Exception de nullité : ne confondons pas exécution et réalisation des conditions suspensives

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Survivance des temps anciens (quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum), l'exception de nullité est perpétuelle. Lorsque le temps de l'action est révolu, tout n'est pas perdu : l'on peut encore se prévaloir de l'exception de nullité, à perpétuité (Cass. civ. 3e, 4 octobre 2000).

Le champ de cette exception ne cesse de se réduire. La Cour juge que l'exception ne peut plus être invoquée lorsque le contrat a reçu un commencement d'exécution (Cass. civ. 1re, 1er décembre 1998, n° 96-17761). Ce que l'on pouvait aisément admettre par emprunt à la notion voisine de confirmation. En exécutant ses obligations, le débiteur renoncerait à la cause de nullité. Le bât blesse pourtant, puisque la Cour ne distingue pas selon que la nullité est relative ou absolue (Cass. civ. 1re, 24 avril 2013, n° 11-27082 [1]). Or, la confirmation d'une nullité absolue serait sans effet.

L'article 1185 nouveau du Code ne distingue pas davantage : "L'exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n'a reçu aucune exécution".

Un arrêt récent (Cass. civ. 1re, 12 novembre 2020, n° 19-19481 [2]) avait quant à lui précisé que "le commencement d'exécution s'apprécie indépendamment de la partie qui l'avait effectué", ce qui accentue le divorce entre les notions de confirmation et de commencement d'exécution.

A ce jour, tout commencement d'exécution fait obstacle à l'invocation de l'exception de nullité, quels que soient l'auteur de ce commencement d'exécution et la nature de la nullité. Reste à s'entendre sur la notion de commencement d'exécution.

Un arrêt rendu (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.010 [3]) apporte une réponse stimulante. Une promesse de vente avait été conclue sous diverses conditions suspensives, dont le remboursement d'un compte courant. Après avoir remboursé ledit compte courant, le promettant excipait, par voie d'exception, de la nullité de la promesse.

Le bénéficiaire lui opposait la jurisprudence aux termes de laquelle tout commencement d'exécution couvre la nullité. Avec succès, puisque la cour d'appel retient que "les paiements intervenus pour solder les créances de comptes courants visées à l'acte s'analysent en un commencement d'exécution de la promesse".

La Cour de cassation censure l'arrêt, rappelant à bon escient que "une condition suspensive fait dépendre l'obligation souscrite d'un événement futur et incertain mais ne constitue pas l'objet de l'obligation, de sorte que la réalisation de la condition ne constitue pas l'exécution, même partielle, de cette obligation et ne peut, par suite, faire échec au caractère perpétuel d'une exception de nullité".

A retenir : la réalisation d'une condition suspensive, qui se situe en amont de la formation du contrat, ne constitue pas une exécution de celui-ci. Elle ne peut donc faire obstacle à l'invocation d'une exception de nullité.