Des goûts et des couleurs
France > Droit privé > Droit civil > Droit commercial
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
Le bleu et le blanc seraient-ils nécessairement associés à des activités de lavage auto ? C'est ce que soutenait, en substance, le pourvoi dans un arrêt rendu (Cass. com., 16 février 2022, n° 20-20429 [1]).
Les faits de l'espèce accusaient une certaine banalité. Une station de lavage auto exerçait sous l'enseigne franchisée Eléphant Bleu. A l’expiration du contrat, Eléphant Bleu demandait l’application d’une clause du contrat de franchise obligeant l’ancien franchisé à repeindre dans les six mois sa station de lavage, sans utiliser « le blanc, symbole de propreté, et le bleu, symbole de l'eau ».
La cour d’appel, voyant dans cette clause une « restriction à la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant », l’avait réputée non-écrite.
Cassation au visa de l’article 1134 ancien du Code : « En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de la restriction apportée par la clause à l'activité de l'exploitant, impropres à établir une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'entreprendre, au regard des intérêts légitimes du franchiseur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».
Dit autrement, le test opéré par la cour d’appel n’était pas le bon. Il ne s’agissait pas de savoir si la clause restreignait la liberté de l’activité commerciale de l’exploitant, mais si elle portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
Il est vrai que l’article L. 341-2 du Code de commerce prévoit que « Toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite ».
Le critère de l’atteinte à « l’activité commerciale » y est expressément prévu.
Néanmoins, ce texte était inapplicable ratione temporis (on pourrait également débattre de son applicabilité ratione materiae). Issu de la loi du 6 août 2015, il ne pouvait avoir pour effet d’invalider une clause valablement stipulée antérieurement.
La Haute juridiction affirme ainsi : « la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, inexistante en l'espèce, remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé ».
Il n’est pas certain que l’affirmation soit toujours vraie. On songe notamment à la récente réforme du droit des sûretés, applicable immédiatement aux cautionnements (y compris « réels ») en cours, alors même qu’on ne peut discerner aucune « rétroactivité expressément stipulée par le législateur ». Les nouvelles dispositions des articles 2302 et suivants ne remettent-elles pas en cause la validité de clauses contractuelles valablement conclues sous l'empire du droit ancien ?