Arbitrage : du défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Une décision importante à signaler, rendue mercredi dernier par la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 7 juin 2023, n° 21-24968), au sujet de l'importance et de l'impartialité de l'arbitre. Était en cause une sentence partielle rendue en 2013.

Il était reproché à un arbitre de n'avoir point révélé les liens qui l'unissaient au cabinet d'avocats représentant l'une des parties. En particulier, il n'avait pas dit qu'il avait été désigné deux fois arbitre entre 2003 et 2011 par ce cabinet, auquel il avait également délivré deux consultations en 2005 et 2008.

D'autres que nous apporteront un regard plus affuté sur la question mais, à brûle-pourpoint, trois enseignements nous semblent pouvoir être tirés de la décision.

D'une part, la Cour de cassation juge que "Le fait d'avoir demandé, en vain, à l'institution en charge de l'organisation de l'arbitrage, la récusation d'un arbitre en raison d'un prétendu défaut d'indépendance ou d'impartialité, ne constitue pas un motif légitime de ne pas invoquer, devant le tribunal arbitral, l'irrégularité de sa constitution pour la même raison".

Partant, le recours en annulation est irrecevable (et la chose est grave) lorsque le moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral n'a pas été soulevé devant ce même tribunal.

D'autre part, la Cour de cassation juge que la sentence rendue par un tribunal irrégulièrement constitué du fait du manque d'indépendance ou d'impartialité d'un arbitre, peut être également contestée sur le fondement de l'article 1520 5°, ie de sa non-conformité à l'ordre public international.

De quoi atténuer sérieusement l'irrecevabilité évoquée supra. Si la critique de la sentence sur le fondement du 2° (constitution irrégulière) est irrecevable, la fenêtre du 5° (ordre public international) reste ouverte, la sentence rendue par un arbitre non indépendant et impartial violant le principe d'égalité entre les parties et les droits de la défense, composantes de l'ordre public international.

Enfin, et c'est le troisième enseignement, même s'il est plus modeste et factuel, la Cour juge que les relations entre l'arbitre et le cabinet d'avocat (deux désignations et deux consultations par le passé) n'étaient pas suffisantes pour établir un courant d'affaires et un lien de dépendance.

A retenir :

1/il faut donc ET demander à la CCI la récusation de l'arbitre, ET protester devant le tribunal arbitral.
2/ La sentence rendue par un arbitral qui ne serait pas indépendant et impartial peut être attaquée sur le fondement de la contrariété à l'ordre public international.
3/ Il faut établir un véritable courant d'affaires portant atteinte à l'indépendance.