Le nouveau règlement de procédure des chambres de recours (fr)

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François Pochart, Lionel Martin, Mathilde Rauline, avocats au barreau de Paris
Décembre 2019



  • Pièces, arguments, requêtes : ce qui change dans la procédure d’opposition et de recours, et comment se préparer


Le nouveau règlement de procédure des chambres de recours de l’office européen des brevets (OEB) s’appliquera à compter du 1er janvier 2020, aux procédures dont le recours sera formé à compter de cette date, ainsi qu’aux procédures de recours en instance.


Le changement de taille consiste au traitement par principe comme tardif [1] de toute modification des moyens (amendment to a party‘s case), c’est à dire de tout élément [2] sur lequel ne se serait pas fondée la décision de première instance [3].


Auparavant, au stade de la formation du recours, le règlement de procédure des chambres de recours réservait la possibilité de traiter comme tardif les seuls faits, preuves ou requêtes qui auraient pu être produits en première instance (ou ceux effectivement présentés en première instance mais non admis) [4].


Tout autre élément présenté par le requérant dans le mémoire de recours devait par principe être pris en considération par la Chambre de recours.


Avec le nouveau règlement, cette admission par principe au stade de la formation du recours devient caduque.


Les éléments qui auraient pu être produits en première instance ou qui n’y ont pas été admis continueront à ne plus être admis dans la procédure de recours, sauf circonstance particulière [5].


La révision du règlement de procédure rend plus explicite le fait que les chambres de recours vont uniquement valider ou invalider la décision attaquée [6].


Elle pousse aussi l’application de ce principe de manière plus stricte que la jurisprudence actuelle, au nom d’une plus grande efficacité des procédures de recours.


Concrètement, cela signifie que la Chambre de recours ne prendra en compte que les éléments présentés par les parties en première instance (devant la division d’examen ou la division d’opposition), et qui ont été expressément visés dans la décision première instance attaquée ou dans le procès- verbal de la procédure orale de cette première instance.


Les nouveaux documents, requêtes, les critiques des déclarations ou essais, les documents supplémentaires en réponse à un argument, les nouvelles lignes d’attaque présentés pour la première fois en recours ou tous nouveaux arguments [7] seront considérés comme une « modification » dont l’admission est laissée à l’appréciation de la chambre [8].


Les seules « modifications » que la chambre de recours prendra en compte de manière systématique sont celles sur l’interprétation du droit.


Les parties doivent donc gérer les procédures d’opposition en ayant en tête qu’en recours, elles rejoueront le même match, basé sur les mêmes faits et les mêmes arguments.


Elles pourraient être tentées d’apporter dans la procédure d’opposition des documents ou des arguments moins pertinents, pour qu’ils soient au dossier « au cas où » le besoin s’en fasse sentir en recours.

Cette tactique a été prévue et écartée par le nouveau règlement : les éléments du recours qui ne portent pas sur ce sur quoi la décision attaquée est fondée sont considérés comme une modification, sauf s’il est possible de démontrer que ces requêtes, faits ou objections ont été valablement soulevés et maintenus jusqu’à ce que la division d’opposition prenne sa décision [9].


Il découle de ces dispositions que tout élément présenté dans / au soutien du mémoire de recours ne sera plus automatiquement inclus dans la procédure de recours.


Par ailleurs, le nouveau règlement requiert expressément des parties qu’elles indiquent d’elles-mêmes clairement les « modifications » apportées, et qu’elles justifient de la raison leur soumission à ce stade de la procédure [10].


Le nouveau règlement prévoit des niveaux d’exigences de plus en plus drastiques pour admettre des éléments nouveaux dans la procédure.


Cette approche est décrite comme une « approche convergente à trois niveaux ».


Le premier niveau, développé ci-dessus, a lieu au stade de la formation du recours.


Dans la suite de la procédure de recours, si une partie souhaite modifier ses moyens [11] avant que la procédure orale n’ait été signifiée, elle devra justifier pourquoi elle soumet cette modification à ce stade du recours [12].


Le pouvoir d’appréciation de la Chambre de recours sera exercé de manière encore plus stricte [13] que pour l’examen des modifications présentées avec le recours. Il s’agit du deuxième niveau de l’approche convergente.


Les critères d’appréciation sont assez classiques et prennent en compte l'état de la procédure, la pertinence de la modification pour résoudre les questions soulevées, l'économie de la procédure, et, en cas de modification apportée à une demande de brevet ou à un brevet la démonstration que la modification surmonte de prime abord les questions soulevées et qu'elle ne donne pas lieu à de nouvelles objections [14].


Plus les parties souhaitent apporter des modifications tard dans la procédure de recours, plus la difficulté pour qu’elles soient incluses dans la procédure augmente. Ainsi, la modification de moyens après l’expiration de la réponse à la notification de la R 100(2), ou après la signification de la procédure orale, ne sera pas prise en compte à moins que la partie ne justifie de « circonstances exceptionnelles » [15].


Il s’agit du troisième niveau de l’approche convergente.


La seule dérogation prévue concerne l’intervention du contrefacteur présumé au stade du recours [16] : l’intervenant au stade du recours devrait pouvoir, par exemple, présenter un nouveau motif d’opposition.


Le cas, et en particulier en opposition, se gagnera donc en première instance.


  • Comment aborder ce nouveau règlement :


  • En faisant une lecture attentive du procès verbal de la procédure orale devant la division d’opposition, et en signalant des erreurs / oublis dans ces minutes ;


  • En introduisant dans la procédure d’opposition la totalité des faits et arguments pertinents, et en les soutenant / maintenant jusqu’à la décision de la division d’opposition.


Des dispositions transitoires sont prévues [17] pour les recours qui auront déjà été formés lors de l’entrée en vigueur du nouveau règlement.


Les mémoires de recours produits avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement et les mémoires en réponse produits en temps utile resteront pris en considération par la chambre selon les principes de l’ancien règlement de procédure [18].


Ainsi le premier niveau de l’approche convergente ne s’appliquera pas au mémoire de recours soumis avant le 1er janvier 2020 ou à leur réponse déposée dans les temps.


Par ailleurs, le troisième niveau de l’approche convergente ne s’appliquera pas non plus pour les réponses aux citations à une procédure orale ou aux notifications au titre de la règle 100(2) CBE signifiées avant le 1er janvier 2020.


  • Comment aborder ce nouveau règlement durant la période transitoire :


  • En avançant la formation de votre recours ou la réponse à une notification selon la règle 100(2) CBE avant le 1er janvier 2020, si votre cas le permet ;


  • En étant aussi exhaustif que possible dans vos mémoires de recours déposés avant le 1ier janvier 2020 (arguments, documents, lignes d’attaque / de défense, modification des revendications…). Si le mémoire de recours a été déposé avant le 1ier janvier 2020 et que votre réponse est due après cette date, vous bénéficierez aussi des dispositions de l’ancien règlement : soyez aussi exhaustif que possible dans votre réponse.


D’autres nouveautés apparaissent dans le règlement de procédure des chambres de recours 2020, qui feront l’objet de prochains articles. On peut d’ores et déjà citer l’article 11, qui va limiter les allers retours entre division d’opposition et chambre de recours (à moins que « des raisons particulières » ne le justifient [19]).


Les articles 5 et 10 apportent également une nouveauté, puisqu’il sera désormais possible qu’un recours soit traité avec un autre recours (sur demande des parties, ou d’office, même sans l’accord des parties entendues à ce sujet), ou d’affilée avec cet autre recours.


Le cas envisagé est celui des recours liés entre eux, par exemple parce qu’ils ont trait à des demandes divisionnaires, ou des demandes dont la même priorité est revendiquée.


L’article 10 apporte aussi une avancée utile puisque les parties sauront s’il est fait à une requête en accélération de la procédure.


L’article 15 prévoit la possibilité pour la chambre, avec l’accord express des parties, de formuler les motifs de la décision (ou une partie seulement) de manière abrégée.

Notes

  1. 1 Article 12(4) RPCR (règlement de procédure des chambres de recours de l’OEB) 2020, qui mentionne l’application par principe du pouvoir d’appréciation de la Chambre de recours pour admettre une modification des moyens
  2. 2 motifs, faits, requêtes, lignes d’attaques, arguments, preuves
  3. 3 Article 12(2) RPCR 2020
  4. 4 Première partie de l’Article 12(4) RPCR 2007
  5. 5 Article 12(6) RPCR 2020
  6. 6 de fait déjà dégagée par la jurisprudence (G9/91)
  7. 7 La question du traitement comme « tardif » d’un nouvel argument à tout stade de la procédure pourrait toutefois rester une question ouverte, une jurisprudence récente T1914/12 considérant que l’article 114(2) CBE ne donne pas de pouvoir discrétionnaire aux Chambre de recours pour refuser un nouvel argument
  8. 8 Article 12(4) RPCR 2020
  9. 9 Remarque explicative de l’article 12(4) RPCR 2020
  10. 10 Article 12(4) RPCR 2020, deux derniers paragraphes
  11. 11 motifs, faits, requêtes, lignes d’attaques, arguments, preuves
  12. 12 Article 13 RPCR 2020
  13. 13 Remarque explicative de l’article 13(1) RPCR 2020
  14. 14 Article 13(1) CBE
  15. 15 Article 13(2) CBE
  16. 16 cette approche convergente ne s’appliquant à l’intervenant que « dans la mesure où les circonstances de l’affaire le justifie », Article 14 RPCR 2020
  17. 17 Article 25 RPCR 2020
  18. 18 Article 25(2) RPCR 2020 renvoyant à l’article 12(4) RPCR 2007
  19. 19 a question du fondement de cette limitation peut se poser au regard de la liberté très générale permise par l’article 111(2) CBE