Opérations non-autorisées : le spécial n’évince pas le général

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Specialia generalibus derogant, enseigne-t-on classiquement. Les règles spéciales dérogent aux règles générales.

Est-ce à dire que le spécial évince le général ? Oui, assurément, dans certaines hypothèses (vices cachés, loi Badinter).

Oui, encore, nous a récemment appris la Cour de cassation quant au déséquilibre significatif. L’article 1171 C. civ. (général) ne s’appliquerait « qu’aux contrats qui ne relèvent pas de l’article L. 442-1. Com. » (Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16782 [1]). Nous avions regretté cette décision, qui faisait du droit commun un simple supplétif du droit spécial et le réduisait à peau de chagrin.

Se réjouira-t-on alors de l’arrêt rendu (Cass. com., 9 février 2022, n° 17-19441 [2]) ? Au cas d’espèce, le titulaire d'un compte courant, constatant des opérations non-autorisées, ne les signale pas en temps utile à sa banque. Actionnée en paiement, la caution excipe d'une faute de la banque et entend engager sa responsabilité civile.

La cour d’appel (Aix-en-Provence, 6 avril 2017), déclare l’action de la caution irrecevable, faute d’avoir été introduite dans le délai de 13 mois de l’article L. 133-24 CMF pour contester des opérations bancaires.

La CJUE, saisie d’une question préjudicielle, avait jugé le 2 septembre 2021 deux choses.

D’une part, que les articles 58 et 60 de la directive 2007/64/CE « s’opposaient à ce que qu'un utilisateur de services de paiement puisse engager la responsabilité du prestataire de ces services sur le fondement d'un régime de responsabilité autre que celui prévu par ces dispositions lorsque cet utilisateur a manqué à son obligation de notification ». Dit autrement, l’utilisateur qui n’a pas signalé à sa banque dans les 13 mois les opérations non-autorisées ne dispose pas d’un rattrapage offert par le droit commun.

En revanche, juge la CJUE, ces textes ne s'opposent pas à ce que « la caution d'un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d'un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d'un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime de responsabilité contractuelle de droit commun ».

La Cour de cassation en déduit que les articles L. 133-18 et -24 du CMF, pris pour la transposition de la directive 2007/64 et prévoyant le remboursement immédiat des opérations non-autorisées signalées par l’utilisateur à sa banque dans le délai de 13 mois précité « ne font pas obstacle à la mise en œuvre, par la caution de cet utilisateur, de la responsabilité contractuelle de droit commun de la banque ».

Dont acte : le droit spécial n’évince pas toujours le droit commun. Si l’action de l’utilisateur ne se conçoit que sur le fondement du droit spécial, celle de la caution peut s’épanouir en droit commun.