Prescription et subrogation : où le subrogé est appelé à la diligence
France > Droit privé > Droit civil >
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
Un récent arrêt (Cass. Civ. 1re, 2 février 2022, n° 20-10855 [1]) est l’occasion pour la Cour de rappeler que la subrogation ne modifie pas le point de départ de la prescription.
Une société acquiert en janvier 2011 un yacht, donné en location, avec option d'achat, à un locataire, assuré auprès de la société Helvetia assurances. A la suite de la destruction du navire par un incendie survenu le 29 octobre 2011, l'assureur a indemnisé le locataire et l'acquéreur. Le 19 avril 2013, l'assureur, invoquant un défaut de conformité, a assigné en résolution de la vente le vendeur.
La cour d’appel rejette l’action de l’assureur, au motif que l’action de l’assureur subrogé est soumise à la prescription applicable à l’action de l’assuré subrogeant. Or, le point de départ de cette prescription biennale (L. 211-12 C. Cons.) était la délivrance du navire.
Pourvoi est formé par l’assureur, qui invoquait l’adage contra non valentem et soutenait que « la prescription de l'action fondée sur la subrogation ne peut commencer à courir avant le paiement subrogatoire ».
Prima facie, l’argument ne manque pas de sens : tant qu’il n’a pas payé, l’assureur n’a ni préjudice ni intérêt à agir. Tant qu’il n’a pas payé, il n’est pas subrogé dans les droits de son assuré, de sorte qu’il n’a pas d’action contre le vendeur. Partant, le point de départ de la prescription pourrait être fixé au jour du paiement subrogatoire.
Ce serait oublier un trait fondamental de la subrogation : elle ne confère pas au subrogé plus de droits que le subrogeant n’en avait. Nemo plus juris.
On ne s’étonnera donc pas de l’orthodoxie du Quai de l’horloge.
Elle rappelle que « le débiteur, poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire, peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire ».
Elle en infère que « le point de départ de la prescription de l'action du subrogé est identique à celui de l'action du subrogeant », citant ici sa propre jurisprudence (1re Civ., 4 février 2003, pourvoi n° 99-15.717 [2], 2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.179 [3] ; Com., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-14.486 [4]).
Elle en conclut que « l'action de la personne subrogée dans les droits de la victime d'un dommage contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action de la victime ».
Le raisonnement paraît implacable : puisque la subrogation place le subrogé dans les bottes du subrogeant, puisqu’un mécanisme translatif ne peut aggraver la situation du débiteur, l’assureur subrogé se voit opposer la prescription de l’action de l’assuré.
Rigoureuse, la solution n’en présente pas moins un inconvénient : celui de rendre bien illusoire la subrogation dans une action prescrite. Se consolera-t-on en excipant du recours personnel ?