La conciliation à géométrie variable

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
19 septembre 2022


 11 mai 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 21-16.023 [1]

Il y a quelques jours, nous nous interrogions sur les raisons ayant poussé la Cour de cassation à juger une clause de conciliation contenue dans un contrat liant un architecte à une SCI maître de l’ouvrage « opposable » au syndicat des copropriétaires agissant en responsabilité contractuelle (« Action du sous-acquéreur et opposabilité de la clause de conciliation : des limites du bricolage », BRDA 9/22, p. 22).

Cette fois-ci, le domaine est identique mais la partie se joue à deux, et non à trois.

Les faits de l’espèce sont simples : un contrat d'architecte contenait une clause selon laquelle « en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire ».

Invoquant des désordres, le client saisit une juridiction, laquelle conclut à l’irrecevabilité de l’action, motif pris de la violation de la clause de conciliation préalable. Visant l’article 122 CPC, la cour d’appel (Orléans, 23 février 2021) conclut à l’existence d’une fin de non-recevoir.

Le pourvoi soutenait que la clause de conciliation était matériellement inapplicable, l’action ayant été engagée, non pas sur le fondement de l’inexécution des obligations contractuelles de l’architecte, mais sur celui de la garantie décennale de l’article 1792 C. civ.

La Haute juridiction lui donne raison : « la clause de saisine de l'ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil et n'a donc pas vocation à s'appliquer dès lors que la responsabilité de l'architecte est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du même code ».

La solution n’est pas nouvelle (voir notamment Cass. civ. 3e, 23 mai 2007 n° 06-15668 [2] ; 23 mai 2019 n° 18-15286 [3], obs. Vincent EGEA à la Gaz Pal n° 362, p. 46). Elle peut s’expliquer par le caractère d’ordre public de la décennale, qui ne supporterait aucun aménagement, pas même une exigence de conciliation préalable.

Elle n’emporte pas pour autant pleinement la conviction, à deux titres au moins.

D’une part, la clause était rédigée en des termes très généraux (« différends portant sur le respect des clauses du contrat »). Or, le fait générateur de la garantie décennale tient, lato sensu, dans la mauvaise exécution du contrat. La ligne de démarcation nous paraît bien fine.

D’autre part, n’y a-t-il quelque paradoxe à juger inapplicable la clause de conciliation préalable, au motif que serait en cause l’article 1792, alors que, dans le même temps, la Cour de cassation vient d’affirmer que le préalable de conciliation concernait toute procédure, jusqu’au référé (Cass. civ. 2e, 14 février 2022, n° 20-22886) ?