Caméras de surveillance illégales sur une servitude de passage : la justice tranche en faveur de la vie privée et ordonne leur retrait sous astreinte !
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Elodie Cheikh Husein, avocat au Barreau de Lille [1]
Décembre 2024
Dans sa décision du 3 décembre 2024, le Tribunal judiciaire de Lille (jugement du 3 décembre 2024, chambre 2, RG 22/07152)a condamné une partie à retirer des caméras de surveillance installées sur sa propriété, lesquelles portaient atteinte au droit au respect de la vie privée des bénéficiaires d'une servitude de passage.
Une victoire pour mes clients qui avaient formulé cette demande par voie de demandes reconventionnelles.
Cette condamnation repose sur plusieurs constats factuels et principes juridiques.
Constats factuels
1- Orientation et champ de vision des caméras :
Le tribunal a constaté, sur la base d’un constat d’huissier, que les caméras en question étaient orientées directement sur la servitude de passage utilisée par mes clients.
Extrait de la décision : « Il ressort du constat d'huissier […] que [la partie condamnée] a mis en place un dispositif de vidéo-surveillance à sa fenêtre donnant directement sur la servitude de passage utilisée par [la partie bénéficiaire]. »
'2- Absence d’autorisation et atteinte à la vie privée :
La partie condamnée n’avait pas obtenu l’accord des bénéficiaires de la servitude pour l’installation de ces caméras et n’a pas démontré que son dispositif respectait les obligations légales en matière de protection des données personnelles.
Extrait de la décision : « Or, il est indéniable que ce dispositif, par son installation et son champ de vision, porte une atteinte importante à la vie privée des [bénéficiaires], en violation du principe général de l'article 9 du code civil. »
Fondements juridiques retenus par le tribunal
1-Article 9 du Code civil :
Cet article garantit à chacun le droit au respect de sa vie privée et constitue la base de la condamnation. Le tribunal a estimé que l’installation des caméras, en raison de leur champ de vision couvrant la servitude, constituait une atteinte grave et injustifiée à la vie privée des bénéficiaires.
Extrait de la décision : « La libre jouissance du droit de propriété est limitée par l'atteinte qu'elle pourrait porter à d'autres intérêts, tel que le droit au respect de la vie privée. »
2- Obligations relatives aux dispositifs de vidéosurveillance :
Bien que non explicitement mentionné dans le jugement, il est implicite que la partie condamnée aurait dû se conformer à la législation en vigueur, notamment en matière de protection des données personnelles et de respect des obligations déclaratives auprès des autorités compétentes.
Mesures ordonnées par le tribunal
Le tribunal a non seulement ordonné le retrait des caméras, mais a également assorti cette obligation d’une astreinte en cas de non-exécution dans les délais impartis :
- Délai de mise en conformité : La partie condamnée dispose de deux mois à compter de la signification du jugement pour retirer les caméras.
- Astreinte journalière : À défaut de retrait dans ce délai, une astreinte de 100 euros par jour de retard sera appliquée, dans la limite de six mois.
Extrait de la décision : « Condamne [la partie condamnée] à procéder au retrait de la caméra de vidéosurveillance installée sur son fonds en direction de la servitude de passage, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, et sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé ce délai pour une durée de six mois. »
Analyse et implications
1- Protection des droits des bénéficiaires :
Cette condamnation est une reconnaissance claire que le droit au respect de la vie privée prime sur l’utilisation abusive du droit de propriété, notamment lorsque celle-ci interfère avec une servitude légitime.
2- Respect des obligations légales :
L’absence de déclaration du dispositif de vidéosurveillance et l’omission d’obtenir l’accord des principaux intéressés ont renforcé la condamnation.
3- Obligation stricte d’exécution :
L’astreinte journalière garantit une mise en conformité rapide et incite à l’exécution effective de la décision.