Quelques illustrations récentes de la théorie de l’imprévision

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
16 septembre 2022


Il y a quelque temps, nous écrivions que l’imprévision avait tout de l’Arlésienne. On en parle beaucoup mais on ne la voit jamais (L. Thibierge, « A la recherche de l’imprévision », BRDA 12/22, p. 23).

Cà-et-là, on relève cependant quelques décisions éparses des juges du fond qui, mises bout à bout, offrent un ersatz de régime à cette théorie que l’on peine à voir mise en application.

Ici (Aix-en-Provence, 8 sept. 2022, n° 21/06594), c’est un preneur à bail commercial qui, excipant de difficultés liées à la crise sanitaire, entendait échapper à la résolution du bail pour défaut de paiement du loyer. Il soutenait que la fermeture administrative de son local durant 3 mois et les restrictions administratives lui ayant fait suite constituaient un changement de circonstances imprévisible rendant excessivement onéreuse l’exécution de son obligation de loyer.

L’argument est repoussé, au motif que l’article 1195 C. Civ. serait supplétif et général, à l’inverse des articles L. 145-38 et -39 C. Com., dispositions « impératives et spéciales ».

Disons-le tout net, la motivation ne convainc pas. En quoi des dispositions relatives à la révision annuelle et normale du loyer auraient-elles vocation à évincer un texte relatif à la révision du contrat pour cause d’imprévision, c’est-à-dire à raison de circonstances exceptionnelles ? Quant à dire de l’article 1195 qu’il est supplétif, ce que d’aucuns récusent mais que nous pensons, en quoi est-ce ici pertinent, dès lors que les parties ne l’avaient pas écarté ?

Dernier point : la cour d’appel estime que l’invocation de la théorie de l’imprévision ne constitue pas une contestation sérieuse au sens de l’article 835 CPC (destinée à faire échec au prononcé en référé de la résiliation du bail), parce que l’article 1195 n’opère « que pour les obligations à venir du locataire et pas sur celles passées ». Le point est exact : l’article 1195 du Code civil n’est pas une excuse à l’inexécution.

Là (Paris, 7 septembre 2022, n° 20/09315), c’est une caution qui, pour se soustraire à une demande en paiement du créancier, invoque l’imprévision (sans que l’on saisisse bien pourquoi). La cour lui rétorque, outre que les conditions de l’article 1195 ne sont pas remplies qu’elle « voit mal ce que la caution attend de la cour, aucune demande de révision n’étant présentée ».

Bis repetita placent : l’article 1195 n’est pas une excuse à l’inexécution.

Là encore (Metz, 1er septembre 2022, n° 21/00675), c’est un preneur à bail qui, ayant cessé de payer ses loyers, prétendait échapper à la résiliation du bail en excipant de l’imprévision, motif pris de la crise sanitaire. Il estimait être un preneur de bonne foi, ayant proposé sans succès l’adaptation du contrat et offrait désormais de procéder au règlement des loyers sur 24 mois.

Pour la cour, à supposer que les périodes de restriction de l’activité de restauration dues à la crise sanitaire puissent être qualifiées de changement de circonstances imprévisible, il est relevé que le demandeur ne justifiait d’aucune demande de renégociation et qu’il n’a pas continué à exécuter ses obligations.

La cour ajoute que l’article 1195 n’a pas pour objet l’octroi de délais de paiement, ce qui est discutable. La révision du contrat constitue à le modifier, ce qui dépasse la seule question du prix. A retenir pour qui entend se prévaloir de l’imprévision : il faut adopter une attitude irréprochable, : continuer à exécuter ses obligations et formaliser une demande de renégociation. A défaut, les portes de l’imprévision demeureront fermées.