Absence de garde-corps et logement décent
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
Le 13 septembre 2022
22 juin 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 21-10.512 [1]
Il y a quelques semaines, nous relevions un arrêt (Cass. civ. 2e, 7 avril 2022, n° 20-19746 [2]) ayant refusé de considérer comme cause exclusive du dommage la faute de la victime, celle-ci s’étant assise sur le rebord d’une fenêtre après avoir consommé cannabis et alcool. La 2e chambre civile avait jugé que « la fenêtre située au 5ème étage et à 42 cm du sol de l'appartement, était dépourvue de garde-corps susceptible d'empêcher une chute, ce dont il se déduisait que l'imprudence de la victime n'était pas la cause exclusive du dommage ». L’anormalité de la fenêtre s’inférait de l’absence de garde-corps, alors même que le bas de la fenêtre n’était qu’à 42 cm du sol.
Dans l’arrêt présenté aujourd’hui (Cass. Civ. 3, 22 juin 2022, n° 21-10.512), les faits étaient similaires : une personne chute par une fenêtre dépourvue de garde-corps. La partie basse de la fenêtre était située à moins de 90 cm du plancher.
La victime, qui avait survécu à ses blessures, assignait son bailleur en responsabilité contractuelle, motif pris d’un défaut de délivrance d’un logement décent, comme l’y oblige l’article 1719 1° du Code civil.
La cour d’appel (Paris, 23 novembre 2020) l’avait déboutée, retenant notamment que le décret du 30 janvier 2002 n'oblige pas les bailleurs à créer des dispositifs de retenue des personnes dans les immeubles construits avant 1955.
Se pourvoyant en cassation, la victime soutenait qu’un logement, fût-il antérieur à 1955, n’est pas décent s’il n’est pas doté de garde-corps. Le pourvoi excipait encore de l’article 1721 du Code civil, arguant que le bailleur devait « garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage ». La Haute juridiction rejette le pourvoi, pour deux raisons.
D’une part, la Cour confirme que, dès lors que le décret de 2002 n’impose pas aux bailleurs d’équiper de garde-corps les immeubles anciens, mais simplement d’entretenir les garde-corps existants, il ne saurait être soutenu que le bailleur manque à son obligation de mise à disposition d’un logement décent.
D’autre part, sur le fondement de l’article 1721, la Cour retient que l’absence de garde-corps ne constituait ni un vice de construction, ni une défectuosité dont le bailleur devait répondre, mais une caractéristique apparente inhérente à sa date de construction, dont le locataire pouvait se convaincre lors de la visite des lieux.
Si l’on compare les deux décisions, on observera que l’absence de garde-corps ne constitue ni une atteinte à l’obligation de délivrance d’un logement décent (dès lors que l’immeuble est ancien), ni un vice de la chose louée, ce qui exclut la responsabilité contractuelle du bailleur… mais que la fenêtre dénuée de garde-corps présente une anormalité, susceptible d’engager la responsabilité extra-contractuelle du bailleur du fait des choses.
Comprenne qui pourra !