sociétés commerciales, les organisations politiques, les établissements d'enseignement, les services de prévention et de répression et d'autres.

L'analyse bioéthique de l'article 14 devrait s'inscrire dans une perspective mondiale des problèmes de soins de santé que connaissent tous les êtres humains, bien que dans des conditions différentes, avec la prise en compte des ramifications de cette perspective dans des cultures et des traditions différentes. L'article 14 exclut la possibilité de voir dans les frontières géographiques d'une société le point où prennent fin les responsabilités sociales. Si c'était le cas, cela encouragerait les Gouvernements, dans l'exercice de leurs fonctions, à ne se préoccuper que des besoins et des intérêts de leurs ressortissants, et les sociétés commerciales que de ceux de leurs actionnaires, de leurs clients et de leurs employés. Toutefois, s'il est clair que les Etats sont responsables à l'échelon national de leurs citoyens, la santé ne peut plus relever exclusivement de poches d'intérêts et de responsabilités se situant à ce niveau. Le commerce international et la recherche, par exemple, mettent en jeu des relations sociales qui transcendent les frontières nationales (pour aller plus loin voir le rapport du Comité international de bioéthique 2010, sur la responsabilité sociale). Ainsi, on l'aura compris, RSE, Bioéthique et Droits de l'Homme sont liés et il y a encore beaucoup de choses à faire pour promouvoir cette démarche.


Voir aussi

  • Trouver la notion RSE dans l'internet juridique français

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