Les baux commerciaux à l'épreuve de la crise : l'heure de vérité pour la Cour de cassation

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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

30 juin 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 21-20.190 [1]

Dire que ces arrêts-pilotes étaient attendus relève de l'euphémisme. Depuis deux ans, la fébrilité étreignait la communauté juridique : la crise traversée devrait-elle modifier les règles du jeu et dispenser le preneur de son obligation de loyers ?

Des plaideurs avaient sollicité tout l'arsenal que leur offrait le Code, qui plaidant la force majeure, qui soutenant que l'article 1195 s'appliquerait, qui se prévalant de l'exception d'inexécution, qui excipant de la perte de la chose louée (art. 1722 C. civ.).

Face à une jurisprudence éclatée, on attendait l'intervention de la Haute juridiction. Voilà chose faite !

Trois arrêts rendus ce jour (Cass. civ. 3, 30 juin 2022, n° 21-20.190[2], n° 21-19889[3] et n° 21-20.127[4]) exposent la doctrine de la Cour de cassation.

Les espoirs placés par certains en l'article 1722 seront douchés : la Cour juge que l'effet de l'interdiction de recevoir du public, "mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil". Exit la perte de la chose !

Idem de l'exception d'inexécution : l'impossibilité d'exploiter étant imputable au législateur et non au bailleur, l'exception ne saurait prospérer.

Quant à la force majeure, la Cour ne raisonne pas sur le terrain de la force majeure financière (la prétendue impossibilité de payer une somme d'argent) mais sur celui de l'impossibilité pour le créancier (ici le preneur) de recevoir la contrepartie promise (la jouissance paisible). La Cour rappelle que la force majeure ne peut être invoquée que par le débiteur qui ne peut exécuter, et non par le créancier qui ne peut recevoir.

Enfin, le bailleur qui a proposé de différer un mois de loyer (avril 2020) est jugé de bonne foi.

Dernier point, quant au pouvoir du juge des référés : la Cour affirme dans le second arrêt que "les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable".

Dont acte : la force obligatoire l'emporte, et les loyers restent dus.

Orthodoxe, la solution évite de malmener les règles du Code civil, mais également de s'inscrire en porte-à-faux de la législation d'exception. Si le législateur avait voulu dispenser les preneurs de leur obligation de loyer (il n'est pas certain qu'une telle mesure soit constitutionnelle), il l'aurait fait.