Compétence-compétence !

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Un arrêt rendu (Cass. civ. 1re, 9 mars 2022, n° 20-21572 [1]) permet à la Cour de cassation de rappeler la force du principe « compétence-compétence ».

Pour mémoire, cette règle, consacrée à l’article 1448 du Code de procédure civile, emporte un effet positif et un effet négatif. L’effet positif signifie que l’arbitre est compétent pour statuer sur sa propre compétence. L’effet négatif signifie que, sauf situation exceptionnelle (nullité manifeste ou inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire), le juge étatique est incompétent pour statuer sur la compétence de l’arbitre.

Au cas d’espèce, la société Ponant confie à la société Fincantieri la construction d’un navire. Le contrat comportait une clause compromissoire. Le constructeur fait appel à différents intervenants pour fournir, qui les générateurs diesel, qui le dispositif anti-incendie. Le navire est immatriculé à Wallis-et-Futuna.

Un incendie se déclare dans la salle des machines. Les assureurs assignent le constructeur et les différents intervenants devant le tribunal de commerce de Mata’Utu (Wallis-et-Futuna).

Le tribunal se déclare incompétent en raison de l’existence de la clause compromissoire. Il considère les différents intervenants comme « directement impliqués » dans l’exécution du contrat de vente, ce dont il résulte que la clause compromissoire devrait leur être étendue si le tribunal arbitral en décide ainsi. Le tribunal de commerce en déduit qu’il n’existe pas ici d’inapplicabilité « manifeste », c’est-à-dire qui saute aux yeux.

Les assureurs soutiennent, au fond comme en cassation, le contraire. Selon eux, le principe compétence-compétence est, comme le prévoit l’article 1506 CPC, supplétif en matière internationale. C’est exact. Encore faut-il que les parties y aient clairement dérogé, comme le juge la Cour : la dérogation doit être « expresse et non équivoque ».

En l’espèce, la prétendue dérogation résultait, selon les assureurs, du fait que les parties avaient prévu un arbitrage ayant son siège à Londres et soumis à la loi anglaise. A leurs yeux, cela emportait que les parties avaient entendu se soustraire au principe compétence-compétence.

L’argument ne convainc pas la Haute juridiction. Le seul fait de choisir comme droit applicable au fond une loi moins favorable à l’extension de la clause compromissoire (cf KFG) ou ignorant le principe compétence-compétence ne saurait constituer une renonciation « expresse et non équivoque » au principe compétence-compétence. Le juge judiciaire français doit se déclarer incompétent. Ce n’est que dans un second temps que l’arbitre, faisant application du droit qu’on lui a assigné, déterminera la portée de la clause compromissoire.