Cautionnement : Equité 1 - Orthodoxie 0
France > Droit privé > Droit civil > Droit bancaire
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
20 septembre 2022
La notion d'exception inhérente à la dette, commune à bien des domaines (cession de créance, de dette, de contrat, subrogation...) n'a jamais été d'une parfaite limpidité.
Il suffit pour s'en convaincre de tourner le regard vers l'art. 1324 C. civ. qui, en matière de cession de créance, range parmi les exceptions inhérentes à la dette la nullité.
Pourtant, la Cour avait posé que "la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle" (Ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15602 [1]).
Ainsi, la nullité peut constituer, tantôt une exception inhérente à la dette, affectant le debitum, existant en quelques mains que se trouve la dette, tantôt une exception purement personnelle au débiteur, affectant l'obligatio.
L'exégète avait quelque peine à justifier ce hiatus.
Dont acte ! La réforme du droit des sûretés (ord. du 15 septembre 2021) avait, pour le cautionnement, abrogé la dichotomie.L'art. 2298 nouveau dispose : "La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur".
Restait à trancher le sort des cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022. Un récent arrêt (Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-22866 [2]) le fait.
Était en cause la prescription biennale de l'art. L. 218-2 C. cons., selon lequel l'action des professionnels contre les consommateurs se prescrit par deux ans. Par le passé, la Cour avait jugé que cette prescription biennale constituait une exception purement personnelle au débiteur, ne pouvant être opposée par la caution (Cass. civ. 1, 11 déc. 2019, n° 18-16147 [3]).
Revirement ! Prenant acte du caractère inique de sa solution passée, qui exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur, mais aussi de la dureté de traiter plus sévèrement les cautions s'étant engagée avant 2022, la Cour modifie sa jurisprudence et décide désormais que, "si la prescription biennale de l'article L. 218-2 procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir".
L'équité en sort grandie.
L'orthodoxie en sort meurtrie, à deux titres.
Qu'est-ce en effet que ce monstre juridique : une exception inhérente à la dette...qui n'est justifiée que par une qualité personnelle au débiteur ? Fera-t-on croire que les qualifications juridiques sont modifiables au gré du sens de l'équité ?
Quid enfin de l'application de la loi dans le temps ? Qui ne verra l'atteinte portée aux prévisions du créancier ?