De la loi applicable à la qualité à solliciter une mesure d'instruction

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Une récente décision (Cass. civ. 1re, 9 mars 2022, n° 20-22444) offre à la Cour de cassation l’opportunité de déterminer la loi applicable à la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction (art. 145 CPC).

Au cas d’espèce, deux associations françaises, Sherpa et Les Amis de la Terre France, assignent en référé une société Perenco devant le tribunal de commerce de Paris, aux fins d’obtenir une mesure d’instruction. Était demandée la désignation d’un huissier chargé de procéder à des constatations au sein du siège social de Perenco (sis en France), afin d’établir sa responsabilité à raison de dommages environnementaux survenus en République démocratique du Congo (RDC).

La cour d’appel de Paris juge irrecevables les demandes au regard de la lex causae, i.e. la loi applicable au fond du litige, soit la loi congolaise. Pour les juges du fond, l’action congolaise en réparation du préjudice environnemental est une action attitrée et les associations françaises ne démontrent pas avoir reçu qualité pour agir au titre de dommages survenus en RDC.

Cassation : « la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée ».

Ainsi, la détermination de la qualité à solliciter une mesure d’instruction de l’article 145 CPC relève exclusivement de la lex fori en ce qui concerne les conditions d’exercice de l’action et de la lex societatis (si l’on ose dire, s’agissant d’une association) en ce qui concerne les limites de son objet social. La lex causae, applicable à l’action au fond, est sans pertinence.

La solution, connue (Cass. civ. 1re, 4 juillet 2007, n° 04-15637) paraît logique : à l’instar des mesures d’exécution, les mesures d’instruction ne sont pas gouvernées par la loi applicable au fond de l’action envisagée. Faut-il le rappeler, l’article 145 suppose qu’aucune action au fond n’ait été engagée. Il n’appartient du reste pas au juge des référés de déterminer quelle serait la lex causae.

L’appréciation de la qualité à agir se fait donc au regard de la lex fori, en tenant compte des éventuelles limites de l’objet social apportées par la loi du groupement.