Perte de données informatiques : le référe c'est pas automatiques ! (fr)

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Auteur : Cabinet Staub & Associés
Avocats au barreau de Paris
Publié le 31/03/2012 sur Immateria, le blog du Cabinet Staub & Associés


La perte de données informatiques constitue l’un des risques les plus redoutés par les entreprises clientes comme par les prestataires de services tant les conséquences peuvent être désastreuses voire fatales en termes de préjudice et donc d’indemnités. Compte tenu de l’urgence et de la gravité de la situation, la victime peut souhaiter utiliser la voie rapide du référé pour obtenir une provision sur la réparation. Une récente décision de la Cour d’appel de Lyon du 11 février 2014 montre que le chemin est étroit.

A la suite d’une intervention sur le réseau d’une entreprise dont elle assurait l’infogérance, une société de prestations de services informatiques avait semble-t-il admis que son programme de sauvegarde était défaillant et que des données avaient été perdues.

L’entreprise victime, bien qu’affirmant le caractère vital de ces données, n’avait engagé de référé en vue d’une expertise et d’une indemnisation provisionnelle à hauteur de 400.000 euros qu’un an plus tard, faute d’arrangement entre les parties et les assureurs.

La procédure de référé est une voie rapide qui suppose schématiquement soit l’urgence soit une obligation non sérieusement contestable : on dit traditionnellement que le juge des référés est « juge de l’évidence » car la contrepartie de la rapidité réside dans la nécessité de ne pas avoir à longuement débattre du fond.

C’est pourquoi le juge des référés peut nommer un expert ou encore allouer une provision au demandeur, mais les conditions sont alors strictes.

En l’espèce, le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon avait fait droit à la demande de provision à hauteur de 300.000 euros et nommé un expert. En appel, la Cour a réformé cette décision et a considéré que cette somme ne pouvait pas être allouée en référé.

Selon la Cour, « La demande de condamnation provisionnelle ne se heurterait à aucune contestation sérieuse s’il était d’ores et déjà démontré à la fois que des fichiers ont effectivement disparu à la suite de l’incident (…) que la société [prestataire] ait une part quelconque de responsabilité dans cette disparition et que cette disparition ait causé un préjudice direct et quantifiable (…) ».

Or, l’expertise avait justement pour but d’éclairer le futur tribunal saisi sur la réalité de ces questions, sans qu’aucun rapport ne puisse d’ores et déjà l’établir.

Par conséquent, la Cour estime que l’entreprise qui se dit victime ne peut pas à la fois réclamer une indemnisation provisionnelle et demander à un expert de se prononcer sur la réalité de son préjudice.

En l’occurrence, la Cour relève également d’autres éléments de doute quant au préjudice : l’entreprise ne démontre pas son préjudice (ralentissement de production, relations avec les clients, ruptures contractuelles etc.). Il semble que c’est la perte en soi des données qui a motivé son action et non pas les conséquences réelles subies.

La Cour indique qu’elle ne peut donc pas exclure que ces fichiers aient en réalité un rôle anecdotique ou soient obsolètes et rappelle qu’en cas d’élément nouveau ou de rapport d’expertise en ce sens, une condamnation serait toujours possible.

Cette solution rappelle donc que la condamnation provisionnelle doit reposer sur des réalités concrètes et un préjudice réel et démontré.

En pratique, elle est discutable car une demande d’expertise vise souvent, non pas seulement à éclairer la « victime » sur son préjudice, mais à rendre contradictoires les constatations d’un tiers reconnu et donc éclairer le Tribunal d’une façon moins contestable.

En outre, une situation qui n’a pas encore produit tous ces effets peut nécessiter de mettre en œuvre rapidement des moyens techniques de prévention et de réparation qui ont un coût certain pour la victime.

Néanmoins, une solution contraire aurait aussi des effets pervers car le demandeur qui se plaindrait d’un potentiel préjudice pourrait se voir allouer par provision des sommes élevées sans avoir encore démontré qu’il y était bien-fondé, à charge pour l’autre partie de les récupérer ensuite au prix d’un procès au fond.

Par conséquent, le demandeur doit être conscient de la nécessité pour lui de présenter en référé un dossier qui tienne compte des exigences nécessairement élevées du juge et dispose d’ores et déjà de documents probants.

Il résulte de cet arrêt que l’arme du référé devrait être utilisée à bon escient et surtout au bon moment, dès lors que l’on dispose de certitudes sur la réalité et l’ampleur du préjudice à hauteur de la demande provisionnelle, à l’aide d’exemples concrets ou d’un rapport d’expertise déjà rendu, car c’est le critère qui risque fort de guider le juge…

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.