La délicate balance entre droit à l'information et respect du droit à la vie privée: la cour de cassation tranche dans son arrêt du 10 octobre 2019 (fr)

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Auteur : Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris

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Octobre 2019


Retrouvez l'arrêt du 10 octobre 2019 [1]


Dans un arrêt n°822 du 10 octobre 2019 (18-21.871), la 1ère chambre civile de la Cour de cassation tranche en faveur du droit à l'information sur le droit à la vie privée.


Dans cette affaire France télévisions avait diffusé, le 13 octobre 2016, dans l’émission “Envoyé spécial”, un reportage consacré à la crise de la production laitière intitulé “Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l’argent du beurre”.


Soutenant qu’une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et invoquant l’atteinte portée à sa vie privée, le président du conseil de surveillance de la société Lactalis, l’a assignée, sur le fondement des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, aux fins d’obtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures d’interdiction et de publication judiciaire.


La Cour d'appel d'Angers rejette ses demandes et un pourvoi en cassation est formé contre cette décision.


Pour la Cour de cassation, le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.


Pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93) .


Il incombe donc au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741).


En l'espèce, si les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation exacte du domicile du dirigeant, caractérisent une atteinte à sa vie privée, le reportage en cause évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial.


Il ajoute que l’intégralité du patrimoine immobilier du directeur n’est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage, de sorte que ces informations s’inscrivent dans le débat d’intérêt général abordé par l’émission.


Il énonce, ensuite, que ce dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il n’a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations. Il constate, enfin, que la vue d’ensemble de sa propriété peut être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste n’a pas pénétré sur cette propriété privée


La cour d’appel a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression et n’avait pas à effectuer d’autres recherches, a donc légalement justifié sa décision de retenir que l’atteinte portée à la vie privée était légitimée par le droit à l’information du public.