Boot'Shop / Bois-Rouge : encore faut-il être tiers !
France > > Droit civil > Droit bancaire > Responsabilité contarcuelle
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
14 septembre 2022
15 juin 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 19-25.750 [1]
La séquence jurisprudentielle amorcée par l'arrêt Boot'Shop (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255 [2]) et poursuivie en dépit de vives critiques par l'arrêt Bois-Rouge (Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.96) n'en finit pas de produire des séquelles prétoriennes.
L'effet d'aubaine est, au vrai, manifeste. A l'instar de la chauve-souris de La Fontaine, le demandeur change de nature au gré de ses intérêts. Comme une partie au contrat, il peut exciper d'un manquement à une obligation contractuelle, fût-elle de résultat. Comme un tiers, il échappe à toute clause contractuelle. Notre tiers se voit donc octroyer une place plus favorable que celle du créancier, puisqu'il ne peut se voir opposer ni la clause pénale, ni la clause limitative de responsabilité, pas davantage que la clause compromissoire, la clause de conciliation ou celle aménageant le délai de prescription.
Encore faut-il, pour pouvoir prétendre être chauve-souris, être un tiers au contrat. Tel est l'enseignement d'un récent arrêt.
Au cas d’espèce, une banque consent à un emprunteur un prêt de 7,5 millions de francs, remboursable in fine. L’emprunteur avait versé le capital prêtée sur un contrat d’assurance-vie, souscrit auprès d’une seconde banque, dont le rachat devait permettre le remboursement du crédit à terme. L’opération s’avérait moins efficace que prévu, ce qui contraignait notre emprunteur à solliciter une nouvelle ouverture de crédit pour rembourser le premier.
Au décès de l’emprunteur, ses héritiers actionnent les deux banques en indemnisation de préjudices résultant de manquements à leurs obligations d’information et de conseil envers leur auteur (l’emprunteur).
La cour d’appel (Paris, 16 octobre 2019) rejette l’intégralité des demandes. Les héritiers se pourvoient en cassation, se réclamant de la jurisprudence Boot’Shop / Bois-Rouge.
Si la Cour ne revient pas sur cette jurisprudence délétère, elle la juge inapplicable au cas d’espèce, pour une raison simple : « Un héritier ne peut agir sur ce fondement en invoquant un manquement contractuel commis envers son auteur qu'en réparation d'un préjudice qui lui est personnel. N'est pas un préjudice personnel subi par l'héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l'être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession ».
Dès lors que les héritiers ne justifiaient d’aucun préjudice personnel, ils n’agissaient pas en leur nom, ès-qualités de tiers, mais au nom de leur auteur, en responsabilité contractuelle.
L’action sur le fondement de la jurisprudence Boot Shop leur était fermée.
Où l’on voit que même les chauves-souris peuvent prétendre à une once d’orthodoxie.