Masque africain acheté 150 euros et revendu quatre millions: Voir la décision du tribunal d'Alès du 19 décembre 2023
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Frédéric Mansat Jaffré, avocat au barreau de Nîmes
Décembre 2023
Composition lors des débats et du délibéré :
PRESIDENTE : Mme Julia SALERY, Vice-présidente (magistrat rédacteur)
ASSESSEURS :M Kellian BLANCHET, Juge placé
M Jean-François GOUNOT, magistrat à titre temporaire
GREFFIERE :Mme Stéphanie RODRIGUEZ
Après en avoir délibéré conformément à la loi, le Tribunal a rendu sa décision le 19 Décembre 2023 par mise à disposition au greffe ;
Jugement rendu par mise à disposition au greffe 19 Décembre 2023 ;
PARTIES :
DEMANDEURS :
Mme C. F.
représentée par Maître Frédéric MANSAT JAFFRE de la SELARL MANSAT JAFFRE, avocats au barreau de NIMES,
M. A.F..
représenté par Maître Frédéric MANSAT JAFFRE de la SELARL MANSAT JAFFRE, avocats au barreau de NIMES,
DEFENDEUR :
MONSIEUR A.V. de nationalité Française Profession : Antiquaire
représenté par Me Patricia PIJOT, avocat au barreau de MONTPELLIER, Me Marine VASQUEZ, avocat au barreau d’ALES,
PARTIE INTERVENANTE :
REPUBLIQUE GABONAISE
Immeuble vitré sis à la rue [... ] LIBREVILLE GABON
représentée par Me Guillaume GARCIA, avocat au barreau d’ALES, D105, Me Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON,
Exposé du litige
Madame C. R. épouse F. et M. A.F. (ci-après les époux F.) ont fait appel à M. A. V., aux fins d'enlèvement de tous les objets présents dans leur résidence secondaire située sur la commune de [...] (30) qu'ils avaient le projet de vendre.
Le 28 septembre 2021, M. A. V. a acquis auprès de Madame C. R. épouse F. un masque africain pour un montant de 150 euros.
Le 7 octobre 2021, M. A. V. a contacté les hôtels de vente Drouot Estimation et Fauve Paris qui ont respectivement estimé ce masque entre 100 et 120 euros et entre 400 et 600 euros.
Puis, à l'occasion d'une vente d'objets d'art africain par l'Hôtel des ventes de Montpellier, M. A. V. a pris attache avec celui-ci, lequel, après expertise, a estimé ledit masque entre 300 000 et 400 000 euros.
La requête de vente du 11 février 2022 adressée à l’hôtel des ventes de Montpellier est rédigée au nom de M. A. V. et Monsieur S.B. Ce dernier était le jardinier des époux F..
Lors de la vente aux enchères du 26 mars 2022, le masque africain a finalement été adjugé au prix de 4 200 000 euros à un acheteur anonyme. En conséquence, une somme de 3 171 959,40 euros a été versée à l’indivision composée de M. A. V. et Monsieur S.B.
M. A. V. a proposé aux époux F. de leur reverser la somme de 300 000 euros. Un protocole d’accord devait être signé fin avril 2022 mais a échoué en l’état de l’opposition des enfants du couple F..
Par requête du 3 mai 2022, les époux F. ont saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès afin de solliciter l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire des sommes détenues par M. A. V..
Par ordonnance du 3 mai 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès a autorisé cette saisie conservatoire pour sûreté et garantie de la somme de 5 250 000 euros.
Le 10 mai 2022, la saisie conservatoire a été pratiquée entre les mains de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et a abouti à bloquer la somme de 1 452 676,58 euros. Elle a été dénoncée aux débiteurs le 17 mai 2022.
Les époux F. ont assigné le 19 mai 2022 M. A. V. devant le tribunal judiciaire d'Alès aux fins notamment de voir prononcer la nullité du contrat de vente et condamner l'acheteur à leur payer la somme de 5 250 000 euros, outre 25 000 euros à titre de dommages-intérêts et 8 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par exploit du 14 juin 2022, M. A. V. et Mme A. R. ont fait assigner les époux F. devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès aux fins notamment de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée.
Par jugement du 27 octobre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire.
Par arrêt du 28 juin 2023, la cour d’appel de Nîmes a infirmé cette décision, ordonnant le cantonnement de la saisie conservatoire pour sûreté et garantie de la somme de 3 171 959,40 euros, validant la saisie conservatoire pour ce même montant. A la suite d’une nouvelle procédure de saisie conservatoire, c’est une somme de 864 983,63 € qui a pu être appréhendée.
Le 16 octobre 2023, la république Gabonaise représentée par l’agence judiciaire de l’Etat a adressé au tribunal judiciaire d’Alès des conclusions d’intervention volontaire dans lesquelles elle demande de :
-DECLARER recevable et bien fondée l’intervention volontaire à titre principal de la République Gabonaise, représentée par l’Agence Judiciaire de l’Etat ;
-ANNULER les ventes du masque FANG de la société NGIL en date du 28 septembre 2021 entre les époux F. et M. A. V. et en date du 26 mars 2022 par l’entremise de L’HÔTEL DES VENTES DE MONTPELLIER LANGUEDOC ;
-DIRE recevable et bien fondée en son action en revendication la République Gabonaise, représentée par l’Agence Judiciaire de l’Etat ;
AVANT DIRE DROIT,
-ORDONNER la consignation par M. A. V. de la somme de 4 200 000 € au titre du prix de vente versée le 26 mars 2022 ;
-SURSEOIR à statuer sur les demandes de Mme C. F., M. A.F.., M. A. V. et Mme A. R. dans l’attente de l’issue de sa plainte pénale auprès de Monsieur le Procureur de la République du Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER (Pièce 2), voire de l’information ouverte par le Juge d’instruction qui pourra par la suite être désigné des appels en cause de L’HÔTEL DES VENTES DE MONTPELLIER LANGUEDOC et de l’acquéreur final du masque.
En toute hypothèse,
-CONDAMNER in solidum Mme C. F., M. A.F., M. A. V. et Mme A.R. ou qui mieux le devra à payer à la République Gabonaise la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
-CONDAMNER les mêmes aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de la recevabilité de son intervention, la République Gabonaise indique qu’il est constant que dans le cadre d’un litige portant sur la propriété d’un bien que se disputent les parties originaires, l’intervenant qui le revendique à son tour est recevable à agir.
En outre, au visa de la loi gabonaise n°2/94 du 23 décembre 1994 portant sur la protection des biens culturels, la République gabonaise a le droit d’entreprendre toutes actions visant au rapatriement des biens culturels exportés illicitement. La République gabonaise estime que MONSIEUR René-Victor F., grand-père du demandeur, n’a pas pu se voir remettre spontanément le masque litigieux, indispensable au respect des normes sociales, à l’application du droit et au fonctionnement de la Justice au sein des populations FANG.
La République gabonaise considère ainsi que l’accaparement du masque par MONSIEUR René-Victor F. revêt une qualification délictuelle. Ce faisant, pour une bonne administration de la justice, elle sollicite un sursis à statuer compte tenu d’une part, de l’existence d’une plainte pour recel déposée le 13 octobre 2023 auprès de Monsieur le procureur de la République de Montpellier.
D’autre part, ce sursis à statuer est demandé afin qu’elle puisse appeler en la cause l’hôtel des ventes de Montpellier et l’acquéreur final du masque litigieux.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 octobre 2023, les époux F. demandent au tribunal de :
ENJOINDRE à M. A. V. de produire la page de son «livret de police» concernant l'achat par lui des biens meubles cédés par les époux F. en 2021,
Sur l’intervention volontaire de la République du Gabon :
-DECLARER l'intervention volontaire de la République du Gabon, prise en la personne de son agent judiciaire, irrecevable faute d'intérêt à agir par application des articles 31 et 32 du Code de Procédure Civile,
-DEBOUTER la République du Gabon, prise en la personne de son Agent Judiciaire, de ses entières demandes, fins et conclusions,
-CONDAMNER la République du Gabon, prise en la personne de son Agent Judiciaire, à payer aux époux F., une somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC,
A TITRE PRINCIPAL,
-DEBOUTER M. A. V. de ses entières demandes, fins et conclusions,
-RENVOYER M. A. V. à mieux se pourvoir au fond, en se retournant contre l'acheteur du masque lors de la seconde vente, survenue en l’Hôtel des ventes de Montpellier, le 26 mars 2022,
-ANNULER la vente survenue le 28 septembre 2021, entre les époux F. et M. A. V. portant sur le masque africain,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. la somme de 4 200 000 euros titre de dommages et intérêts, en réparation de l'annulation de la vente du 28 septembre 2021 avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 10 jours calendaires suivant la signification du jugement à intervenir et courant pendant un délai de six mois,
-VALIDER la saisie conservatoire de créance dénoncée le 9 août 2023 à M. A. V., à hauteur de 865 591,38 euros,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices moraux, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d’un délai de 10 jours calendaires suivant la signification du jugement à intervenir et courant pendant un délai de six mois,
-ORDONNER la capitalisation des intérêts,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. une somme de 8000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais de saisie conservatoire par eux avancés,
-ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
-ANNULER la vente survenue le 28 septembre 2021, entre les époux F. et M. A. V. portant sur le masque africain,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. la somme de 3 171 959,40 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de l'annulation de la vente du 28 septembre 2021, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 10 jours calendaires suivant la signification du jugement à intervenir et courant pendant un délai de six mois,
-VALIDER la saisie conservatoire de créance dénoncée le 9 août 2023 à M. A. V., à hauteur de 865 591,38 euros,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices moraux, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 10 jours calendaires suivant la signification du jugement à intervenir et courant pendant un délai de six mois,
-ORDONNER la capitalisation des intérêts,
-RENVOYER M. A. V. à mieux se pourvoir au fond, en se retournant contre l'acheteur du masque lors de la seconde vente, survenue en l’Hôtel des ventes de Montpellier, le 26 mars 2022,
-CONDAMNER M. A. V. à payer aux époux F. une somme de 8000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais de saisie conservatoire par eux avancés,
-ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au soutien de leurs prétentions et à titre liminaire, les époux F. concluent à l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de la République gabonaise.
D’une part, ils indiquent que cet intervenant se présente, sans justifier d'un mandat valable des autorités gabonaises actuelles dont la légitimité démocratique pose question en raison du récent coup d’état militaire.
D’autre part, ils soutiennent que l'intervenant volontaire n'a aucun intérêt à agir dans la présente procédure dès lors qu’aucun lien de droit n’existe entre la République du GABON et les époux F..
Au fond, les époux F. sollicitent d’abord la nullité du contrat de vente du 28 septembre 2021 en raison de l’erreur commise sur l’authenticité du masque laquelle a vicié leur consentement. Ils soulignent avoir pensé que le bien était un masque traditionnel gabonais, communément mis en circulation sur le marché. Le certificat de vente du 28 septembre 2021 indique à ce propos qu’il s’agit « d’un masque africain avec rafia troué à restaurer ». Ils ajoutent qu’ils n’avaient aucune connaissance en matière d’art africain.
Ce n’est que grâce aux analyses effectuées avec la méthode du carbone 14, couplée à une spectrométrie de masse, que le masque a pu être daté du 19ème siècle. De plus, l'expertise réalisée par un ethnologue a mis en évidence ses qualités essentielles, notamment la qualité du bois, le rotin tressé, la barbe de fibre de raphia, la finesse des traits, ainsi que le lieu et l’époque de sa confection. Aucun aléa, ni doute sur la provenance du masque n'a été prévu, ni évoqué lors de la vente.
Cette erreur est excusable en ce qu'ils ont légitimement fait confiance à l'acheteur, professionnel de l'estimation des œuvres d'art, mandaté à cet effet. L'erreur sur la valeur est indirecte, elle n'est que la conséquence de l'erreur sur les qualités essentielles.
Ensuite, les époux F. sollicitent la nullité du contrat, estimant que leur consentement a été vicié par le dol. Ils soutiennent que M. A. V. a retenu de manière consciente des informations, qu'il n'ignorait pas la valeur réelle du masque ou, à tout le moins, avait un doute sur celle-ci, car, après la vente, il a fait rapidement procéder à l'expertise du masque et a insisté auprès des vendeurs pour obtenir plus d'informations sur les origines du masque.
Ils ajoutent que M. A. V., de mauvaise foi, s’est rendu auteur de manœuvres frauduleuses avec l’aide d’un tiers, le jardinier des vendeurs, dans l’unique but de vicier le consentement des époux F..
Enfin, sur le fondement de l’article 1112-1 du code civil, ils soutiennent que M. A. V. a manqué à son obligation précontractuelle d’information en ce que, mandaté pour réaliser une juste estimation du mobilier et en négocier le prix de manière raisonnable, il s’est empressé d’acquérir ce dernier sans conseiller ses clients.
Ainsi, les époux F. soutiennent que la nullité de la vente doit être prononcée et que la responsabilité contractuelle de M. A. V. est engagée. A titre principal, compte tenu de l’impossibilité d’obtenir la restitution de leur masque, lequel a fait l’objet d’une seconde vente le 26 mars 2022, ils indiquent que seule la condamnation de M. A. V. au paiement de dommages-intérêts réparera leur préjudice. Ils sollicitent ainsi un préjudice de perte de chance de récupérer leur masque évalué à 4 200 000 euros.
En outre, ils estiment avoir subi un préjudice moral d’un montant de 25000 euros du fait de l’attitude de M. A. V. qui, de mauvaise foi, conteste la véracité des conditions de réalisation de la vente.
A titre subsidiaire, les époux F. sollicitent la somme de 3 171 959,40 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l’annulation de la vente, ce qui correspond au prix reçu par M. A. V. après déduction des frais.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2023, A. V. demande au tribunal :
A TITRE LIMINAIRE,
-DEBOUTER la République gabonaise de ses demandes, fins et conclusions,
-LA DECLARER irrecevable à intervenir volontairement à la présente procédure qui lui est totalement étrangère,
-LA CONDAMNER à payer à M. A. V. la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC.
A TITRE PRINCIPAL,
-DEBOUTER les époux F. de leurs demandes,
-ORDONNER la mainlevée totale de la saisie conservatoire opérée sur tous les comptes bancaires de M. A. V. selon arrêt de la Cour d’appel de NIMES en date du 28.06.2023,
A TITRE SUBSIDIAIRE, en cas d’annulation de la vente : Au principal,
-LIMITER la condamnation de M. A. V. à la somme de 299 850 euros,
-ORDONNER la mainlevée partielle de la saisie conservatoire opérée sur tous les comptes bancaires de M. A. V. selon arrêt de la Cour d’appel de NIMES en date du 28.06.2023 pour le surplus,
Au subsidiaire et à titre reconventionnel, en cas de condamnation à la restitution d’une somme supérieure à la valeur objective du bien litigieux,
-CONDAMNER à titre reconventionnel les époux F. au paiement à M. A. V. à la somme de 2 871 226,03 € au titre des dommages intérêts pour enrichissement injustifié,
-ORDONNER la compensation entre les créances réciproques,
-ORDONNER la mainlevée partielle de la saisie conservatoire opérée sur tous les comptes bancaires de M. A. V. selon arrêt de la Cour d’appel de NIMES en date du 28.06.2023 pour la somme allant au-delà de 299 850 euros,
-DEBOUTER les époux F. de leur demande de condamnation de M. A. V. à leur payer la somme de 25 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers dus à la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
-DEBOUTER les époux F. de leur demande tendant à voir assortir la condamnation principale d’une astreinte, de leur demande de capitalisation des intérêts, de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
-CONDAMNER in solidum les époux F. au paiement de la somme de 10 000 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens liés à la présente instance,
-ECARTER l’exécution provisoire de droit compte tenu de l’ancienneté du litige et des conséquences manifestement graves que l’exécution provisoire pourrait entraîner tenant l’enjeu financier que le litige présente.
A titre liminaire, M. A. V. soutient l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de la République du Gabon dès lors que, d’une part que celle-ci ne démontre pas de sa qualité à agir, en l’état d’une situation politique perturbée du fait du renversement récent du président ALI BONGO et d’autre part, qu'elle n'aurait pas d’intérêt à agir dès lors qu’il s’agit d’une action en revendication de la propriété du masque alors que l'objet de la présente instance est une action en nullité relative de la vente de ce dernier.
Au soutien de ses prétentions, M. A. V. indique que l’annulation de la vente ne peut être prononcée sur le fondement de l’erreur.
Tout d’abord, il estime que l’erreur des vendeurs ne concerne que la valeur économique de l’objet et non ses qualités essentielles.
Ensuite, il soutient qu’à supposer que l’erreur porte sur les qualités essentielles de la chose objet du contrat, elle est chassée par deux aléas acceptés des vendeurs.
Enfin, il affirme que les vendeurs sont eux-mêmes à l’origine de la présente situation, dès lors que l’erreur qu’ils ont commise est inexcusable.
Ensuite, il soutient n’avoir commis aucune réticence dolosive dès lors qu’il est brocanteur et non antiquaire et ne peut être considéré comme un professionnel de l'estimation. Il n'a aucune connaissance en art africain.
Ce n'est pas son doute sur les qualités substantielles du masque et son authenticité qui a induit les expertises mais plutôt le souhait de revendre l'objet au prix le plus juste. Il soutient également que les expertises menées sur le masque l’ont été à l’initiative du commissaire-priseur de l’hôtel des ventes de Montpellier.
Ainsi, ce n’est qu'à la suite des expertises techniques effectuées par deux spécialistes de l’art africain primitif que l’hôtel des ventes de Montpellier a pu vérifier l’authenticité de l’objet et estimer le masque à 300 000 euros en vue de sa mise en vente aux enchères publiques le 26 mars 2022.
Sa démarche de vouloir vendre le masque, ainsi que tous les autres objets africains, dans le cadre d'une vente aux enchères, ne démontre en rien la conscience qu'il pouvait avoir de la valeur dudit masque qui a été vendu aux côtés d'autres objets provenant du grenier des vendeurs. Il n'a eu connaissance de la valeur réelle du masque qu'à l'occasion de son estimation par l'hôtel des ventes de Montpellier et ne sachant pas à quel prix il allait être vendu, il a attendu le résultat de la vente pour faire une proposition aux acheteurs.
En outre, il soutient qu’il n’a pas manqué à son obligation précontractuelle d’information, dans la mesure où sa connaissance de la rareté de l'objet et, par la même, sa valeur, n'est intervenue que postérieurement à son achat aux époux F., puisqu'il n'a été informé de l’estimation du prix de l’objet que par les expertises et estimations initiées postérieurement par l'hôtel des ventes de Montpellier. Il n’est en outre pas intervenu pour estimer les biens les époux F.. Il a donc acquis le masque africain en toute bonne foi.
Il estime donc que la proposition faite aux époux F. de leur offrir le prix de l’estimation, à savoir 300 000 € ne peut être considérée comme un aveu judiciaire.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où l’annulation de la vente serait prononcée, il soutient que c’est la somme de 299 850 € (300 000 € moins 150 €) qui doit être restituée aux époux F. en ce que d’une part, l’aléa des enchères ne peut aucunement être pris en considération pour évaluer le prix de restitution.
D’autre part, il soutient que restituer aux époux F. le prix total de l’adjudication constituerait un enrichissement sans cause qu’il serait juridiquement fondé à faire valoir dès lors que c’est grâce aux démarches qu’il a entreprises que cette adjudication a pu avoir lieu.
Enfin, M. A. V. sollicite le débouté de la demande de dommages- intérêts à hauteur de 25 000 euros des époux F. dès lors qu’ils ne démontrent pas de la réalité de leur préjudice, ne s’étant jamais préoccupés du masque et des biens ramenés d’Afrique par leur ancêtre qui y occupait des fonctions de gouverneur.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2023, la clôture de la mise en état a été ordonnée au 17 octobre 2023.
A l’audience de plaidoirie du 31 octobre 2023, les parties ont soutenu oralement les termes de leurs dernières conclusions.
La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 19 décembre 2023, date du présent jugement.
Motifs de la décision
1-Sur la recevabilité de la demande d’intervention volontaire de la République gabonaise
Selon l’article 325 du code de procédure civile, l’intervention n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
L’intervention étant une demande en justice, elle est soumise aux conditions de recevabilité de droit commun requises à ce titre : la capacité, l’intérêt et la qualité à agir.
L’appréciation de l’intérêt à agir de l’intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond.
En l’espèce, la République gabonaise a notifié des conclusions en intervention volontaire le 16 octobre 2023, soit la veille de la clôture. Faisant preuve de diligences, les parties y ont répondu par conclusions notifiées le 16 octobre 2023 et le 17 octobre 2023.
L’objet du litige porte sur l’annulation de la vente d’un masque africain en date du 28 septembre 2021 entre les époux F. et M. A. V. et la restitution du prix de la vente.
Il s’agit ainsi d’une action en nullité relative de la vente d’un objet qui n’est plus entre les mains des parties à la présente affaire, de sorte que toute action en revendication ne peut prospérer dans le cadre du présent litige qui ne vise pas à ordonner la restitution de l’objet de la vente, c’est-à-dire le masque, mais la restitution du prix.
Or, dans ses conclusions en intervention volontaire, la République gabonaise sollicite l’annulation des ventes du masque FANG de la société NGIL en date du 28 septembre 2021 entre les époux F. et M. A. V. et en date du 26 mars 2022 par l’entremise de L’HÔTEL DES VENTES DE MONTPELLIER LANGUEDOC dont elle revendique la propriété.
Par conséquent, l’intervention volontaire notifiée le 16 octobre 2023 par la République gabonaise étant effectuée dans le cadre d’une action en revendication de propriété, elle est irrecevable pour défaut de lien suffisant avec les prétentions originaires des parties.
Contrairement à ce que sollicitent les parties constituées, aucun motif en équité ne justifie que soit prononcée à l’encontre de la République gabonaise une condamnation au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elles seront donc déboutées de leurs demandes en ce sens.
2-Sur la demande d’injonction de communiquer la page du livret de police de M. A. V. concernant l'achat des biens meubles cédés par les époux F., le 28 septembre 2021.
En application des articles 321-7 du Code pénal et R 321-3 du code pénal, les brocanteurs ont l’obligation de tenir un « livret de police » afin de prévenir les faits de recel de biens.
En l’espèce, M. A. V. a versé aux débats l’extrait du livre de police sur lequel figurent les quatre objets qu’il a achetés à Mme F. (numéro 929, 930, 931, 932).
Par conséquent, la demande de communication de pièces formée par les époux F. est sans objet.
3-Sur l’action en nullité du contrat pour erreur sur la qualité essentielle de l’objet de la vente
Sur le fondement de l’article 1130 du code civil, il est possible d’obtenir l’annulation d’un contrat pour erreur quand trois conditions sont réunies : l’erreur doit être déterminante du consentement, substantielle en ce qu’elle doit porter sur une qualité contractualisée de l’objet et excusable, cette dernière condition étant appréciée in concreto.
Tout d’abord, pour que l’erreur soit de nature à entraîner la nullité du contrat, elle doit avoir été déterminante, c’est-à-dire que si elle n’avait pas été commise, le contractant aurait été dissuadé de contracter.
En l’espèce, le 28 septembre 2021, les époux F. n’avaient pas envisagé que le masque africain, entreposé dans le grenier de leur résidence secondaire depuis de nombreuses années, ait été un authentique masque FANG revêtant par conséquent une valeur artistique et historique singulière ayant conduit à son adjudication, quelques mois plus tard, au prix de 4,2 millions d’euros.
En effet, la vente du masque intervient alors que les époux F. sont en train de vider de ses meubles leur maison secondaire en vue de sa vente. Le masque est vendu comme un bien parmi d’autres de sorte que l’erreur sur ses qualités substantielles a été déterminante de leur consentement dès lors qu'ils n'auraient pas contracté dans les mêmes conditions s'ils avaient eu connaissance de ces qualités.
Pour apprécier le caractère substantiel de l’erreur, l’article 1136 du code civil précise qu’il ne s’agit pas d’une erreur sur sa valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte. Pour que l’erreur soit substantielle, l’article 1133 du code civil précise qu’elle doit porter sur les qualités essentielles de la prestation, c’est-à-dire celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
En l’espèce, le certificat de vente du 28 septembre 2021 indiquait à propos du masque litigieux qu’il s’agissait « d’un masque africain avec rafia troué à restaurer, boucle d’oreille en tissu rouge, hauteur 54 cm ». Cette description particulièrement neutre laissait à penser que la vente portait sur un masque traditionnel africain communément mis en circulation.
Or, il s'agissait d'un masque Ngil, du nom de la société secrète qui officiait jusque dans les années 1920 au Gabon au sein du groupe ethnique des Fang. Cette pièce en bois de fromager recouvert de kaolin est exceptionnelle du fait de sa rareté puisqu'il n'existerait qu'une petite dizaine d'autres spécimens de référence connus dans le monde, à travers les musées et les collections d'Occident.
Ce faisant, les vendeurs n’ont pas seulement fait une appréciation économique inexacte de la valeur présentée par le masque vendu. Ils se sont faits une représentation inexacte des qualités substantielles de l'objet provenant du fait qu’il s’agissait d’un authentique masque FANG présentant un intérêt majeur pour l'histoire de l'art.
M. A. V. soutient que dès la conclusion du contrat, Mme F. avait un doute sur les qualités du masque africain au point de l'exclure du lot comprenant tous les objets inclus dans le vide-grenier.
Il résulte toutefois du certificat de vente du 28 septembre 2021 que Mme F. a vendu le masque en même temps que des miroirs à restaurer ou encore un lot de petits cadres pour photographies ; elle n'a donc pas réservé un sort distinct au masque de celui d'autres objets de valeur modique, dont elle souhaitait se débarrasser.
Le fait qu'elle n'ait pas fait figurer sur cette liste d'autres objets africains, issus de la collection de l’ancêtre de son époux, ne signifie pas nécessairement qu'elle avait un doute sur la singularité des caractéristiques du masque mais tout simplement qu’elle pensait qu’il avait plus de valeur.
Ainsi, il convient de dire et juger qu'aucun aléa sur les qualités essentielles présentées par le masque n’est ainsi entré dans la relation contractuelle.
Enfin, pour pouvoir entraîner la nullité du contrat, l’erreur sur les qualités essentielles de la chose vendue doit aussi être excusable. Ce n’est pas la qualité professionnelle d’une personne qui commande le caractère inexcusable de l’erreur qu’elle peut commettre, mais les circonstances entourant son intervention à un acte juridique.
En l’espèce, le masque a été vendu par Mme C. F. et M. A.F... Si ces derniers étaient âgés de 79 et 86 ans au moment de la vente, il n’est pas contesté qu’ils disposaient de toutes les capacités intellectuelles requises pour pouvoir contracter.
Il n’est pas non plus contesté que les époux F. n’avaient aucune connaissance en matière d’histoire de l’art. Il ne leur est ainsi pas reproché d’avoir ignoré l’importance de l’engouement pour les masques Fang au début du 20ème siècle de même que la fascination que ces œuvres ont suscité auprès d’artistes tels que Maurice de Vlaminck, Pablo Picasso ou encore Georges Braque.
Néanmoins, les époux F. connaissaient l’origine des objets africains qui se trouvaient au sein de leur résidence secondaire.
En effet, ces derniers avaient été ramenés par René-Victor F., ancien lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo de 1917 à 1919, grand-père paternel d’A. F.. Au regard des éléments d’information contenus dans la requête aux fins de vente du 11 février 2022, l’ancêtre des époux F. était aussi membre de la garde rapprochée du gouverneur de l’Afrique Équatoriale française, nom donné au gouvernement général et regroupant en une fédération les quatre territoires français de l’Afrique équatoriale : le Gabon, le Moyen Congo, l’Oubangui-Chari et le Tchad. Il était en outre ami avec Maurice Delafosse, administrateur colonial français, ethnologue et féru d’art africain. Il apparaît que les rites de justice coutumière au cours desquels étaient utilisés le masque litigieux étaient d’une rare violence et furent interdits dans les années 1920 par les autorités coloniales.
Le lien entre la possession du masque Fang par les époux F. et les responsabilités professionnelles de leur ancêtre est certain.
D’ailleurs, les époux F. avaient vendu à M. A. V. d’autres objets provenant du continent africain et rapportés par leur aïeul : lances de chasse, instruments de musique, soufflets de forge, cuillère et couteau de circoncision vendus aux côtés du masque par l’Hôtel des ventes de Montpellier.
Leur connaissance de la biographie de leur ancêtre est en outre incontestable dès lors que les vendeurs ont pu utilement renseigner M. A. V. sur l’origine du masque, au moment de la vente et postérieurement à cette dernière. En effet, dans le message que M. A. V. adresse au service estimation de Fauve et Drouot, il indique « Je viens de trouver, dans le grenier d’un ancien colon, ce masque Ngil du Gabon. Il aurait été ramené par un ancien gouverneur des colonies françaises, vers 1900, d’après un de ses descendants. Il mesure 57 cm de haut et 26 cm de large. A l’intérieur du masque se trouve, dans une cavité, une sorte de « grigri », qui semble être de la peau séchée (origine animale ou humaine ?). Pourriez-vous m’en faire une estimation ? ». Il existait donc une asymétrie d’information manifeste au bénéfice des vendeurs, et non de l’acheteur, quant aux qualités essentielles du masque, notamment son authenticité et son origine.
Or, les vendeurs n’ont engagé aucune démarche antérieure à la vente pour faire évaluer le masque litigieux alors même qu’il existe aujourd’hui des possibilités multiples pour faire estimer gratuitement ses biens. A ce titre, ils soutiennent avoir fait confiance à M. A. V., brocanteur viganais, qui propose sur son site internet un service d'estimation. Au regard du KBIS de M. A. V., ce dernier exerce au VIGAN depuis 2016 l’activité de « Vente en ambulant et sédentaire de meubles et objets d’occasion brocante ; vente de truffes ». Les époux F. ne fournissent aucun élément de preuve pour soutenir que l’objet de son intervention était l’estimation de divers biens dont ils souhaitaient se débarrasser avant la vente de leur maison secondaire. M. A. V. est intervenu pour vider cette dernière de tout le mobilier présent. De plus, il ne résulte d’aucune pièce que son impartialité et son expertise auraient été une condition de son intervention. D’ailleurs, le tribunal ne comprendrait pas à quel titre M. A. V. aurait été compétent pour estimer des œuvres d’arts d’origine africaines, alors qu'il est acquis que celui-ci ne vend dans sa boutique du Vigan que des objets anciens sans spécialisation particulière. M. A. V. a manifestement l’habitude de solliciter ces services d’estimation parisiens pour apprécier plus finement la valeur des divers objets qu’il peut récupérer dans le cadre de son activité professionnelle.
L’absence de diligences des vendeurs pour apprécier de la valeur intrinsèque du bien vendu contraste avec celles accomplies par l’acheteur, postérieurement à la vente.
En effet, ce dernier qui n’avait aucune connaissance spécifique en matière d’art africain, a sollicité dès le 7 octobre 2021 une évaluation des hôtels de vente Drouot Estimation et Fauve Paris qui ont respectivement estimé le masque entre 100 et 120 euros et entre 400 et 600 euros sous réserve d’examen physique et d’études complémentaires.
Puis, dans le cadre d'une vente d'objets d'art africain, M. A. V. a pris attache avec l'Hôtel des ventes de Montpellier, démarche qui n’est pas réservée aux professionnels.
C’est dans ce cadre que des recherches avancées ont été réalisées.
Grâce aux analyses effectuées, à l'initiative de l’Hôtel des ventes de Montpellier, avec la méthode du carbone 14, couplée à une spectrométrie de masse, le masque a pu être daté du 19ème siècle.
De plus, l’Hôtel des ventes de Montpellier a sollicité une expertise réalisée par un ethnologue a mis en évidence l’histoire singulière du masque Fang.
Ce n'est qu'après ces expertises, que le masque a été estimé entre 300 000 et 400 000 euros.
Pressés de débarrasser leur maison secondaire, les époux F. ne se sont pas préoccupés des biens qui la garnissaient, en particulier de ceux qui se trouvaient au grenier. Alors qu’ils étaient en possession d’éléments attestant l’authenticité, l’origine et l’histoire du masque Fang qu’ils détenaient, ils n’ont fait preuve d’aucune diligence pour apprécier la juste valeur historique et artistique du bien.
Leur négligence et leur légèreté caractérisent le caractère inexcusable de leur erreur et ils seront en conséquence déboutés de leur demande d'annulation de la vente à ce titre.
4- Sur l’action en nullité du contrat sur le fondement du dol
Selon l’article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
Pour constituer un vice du consentement de nature à entraîner la nullité de la vente, il faut et il suffit que la victime établisse que, sans les manœuvres, sans le mensonge ou sans le silence délibéré de son cocontractant, elle n'aurait pas vendu ou pas acheté le bien objet du contrat, ou du moins n'aurait pas conclu la vente aux conditions où elle a eu lieu.
Le dol rend ainsi toujours excusable l’erreur provoquée.
En l’espèce, les époux F. soutiennent que M. A. V. a retenu de manière consciente des informations et qu'il n'ignorait pas la valeur réelle du masque ou, à tout le moins, avait un doute sur cette dernière. Par ailleurs, il ne les a jamais informés de son lien avec leur jardinier avec lequel il a partagé la somme provenant de la vente.
Force est de constater qu’antérieurement à la vente, il n’est pas démontré que M. A. V. avait connaissance de la valeur singulière du masque vendu. De plus, quand bien même, l’acquéreur connaît la valeur exacte d’un bien, il n’a pas à en informer le vendeur dès lors que, même professionnel, il n’était pas tenu d’une obligation d’information sur la valeur du bien acquis. Enfin, M. A. V. n'a pas été contractuellement sollicité pour une estimation comme cela a été relevé précédemment.
En outre, ce n’est qu’après les expertises menées par l’Hôtel des ventes de Montpellier – et non par M. A. V. – que la valeur artistique et historique du masque a été révélée et qu’il a été estimé entre 300 000 et 400 000 euros.
Enfin, s’agissant de Monsieur S.B, jardinier des époux F. avec lequel M. A. V. aurait partagé la somme provenant de la vente, force est de constater qu’il n’a été attrait dans la cause par aucune des parties qui ont ainsi fait preuve de leur volonté de lui conférer une place extérieure au présent litige. Ainsi, c’est sans aucune preuve que les époux F. considèrent de façon péremptoire que l’indivision constituée entre M. A. V. et Monsieur S.B lors de la requête à l’hôtel des ventes est constitutive de manœuvres frauduleuses.
En tout état de cause, les pièces versées aux débats et notamment les échanges entre Mme F. et M. A. V., postérieurement à la vente du 28 septembre 2021, démontrent que cette dernière était parfaitement informée de ses démarches et de la vente aux enchères du masque Fang au prix de 4,2 millions d’euros. D’une part, dans un message du 25 mars 2022, veille de la vente, Mme F. demande à M. A. V. s’il va filmer cette dernière pour pouvoir, le cas échéant, lui envoyer la vidéo. D’autre part, dans un message du 28 mars 2022, soit le jour de la vente, Mme F. répond à un message reçu de M. A.V. comprenant le lien vers l’article du journal d’informations « Midi libre » faisant référence à un « record de vente pour un masque africain adjugé plus de 4 millions à Montpellier dans le cadre d’une enchère très chahutée » : « Bon week-end end reposez-vous sur cet exploit. Celui qui a acheté doit avoir une sacrée fortune. Amicalement ». Le message comprend aussi un lien vers un article publié sur « yahoo news» portant sur la vente du masque litigieux.
Par ailleurs, en proposant aux époux F. de leur verser le montant de l’estimation du bien de 300 000 euros, ce dernier n’a pas reconnu, de manière non équivoque, qu’il avait commis une réticence dolosive dont il devait réparer les conséquences préjudiciables. Il s'agissait d'une simple proposition transactionnelle destinée à prévenir une contestation à naître. Cette proposition, dont le montant correspond strictement à la mise à prix du masque à l’Hôtel des ventes de Montpellier, doit ainsi être interprétée comme une volonté de l'acheteur de restituer la valeur du bien aux vendeurs. Cette démarche de la part de M A. V., loin de caractériser un aveu de sa part, démontre sa bonne foi.
Par conséquent, aucune nullité du contrat sur le fondement du dol ne peut prospérer.
5- Sur l’action en nullité du contrat sur le fondement d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information
Selon l’article 1112-1 du Code civil, « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.»
Si toute personne est tenue d’un devoir d’information, toute information n’a pas lieu d’être transmise. Seules doivent être transmises les informations qui ne sont maîtrisées que par l’un des partenaires ou auxquelles l’autre ne pouvait pas aisément avoir accès. Le devoir de se renseigner soi-même implique que toutes les informations n’aient pas à être partagées.
En l’espèce, il n’est pas démontré par les demandeurs qu’un contrat avait été conclu entre eux et M. A. V. concernant l’estimation de leur mobilier.
En tout état de cause, antérieurement au 28 septembre 2021, il n’est pas démontré que M. A. V. détenait une information au détriment des époux F..
Par conséquent, aucun manquement à une obligation précontractuelle d’information ne peut être reproché à M. A. V..
Aussi, aucun vice du consentement n’est caractérisé pour fonder l’action en nullité du contrat de vente du masque litigieux. Les époux F. seront déboutés de leur action en nullité du contrat en date du 28 septembre 2021.
Ce faisant, la mainlevée totale de la saisie conservatoire opérée sur les comptes bancaires de M. A. V. selon arrêt de la Cour d’appel de NIMES en date du 28 juin 2023 sera ordonnée.
Par ailleurs, et quand bien même l’erreur serait excusable et entraînerait la nullité du contrat, les demandeurs fondent leurs demandes indemnitaires sur la responsabilité contractuelle de l’acheteur, ce qui n’est juridiquement pas possible dans l’hypothèse d’une annulation de contrat. Ils semblent aussi fonder leurs demandes sur la responsabilité délictuelle de l’acheteur sans pour autant caractériser la faute civile qui permettrait de faire application de l’article 1240 du Code civil. Ce faisant, leurs demandes indemnitaires auraient aussi été rejetées.
A titre surabondant, la nullité du contrat pour erreur, loin de donner naissance à une action civile délictuelle et à une indemnisation pour perte de chance de récupérer le masque ne ferait que déclencher le mécanisme des restitutions, notamment prévu par l’article 1352-2 du code civil.
6 - Sur les autres demandes
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
En l’espèce, l’équité commande de ne pas condamner la partie perdante au paiement d’une somme au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Mme C. et M. A.F.. qui succombent à l’instance, seront condamnés aux entiers dépens.
Selon l'article 514 du Code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Compte tenu des conséquences financières de la présente décision, l’exécution provisoire de cette dernière sera écartée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, par décision contradictoire et en premier ressort, rendue par mise à disposition au greffe,
DECLARE irrecevable la demande d’intervention volontaire de la République gabonaise ;
REJETTE la demande d’injonction de communiquer la page du livret de police concernant l'achat par lui des biens meubles cédés par Madame C. R. épouse F. et M. A.F.., le 28 septembre 2021, cette dernière ayant été versée aux débats par M. A. V. ;
DEBOUTE Madame C. R. épouse F. et M. A.F.. de l’intégralité de leurs demandes indemnitaires fondées sur leur action en nullité ;
ORDONNE la mainlevée totale de la saisie conservatoire opérée sur tous les comptes bancaires de M. A. V. selon arrêt de la cour d’appel de NIMES en date du 28 juin 2023 ;
CONDAMNE Madame C. R. épouse F. et M. A.F.. aux dépens ;
DEBOUTE l'ensemble des parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
ECARTE l’exécution provisoire de la présente décision.
Ainsi jugé et prononcé à Alès les jour, mois et an indiqués ci-dessus.