Clause d’exclusion de solidarité : ne pas confondre avec l’immunité !

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Un récent arrêt (Cass. civ. 3e, 19 janvier 2022, n° 20-15376 [1]) est l'occasion d'un éclairage sur la portée d'une clause exclusive de solidarité.

Au cas d'espèce, un architecte conclut un contrat de maîtrise d'oeuvre relatif à la rénovation d'un appartement. Se plaignant de malfaçons, les maîtres de l'ouvrage l'assignent l'architecte en responsabilité, pour manquement "à son devoir de conseil en omettant d'exiger les plans d'exécution de leur lot par les entreprises et de définir l'objet du marché revenant à chacune d'elles".

La cour d'appel (Nîmes, 6 février 2020) opère un partage de responsabilité. Elle juge que "les désordres sont imputables pour moitié à une faute de l'entreprise qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art (et) à l'architecte qui en s'abstenant de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage".

Au lieu de condamner in solidum l'architecte et les entrepreneurs, l'arrêt d'appel contraint le créancier à diviser ses poursuites, au motif que "le contrat de maîtrise d'oeuvre contient une clause prévoyant que l'architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération". La cour d'appel, observant qu'aucune faute lourde ou dolosive n'était reprochée à l'architecte, donne effet à la clause exclusive de solidarité.

D'où la question posée à la Cour de cassation : la clause d'exclusion de solidarité faisait-elle obstacle à l'indemnisation de l'entier préjudice par l'architecte ?

Une réponse négative s'impose pour la 3e chambre civile, dont le raisonnement repose sur deux temps.

Elle cisèle tout d'abord l'objet de la clause : "Une telle clause ne limite pas la responsabilité de l'architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d'autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d'ouvrage contre l'architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l'entier dommage". En d'autres termes, la clause exclusive de solidarité est inapplicable lorsque la faute de l'architecte a concouru à la réalisation de l'entier dommage.

Elle applique ensuite la règle sus-énoncée : dès lors que "les dommages avaient été causés par la faute de l'architecte, qui s'était abstenu de préparer un projet complet définissant précisément les prestations des locateurs d'ouvrage et d'exiger d'eux des plans d'exécution, ce dont il résultait que la faute de l'architecte était à l'origine de l'entier dommage", la clause d'exclusion de solidarité était sans application.