Place du droit commun de l'assurance dans le domaine de l'assurance construction obligatoire (fr)

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Commission ouverte : Immobilier
Responsables : Jehan-Denis Barbier et Jean-Marie Moyse, avocats au barreau de Paris
Sous-commission : Marchés de travaux
Responsables : Juliette Mel et Nathalie Peyron, avocats au barreau de Paris


Compte-rendu de la réunion du 16 janvier 2014 de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition privée


Intervenant : Pascal Dessuet
Responsable des Assurances pour les Affaires immobilières (Société Générale) - Chargé d'enseignements à l'Université de Paris Est Créteil - Président de la Commission Construction de l'AMRAE


S'il est vrai que le contentieux en matière d'assurance construction porte essentiellement sur le domaine de l'assurance obligatoire, lequel est soumis à un ensemble de dispositions particulières d'ordre public, il ne faut pas oublier que les contrats d'assurance en cause se trouvent d'abord, et avant tout, assujettis à la loi commune en matière d'assurance, à savoir la loi du 13 juillet 1930, dite "Godart", relative au contrat d'assurances.

Il convient donc de bien maîtriser l'articulation entre le droit commun de l'assurance et l'ensemble des textes particuliers dérogatoires, lesquels ne règlent toutefois pas l'ensemble des problématiques qui se présentent dans le contentieux de l'assurance construction.

Force est de constater que ce droit commun de l'assurance est apparu peu à peu stratégique pour les assureurs, tant au niveau de la rédaction des polices (I), que de la gestion des contentieux (II). Cette stratégie vise à tirer profit au maximum de l'application des règles du droit commun, afin d'atténuer quelque peu les rigueurs du droit spécial de la construction. Cette pratique donne lieu parfois à des excès qui ne manquent pas d'être sanctionnés par les juges.


I — Une place sans cesse croissante en matière de souscription et de rédaction des polices

A — Comment la doctrine et la jurisprudence envisagent-elles l'application des dispositions du droit commun en matière de déclaration du risque ?

Pour rappel, la déclaration de risque est définie par l'article L. 113-2, 2˚, du Code des assurances qui prévoit que l'assuré est obligé "de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge".

Il s'agit donc pour l'assuré de répondre à des questions ; il faut savoir que la déclaration de risque était, avant la réforme du 31 décembre 1989, entendue beaucoup plus largement, puisque l'assuré était obligé de déclarer à son assureur tout ce qu'il connaissait sur le sujet. Derrière une apparence anodine, le fait de n'être tenu seulement que de répondre à des questions est très protecteur pour l'assuré, qui ne peut se voir reprocher d'avoir caché ce qui ne lui a pas été expressément demandé.

L'article L. 113-2, 3˚ prévoit, toutefois, l'aggravation de risque, c'est-à-dire que l'assuré est obligé "de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2˚ ci-dessus".

Au regard de cette définition, si la notion de "circonstances nouvelles" reste relativement floue, la jurisprudence ayant été amenée à la préciser surtout de manière négative (ainsi, en matière d'assurance de choses, plusieurs arrêts se sont prononcés en estimant que l'augmentation de la valeur de la chose en elle-même n'est pas constitutive d'une circonstance nouvelle), en tout état de cause, pour constituer une aggravation de risque, ces circonstances doivent "rendre de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2˚ ci-dessus", ce qui permet de définir assez clairement ce qui peut être constitutif d'une aggravation de risque. La jurisprudence rendue à cet égard est particulièrement abondante et retient une interprétation très stricte de ces dispositions (cf., notamment, Cass. civ. 2, 15 février 2007, n˚ 05-20.865, FS-P+B N° Lexbase : A2138DUQ ; Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n˚ 08-10.294, FS-P+B N° Lexbase : A6497ECM ; Cass. civ. 3, 28 mars 2007, n˚ 05-22.062, FS-D N° Lexbase : A7970DUQ : "attendu qu'ayant retenu qu'il ne pouvait y avoir résiliation d'un contrat pour un grief qui n'avait pas été invoqué et souverainement relevé que l'assureur avait, préalablement et concomitamment à la signature des polices d'assurances, agréé le risque en toute connaissance de cause au regard des études menées par sa direction technique, qu'il n'avait adressé aux souscripteurs des polices aucun questionnaire précis et avait maintenu son instruction tout au long des chantiers par ses ingénieurs, n'apportant pas la démonstration d'une circonstance nouvelle susceptible de traduire une aggravation du risque, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire, sans dénaturation, qu'il n'y avait eu ni fausse déclaration intentionnelle du risque, ni aggravation de celui-ci en cours de chantier, en sorte que les contrats d'assurance n'étaient pas nuls et n'avaient pu être résiliés").

S'agissant des déclarations spontanées faites par l'assuré, qui s'avéreraient inexactes, la jurisprudence ne se laisse pas tromper par la pratique des assureurs consistant à insérer dans les polices, dans les conditions particulières, toute une série de propos, qualifiés de déclarations, ne correspondant pas à des réponses données à des questions mais pouvant être considérées comme des déclarations spontanées ; la jurisprudence impose alors à l'assureur de démontrer que ces déclarations ont été faites à la seule initiative de l'assuré ; à défaut de rapporter une telle preuve, les juges considèrent alors que la caducité de ces informations est sans importance et ne traduit nullement l'aggravation de risque.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation estime que l'assureur peut démontrer que les questions ont été posées, autrement dit que les déclarations contenues dans la police constituent des réponses à des questions posées, retenant alors l'aggravation de risque. Mais la Chambre criminelle, dans un arrêt du 10 janvier 2012, retient une interprétation encore plus stricte en considérant que l'assureur doit prouver, non seulement que les questions ont été posées, mais qu'elles ont été posées antérieurement à la souscription (Cass. crim., 10 janvier 2012, n˚11-81.647, F-P+B N° Lexbase : A8703IBX). Cette divergence appelait donc une décision de la Chambre mixte (1).

Une fois exposé l'état des textes (qui sont d'ordre public, cf. C. ass., art. L. 111-2) et de la jurisprudence concernant la déclaration de risque, force est de constater qu'il apparaît difficile pour les assureurs de contourner, par la voie conventionnelle, les règles ainsi posées. La loi interdit d'étendre l'obligation de l'assuré en matière de déclaration de circonstances nouvelles ne correspondant pas critères posés par l'article L. 113-2.

De même, les dispositions prévues par les articles L. 113-4 et L. 113-9 du Code des assurances, d'ordre public, qui sanctionnent la fausse déclaration du risque ou l'aggravation du risque non déclaré, ont pour fonction unique de sanctionner le non-respect des obligations de déclaration prévues par l'article L. 113-2, 2˚ et 3°, et non de simples stipulations contractuelles. Autrement dit, il n'est pas possible d'appliquer les sanctions d'ordre public à une situation qui ne peut être considérée comme une aggravation de risque.


B — Les nouvelles tendances qui se dégagent quant à la mise en pratique de ces dispositions, à la lecture des textes de police proposés par les assureurs en 2013

Estimant trop sévère de devoir couvrir un chantier entier en dommages ouvrage, ce quel que soit le comportement des constructeurs dès lors qu'aucun texte ne leur permet d'exclure leur garantie, les assureurs tentent de contourner les rigueurs de la loi par le biais du droit commun de l'assurance, en particulier l'aggravation de risque.

Ainsi, par exemple, les assureurs ont pu prévoir de qualifier contractuellement une situation comme constituant une aggravation de risque, situation telle que l'absence de levée des réserves du contrôleur technique, et plus généralement le non-respect des règles de l'art par les constructeurs. Une autre technique consiste à rappeler, dans le contrat, que l'assuré devra communiquer à l'assureur toute une série de documents, à défaut de quoi il sera renvoyé aux articles L. 113-4 et L. 113-9, ce qui n'est évidemment pas conforme à la loi.

De même, la technique consistant à prêter à l'assuré toute une série de déclarations, qui ne sont pas des déclarations en tant que telles, au sens de l'article L. 113-2, 2˚, et sans rapport avec la description du risque à couvrir.

Plus subtilement, l'assureur recourt à la notion de "circonstances nouvelles" (comme ne pas lever les réserves du contrôleur technique).

Parfois, les assureurs redoutent l'évolution à la hausse du coût des travaux dans une proportion supérieure à celle prévue au départ, ce qui aggrave le coût de réassurance des assureurs. Or, il faut savoir, en effet, que la loi interdit aux assureurs, depuis 2006, de prévoir des plafonds de garantie. Là encore, les assureurs recourent au droit commun, en prévoyant contractuellement, par exemple, que "toute variation de plus de x % sera considérée comme une aggravation de risque", ou "comme une circonstance nouvelle", afin de permettre l'application des sanctions.

Enfin, les assureurs de dommages-ouvrage, qui sont des assureurs de préfinancement, leurs tarifs étant ainsi fondés sur leur faculté à pouvoir exercer des recours ; par conséquent, les assurés doivent leur transmettre des attestations d'assurance RC décennale des constructeurs, ce qui n'est pas toujours aisé en pratique. Aussi, la solution consiste à prévoir dans le contrat que la non-fourniture à l'assureur de l'intégralité de ces attestations d'assurance est constitutive d'une aggravation de risque.

Si les assureurs savent pertinemment que ces clauses sont d'une légalité très contestable, et donc inapplicables, ils n'hésitent pas, néanmoins à les intégrer dans les contrats, dès lors qu'elles ont assurément un effet dissuasif.

Si les pratiques illégales des assureurs sont rudement sanctionnées par la jurisprudence qui retient en général une application très stricte des dispositions légales, il faut toutefois relever qu'elle fait preuve parfois d'un certain laxisme, notamment en utilisant la notion de "déclaration" de risque dans un contexte inapproprié. En effet, les juges ont tendance à appliquer les sanctions relatives à l'aggravation de risque (C. ass., art. L. 113-8 et L. 113-9) dans de simples hypothèses où l'assuré n'a pas respecté ses obligations déclaratives concernant les déclarations de chantiers, alors que la "déclaration de chantier" ne relève en aucun cas, des "déclarations de risque".

Cette solution est particulièrement critiquable, selon Jean-Pierre Babando, dans la mesure où les dispositions de l'article L. 113-9 visent à sanctionner la sous-estimation d'un taux. Or, le fait que l'assuré ait omis de déclarer un chantier à l'assureur est sans incidence sur la sous-estimation du taux. Si cela constitue un manque à gagner sur la prime, en valeur absolue, la sanction ne peut être fondée que sur les dispositions de l'article L. 113-10 (N° Lexbase : L0068AAR), et consiste en une majoration forfaitaire de la prime pouvant s'élever à 50 %. Mais en aucun cas, la sanction ne devrait porter sur le sort du contrat ou le montant de l'indemnité.

On voit donc que les pratiques des assureurs consistent à utiliser les règles du droit commun pour contourner certaines règles coercitives du droit spécial de l'assurance construction.

La place de ces règles du droit commun est donc plus importante que l'on ne pourrait croire dans la mesure où elle est très présente, non seulement dans les textes des contrats, mais également de plus en plus en matière de contentieux en RC décennale.


II — Une place sans cesse croissante en matière de contentieux en RC décennale

A — Le contentieux de la faute intentionnelle et du défaut d'aléa

Si la jurisprudence rendue en matière de faute intentionnelle est très abondante, l'on ne peut que constater qu'elle reste particulièrement stricte sur cette notion de faute intentionnelle ; elle retient une interprétation "maximaliste" puisqu'elle consiste à exiger non pas seulement que l'acte ait été volontaire, mais que celui qui l'a commis ait souhaité atteindre le résultat, autrement dit qu'il ait eu la volonté de créer le dommage.

En matière d'assurance construction, cette jurisprudence apparaît relativement sévère quand l'on connaît les contraintes pour la conduite des chantiers ; il est évident que l'on ne peut établir aucune intention du constructeur de nuire à son cocontractant.

Aussi, bien qu'ils connaissent l'issue du procès, les assureurs plaident invariablement sur le terrain de la faute intentionnelle, même si l'argument n'a quasiment aucune chance de prospérer devant les juges, du moins devant la Cour de cassation (cf. notamment : Cass. 11 juillet 2012, n˚ 11-16.414, FS-P+B N° Lexbase : A7971IQB) : "dans cette espèce, pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur, la cour d'appel avait retenu que l'entrepreneur n'avait pas fait une simple erreur d'appréciation, mais avait fait un choix de construction en connaissance de cause de l'inadaptation des fondations au sol d'assise, sachant qu'elle entraînerait nécessairement les désordres déjà observés par lui en sorte que ceux constatés constituaient au temps de la construction un dommage futur certain ne présentant aucun caractère aléatoire et que l'assureur était fondé à invoquer sa non-garantie ; la Haute juridiction censure les juges du fond ayant statué par de tels motifs, dont il ne résultait pas que l'entrepreneur avait la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu") ; d'une certaine manière, il s'agit, pour les assureurs, de continuer à montrer leur désaccord.

Il faut rappeler qu'en matière de responsabilité civile, hormis le dol et la faute intentionnelle, toutes les fautes de l'assuré sont en principe garanties, sauf exclusions. En effet, il ne faut pas confondre l'amoindrissement de l'aléa, et sa disparition totale. Ce n'est que dans l'hypothèse de la disparition totale de l'aléa que l'on peut exclure la garantie.

La difficulté en matière d'assurance construction est que l'assureur ne peut prévoir des exclusions de garantie pour certains comportements qu'il considère comme dangereux. Ce qui explique la tentative de recours au droit commun pour dénier leur garantie.

Une amorce d'évolution apparaît toutefois sur le terrain du dol. En effet, l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), fait référence non seulement à la faute intentionnelle, mais également à la faute dolosive.

Il peut ainsi être soutenu que si le législateur évoque la faute intentionnelle ou dolosive, c'est qu'il existe une nuance entre les deux notions ; la faute dolosive serait celle qui serait commise par une personne qui, en pleine conscience, violerait ses obligations. La volonté de créer le dommage ne serait alors plus un élément constitutif de la faute dolosive. C'est ainsi qu'un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 12 septembre 2013 semble adopter cette analyse, dans le cadre d'une assurance de véhicule (Cass. civ. 2, 12 septembre 2013, n˚ 12-24.650, F-P+B N° Lexbase : A1567KLM : "l'assuré ayant volontairement tenté de franchir le cours d'une rivière avec un véhicule non adapté à cet usage commet une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur"). En matière d'assurance construction, il n'existe cependant aucune évolution en ce sens.


B — Le contentieux sur le non-paiement de la prime et la résiliation des polices en assurance obligatoire

Il s'agit là d'un contentieux naissant, contrairement à celui de la faute intentionnelle ou dolosive.

Les clauses type des assurances dommages-ouvrage prévoient que les garanties sont mises en place pour une durée de dix ans, ce sans qu'il soit précisé, à l'instar de ce qui est prévu en matière de RC décennale, qu'"en tout état de cause, les garanties sont maintenues pendant toute la durée de la responsabilité, y compris en cas de non-paiement, sans paiement de prime subséquente".

En l'absence d'une telle clause dans les contrats d'assurance DO, la question de savoir si l'assureur peut invoquer la résiliation du contrat d'assurance DO pour non-paiement de la prime par l'assuré, reste ouverte, la jurisprudence ne s'étant pas encore prononcée à cet égard.

Quoi qu'il en soit, s'agissant des modalités de mise en demeure en cas de non-paiement, il convient de se demander quel est le réel débiteur de la prime, notamment en cas de transfert de propriété. Il s'agit, pour l'assureur, de savoir à qui doit-il envoyer sa mise en demeure, sachant qu'il connaît l'adresse du souscripteur, mais pas nécessairement celle des bénéficiaires de la garantie. Ainsi, une mise en demeure de payer la prime envoyée au souscripteur d'origine permet-elle de résilier la police ? Il semblerait que non (cf. Cass. civ. 1, 28 juin 1988, n˚ 86-11.005 N° Lexbase : A7712AGQ ; Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n˚ 96-20.275, publié au bulletin N° Lexbase : A1174CHX ; Cass. civ. 3, 20 octobre 2004, n˚ 03-13.599, FS-P+B N° Lexbase : A6485DDK ; ces affaires ne concernent toutefois pas l'assurance DO).


C — Le contentieux sur les non-déclarations de chantier en police RC décennale à abonnement

Ainsi que cela a été évoqué précédemment, la non-déclaration de chantier en police RC décennale à abonnement est régulièrement plaidée par les assureurs, pour invoquer la sanction de la règle proportionnelle de taux de prime de l'article L. 113-9 du Code des assurances ; si cela semble discutable, selon Pascal Dessuet, la jurisprudence accueille l'argument favorablement.


Voir aussi

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