De la déloyauté du bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente
France > Droit privé > Droit civil > Droit des contrats spéciaux
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
En matière de promesses unilatérales de vente, la déloyauté se conçoit plus souvent du côté du promettant que de celui du bénéficiaire. Pourtant, cette déloyauté ne constitue pas un pur cas d’école. En témoigne un récent arrêt (Cass. civ. 3e, 19 janvier 2022, n° 20-13951 [1]).
L’hypothèse est d’autant plus intéressante qu’ici, la mauvaise foi ne se caractérise pas au jour de la promesse, mais au jour de la conclusion de l’acte authentique.
En l’espèce, une promesse unilatérale de vente portant sur un immeuble est conclue le 5 octobre 2011. La promesse stipulait que le bien était vendu occupé.
Le bénéficiaire se rapproche du locataire de l’appartement et conclut avec lui en novembre 2011 un protocole de résiliation amiable du bail et renonciation au droit de préemption, moyennant une indemnité transactionnelle .
Grâce ce protocole, le bénéficiaire s’assure de pouvoir acquérir le bien libre de toute occupation.
L’acquéreur ne révèle pas au promettant l’existence de ce protocole. La vente est conclue en la forme authentique le 17 janvier 2012. 3 mois plus tard, l’acquéreur revend une partie des lots, libres d’occupation.
Le vendeur découvre le stratagème et agit en réparation de son préjudice.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 janvier 2020, fait droit à sa demande. Elle juge que lors de la vente, le bénéficiaire avait fait montre de déloyauté en ne révélant pas l’existence du protocole transactionnel ayant abouti à la libération des lieux. Elle retient qu’au jour de la vente, la rencontre des volontés s’était faite sur un appartement occupé, alors qu’il était en réalité libre.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt. Elle retient que la cour d’appel « a pu déduire de ces seuls motifs que la dissimulation de la libération des lieux par l'occupant en titre, de nature à augmenter de façon significative la valeur du bien, manifestait l'absence de loyauté, de bonne foi et de sincérité de l'acquéreur, ouvrant droit à dommages-intérêts pour le vendeur ».
La portée de l’arrêt ne doit pas être exagérée, s’agissant d’un arrêt de rejet, inédit, au contrôle minimal (la cour d’appel « a pu déduire »), ce qui n’exclut pas quelques observations.
L’arrêt est rendu en matière de déloyauté et non de vices du consentement. Aurait-il été question de dol ou d’erreur, ces vices auraient dû s’apprécier au jour auquel le consentement du promettant a été donné, i.e. au jour de la promesse. Or, à cette date, il n’existait aucune discordance entre la croyance et la réalité : l’appartement était occupé.
Originale, la solution fait peser une pression non négligeable sur tous les bénéficiaires habitués à négocier, sans nécessaire malice, des résiliations anticipées avec les occupants actuels de l’immeuble.