La violence économique existe-t-elle (ailleurs que dans les manuels) ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Jusqu’à ce jour, on pouvait douter que la violence économique soit davantage qu’un ballon d’essai, qu’une créature des lochs.

Au temps de l’espoir, qu’illustrait le rattachement de la contrainte économique au vice de violence (Cass. Civ. 1re, 30 mai 2000, n° 98-15242), succéda celui du désespoir, avec l’arrêt Larousse-Bordas (Cass. Civ. 1re, 3 avril 2002, n° 00-12932), qui enserrait la « violence économique » nouvelle-née dans des conditions si strictes qu’elle semblait devoir être cantonnée aux manuels de droit et aux notes de doctrine. La victime de la violence alléguée devait démontrer qu’elle avait été directement menacée pour voir celle-ci sanctionnée. Au cas d’espèce, une salariée craignait de faire l’objet d’un licenciement collectif et avait cédé à bas prix ses droits d’auteur. Rien n’établissant qu’elle ait été personnellement menacée de licenciement si elle ne cédait pas ses droits, le vice de violence était écarté.

On se souvient encore d’un récent arrêt (Cass. Com., 9 juillet 2019, n° 18-12680 [1]). Ici, Transavia soutenait avoir été contrainte d’accepter un avenant imposé par Derichebourg, laquelle aurait augmenté ses tarifs de 20 % en menaçant de cesser ses prestations de maintenance des avions. Aux yeux de la Cour de cassation, le vice de violence n’était pas suffisamment caractérisé, faute pour les juges du fond d’établir la preuve d’une dépendance entre les parties.

A rebours de ces arrêts, une récente décision (Cass.civ. 2e, 9 décembre 2021, n° 20-10096 [2]) admet, pour la première fois à notre connaissance, la violence économique. Un avocat était dans une relation de dépendance économique vis-à-vis de son principal client. Il prétendait avoir dû signer une convention d’honoraires déséquilibrée du fait de cette dépendance. La Cour approuve les juges du fond d’avoir, ayant caractérisé (i) un état de dépendance économique et (ii) un avantage excessif, déduit l’existence du vice de violence, « excluant la réalité d’un accord d’honoraires librement consenti ».

Reste à savoir si, sur le fondement de l’article 1143 nouveau, relatif à la violence par abus de dépendance (pas seulement économique), la jurisprudence se montrera encline à donner à ce vice nouveau un contenu concret.