Oui à la réception partielle d'un ouvrage par lots mais non à la réception partielle d'un lot dans un ouvrage (fr)

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Auteur : Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris


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Ref. : Cass. civ. 3, 2 février 2017, n° 14-19.279

A relever le nombre et l'importance des arrêts rendus par la Cour de cassation sur la réception ces derniers mois, le thème semble à la mode, à moins que ces décisions ne traduisent les insuffisances rédactionnelles du premier alinéa de l'article 1792-6 du Code Civil (N° Lexbase : L1926ABX), d'apparence pourtant clair. Cet article, qui dispose que "la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable soit, à défaut, judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement", certes ne règle pas tout mais, comme le dit le célèbre adage, ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemos. L'arrêt commenté, destiné à la plus large publication (FS-P+B+R+I), rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation ce 2 février 2017 en est une illustration. La réception partielle d'un ouvrage par lots est possible dès lors qu'elle n'est pas expressément prohibée par la loi. La Haute juridiction vient, toutefois, limiter les contours de cette apparente liberté née du silence de la loi. Si la réception partielle par lot est possible, celle d'un lot ne l'est pas.

Les faits de l'espèce sont classiques. Un couple d'accédants à la propriété entreprend la construction d'une maison d'habitation. Il est confié au maître d'oeuvre une mission complète. Les lots n° 6 menuiseries extérieures et n° 14, fermeture, sont réalisés par une entreprise assurée en RCD auprès des MMA. L'apparition de désordres et malfaçons sur ces lots ont conduit les maîtres d'ouvrage à assigner, d'abord en référé expertise puis au fond, les constructeurs et leurs assureurs afin d'obtenir, sur le fondement de la garantie décennale, la réparation des préjudices subis. Ils obtiennent gain de cause devant les premiers juges (TGI Créteil, 14 juin 2011, RG 10/00244) mais la cour d'appel de Paris, dans un arrêt infirmatif rendu le 26 mars 2014 (CA Paris, pôle 4, 5ème ch., 26 mars 2014, n° 12/17159 N° Lexbase : A9741MHA), considère que les lots pris en litige n'ont pas été réceptionnés ce qui fait obstacle à la mise en oeuvre de la garantie décennale des constructeurs. Cette absence de réception est, selon les juges d'appel, caractérisée du fait du refus partiel de la réception des lots. Pour reprendre expressément les termes de l'arrêt "un refus de réception d'un lot ne pouvant être partiel, en raison du principe d'unicité de réception, il sera retenu, en conséquence du refus exprès des éléments cités, une absence de réception des lots 6 et 14".

Les maîtres d'ouvrage forment un pourvoi dont le moyen unique est composé de 4 branches dont 3 intéressent le présent thème. Ils articulent, tout d'abord, sur le fondement de l'adage précité, que l'article 1792-6 du Code civil n'interdit pas la réception partielle à l'intérieur d'un même lot. Ils exposent, ensuite, que l'importance des désordres ne permet pas de caractériser le refus de réceptionner si l'acte de réception manifeste l'intention non équivoque du maître d'ouvrage de recevoir l'ouvrage. Ils prétendent, enfin, que les principaux désordres sont apparus postérieurement à la réception.

Ainsi est apparue une belle occasion pour la Cour de cassation de préciser sa jurisprudence sur la réception partielle. Si elle est possible, par lots, dans un ouvrage (I) elle n'est pas possible pour le lot d'un ouvrage (II). Le pourvoi est rejeté, faute pour les demandeurs d'établir la réception des lots n° 6 et 14 pris en litige.

La réception partielle par lot ne heurte pas le principe d'unicité de réception

Lorsque divers entrepreneurs se sont succédés pour réaliser l'ouvrage, il pourrait être tentant de procéder à une réception par lots sans attendre l'achèvement total des travaux. Une partie de la doctrine conteste cette approche qui, selon elle, serait contraire à l'esprit de l'article 1792-6 qui sous-entendrait la conclusion d'un acte pour l'ensemble de l'ouvrage. Cette position doctrinale a été relayée par plusieurs décisions des juges du fond, affirmant que "la réception est l'acte unique pour l'ensemble de l'ouvrage" (CA Toulouse, 1ère ch., 2 juin 2003, n° 2002/03228 N° Lexbase : A3990T38) ou encore que "la réception est un acte d'acceptation qui doit concerner l'ouvrage dans son ensemble et qui doit être prononcé en connaissance de cause au vu d'un ouvrage achevé" (CA Rennes, 18 novembre 2004, JCP éd. G., 2005, IV, 3332). La pratique est cependant venue expressément autoriser le contraire, sans pour autant ôter au principe de la réception unique sa force. Le CCAG (Cahier des clauses administratives générales) Travaux de 2009 (N° Lexbase : L8345IES) prévoit, en effet, deux situations de réception partielle :

1 - Une stipulation explicite du marché (article 42.1). La réception partielle peut intervenir lorsque le marché a prévu pour une tranche de travaux, un ouvrage ou une partie d'ouvrage, un délai d'exécution distinct du délai global d'exécution de l'ensemble des travaux. Les modalités de réception partielle sont alors les mêmes que celles d'une réception expresse globale.

2 - La réception partielle peut, également, intervenir si le maître d'ouvrage décide de prendre possession, avant achèvement des travaux, de certains ouvrages ou parties d'ouvrage. Dans ce cas, les conditions de prise de possession ont été le plus souvent prévues par le CCAP ou le sont par le maître d'ouvrage en cours d'opération.

Et cette pratique a conduit à une évidente inflexion de la jurisprudence qui, depuis plusieurs années, autorise la réception partielle par lots (Cass. civ. 3, 16 novembre 2010, n° 10-10.828, F-D N° Lexbase : A5934GKY), RDI, 2010, p. 285 ; Cass. civ. 3, 21 juin 2011, n° 10-20.216, F-D N° Lexbase : A5172HU4, RDI, 2011, p. 573 ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2014, n° 13-18.183, F-D N° Lexbase : A3228MXT, RDI, 2014, p. 636), qui, pour reprendre les termes utilisés par la Cour de cassation, n'est pas prohibée par la loi. L'arrêt commenté est, de ce point de vue, confirmatif d'une jurisprudence éculée mais discrète dans la mesure où aucun des arrêts susvisés n'a, au contraire de la présente espèce, été publié au bulletin. Le principe d'unicité de réception n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent donc parfaitement y déroger, soit dans le marché lui-même soit a posteriori en procédant à une réception partielle qui n'était pas prévue. Le juge administratif a, depuis longtemps, adopté une décision similaire (CE Contentieux, 28 février 1986, n° 40381 N° Lexbase : A4656AME). Il apparaît, en effet, que le principe d'unicité de la réception consiste uniquement à mettre un terme à la pratique, antérieure à la loi "Spinetta" (loi n° 78-12, du 4 janvier 1978, relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction N° Lexbase : L3612IEI), de la réception provisoire suivie d'une réception définitive, et non à exiger une réception unique pour l'ensemble de l'ouvrage, ce qui permet de comprendre l'ouverture jurisprudentielle subséquente. Il est, de la même façon, possible pour les parties d'empêcher toute réception partielle en stipulant, tout simplement, que la réception ne pourra intervenir qu'à l'achèvement de l'ouvrage dans son entier.

La réception partielle à l'intérieur d'un même lot heurte le principe d'unicité de la réception

Si le principe d'une réception partielle par lot est aujourd'hui incontestablement établi par la Cour de cassation, cette dernière pose, tout aussi incontestablement la limite au principe "mais attendu qu'en raison du principe d'unicité de la réception, il ne peut y avoir réception partielle à l'intérieur d'un même lot". En l'espèce, si la pièce présentée comme le procès-verbal de réception, avec réserves, ne concernait que les travaux des lots n° 6 et 14, elle comportait la mention manuscrite "non réceptionnée". Autrement dit, une réception partielle n'est envisageable que lorsqu'elle porte sur une partie dissociable de l'ouvrage. En aucun cas, une réception partielle ne peut être envisagée à l'intérieur d'un lot. La décision est salutaire. La réception marque le point de départ des diverses garanties : garantie de parfait achèvement et garanties biennale et décennale y compris pour les sous-traitants et même pour la responsabilité de droit commun des constructeurs. D'autant que si la réception ne concerne directement que le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur, la garantie qui s'en suivra s'appliquera à tous les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du Code civil (N° Lexbase : L1921ABR) c'est-à-dire aux locateurs d'ouvrage débiteurs des garanties, ce qui dépasse largement le cas de l'entrepreneur, partie à la réception. Le principe d'unité de réception permet ainsi d'éviter une multiplicité de points de départ des délais de prescription, qui serait une source évidente de complications. Il ne faut donc pas, de ce point de vue, multiplier les autorisations de réception "à la carte". Mais, de l'autre, l'admission des réceptions partielles permet de respecter la volonté des parties, surtout dans le cas d'un ouvrage traité par lots séparés, d'un groupe d'immeubles ou d'un ouvrage inachevé. L'arrêt commenté permet, tout de même, de prendre la mesure du risque subi par le maître d'ouvrage qui peut se retrouver ainsi privé de son recours décennal contre le constructeur et son assureur. On peut d'ailleurs se demander si la réception par lot implique l'achèvement du lot ou si elle peut être imposée, par exemple par un juge. Le régime de la réception partielle devient encore plus opaque en cas de réception tacite du lot.