L'usufruitier, l'associé et le mandataire

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Question simple : qui, de l’usufruitier ou du nu-propriétaire, a la qualité d’associé d’une SCI ?

Première réponse : le nu-propriétaire a la qualité d’associé (en ce sens, Cass. com. 4-1-1994 n° 91-20.256 [1], évoquant le « droit des associés et donc du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives »).

Est-ce à dire, a contrario, que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé ?

Oui, a affirmé la Cour de cassation dans un avis du 1er décembre 2021 (Cass. com., 1er décembre 2021, n° 20-15164 [2]). A ses yeux, « Il résulte de la combinaison des articles 578 C. civ. et du décret du 3 juillet 1978 que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, mais qu'il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance ».

La position relève de la dialectique. Par principe, l’usufruitier n’a pas le droit de provoquer une délibération des associés, car il n’est pas associé. Par exception, lorsqu’est en cause une décision susceptible d’affecter directement son droit de jouissance, l’usufruitier peut provoquer une telle délibération des associés.

Dans un arrêt rendu (Cass. civ. 3e, 16 février 2022, n° 20-15164 [3]), la troisième chambre civile Cour de cassation met en mouvement cette dialectique.

Au cas d’espèce, l’usufruitier de parts d’une SCI critiquait l’arrêt d’appel (Bordeaux, 11 février 2020) qui l’avait déclaré irrecevable à solliciter la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif que le demandeur n’ayant « pas la qualité d'associé et n'ayant pas soutenu que la question à soumettre à l'assemblée générale avait une incidence directe sur le droit de jouissance des parts dont il avait l'usufruit, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que sa demande de désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés était irrecevable ».

Dit autrement, l'usufruitier de parts de SCI n'a qualité à agir en désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés que si est en cause une décision ayant une incidence directe sur le droit de jouissance de ses parts.