"Force majeure financière" : c'est toujours non !

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers.


S'il faut le répéter, la prétendue "force majeure financière", résultant de la difficulté éprouvée par le débiteur à payer une somme d'argent, n'existe pas.

Non pas que l'impécuniosité soit un pur concept ou qu'il soit toujours possible, en pratique, de se procurer de l'argent. L'adage genera non pereunt procède en ce sens de la fiction juridique. Plaie d'argent peut être mortelle.

La raison d'être de la règle est plus prosaïque. Si l'on permettait à un débiteur de se soustraire à ses obligations au motif qu'il n'a pas de quoi payer, que vaudrait la parole donnée ? Quel crédit accorder à celui qui dit "je m'engage à vous rembourser...si je puis le faire" ?

Par-delà la ratio legis, la règle s'explique aussi par l'existence d'autres mécanismes. Pourquoi solliciter indument la force majeure, laquelle suppose une véritable impossibilité d'exécuter, quand le droit connaît également le traitement du surendettement des particuliers, les procédures collectives et la révision pour imprévision ?

On ne s'étonnera donc pas de la décision rendue le 15 juin dernier par la 3e chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3e, 15 juin 2023, n° 21-10119).

En cause, un preneur à bail, la société Appart'City, qui n'avait pas payé ses loyers au titre des premier et deuxième trimestre 2020, pendant la crise sanitaire.

Notre preneur soutenait que "l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19" constituait un cas de force majeure propre à l'exonération de son obligation de loyers.

L'argument est, à juste titre, rejeté par la Cour de cassation au visa de l'article 1148 ancien du Code civil. Pour le Quai de l'Horloge, "l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse". Telle est la ligne de démarcation entre imprévision et force majeure. A chacune son domaine.

Par suite, la Cour rappelle sa jurisprudence classique selon laquelle le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118).

Elle en infère que "l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020".

En apparence rigoureuse, la solution nous paraît justifiée tant elle permet de cantonner la force majeure à ce qu'elle ne doit jamais cesser d'être : une excuse en cas d'impossibilité d'exécuter (en ce sens, L. Thibierge, Le contrat face à l'imprévu, Economica, 2011).