Secret professionnel de l’avocate et de l’avocat et confidentialité des échanges : vade-mecum

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Par Solenne BRUGÈRE Avocate au barreau de Paris, ancienne membre du conseil de l’ordre et Julien LAURENT Professeur à l’université Toulouse 1 Capitole, IEJUC (EA 1919)


Article publié dans La Gazette du Palais - Mars 2021 (Gaz. Pal. 23 mars 2021, n° GPL400y1, p. 10)

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Les échanges entre une avocate ou un avocat et sa clientèle.

Les correspondances échangées entre une avocate ou un avocat et sa clientèle sont expressément protégées par le secret professionnel, qui permet de garantir le respect des droits de la défense, dans tous les domaines du conseil et du contentieux. Ce secret s’applique non seulement à l’échange de courriers traditionnels, mais également aux courriers adressés par télécopie ou par messagerie électronique. Cela signifie que ces échanges n’ont pas vocation à être dévoilés par l’avocate ou l’avocat. En revanche, la clientèle n’étant pas tenue au secret, celle-ci demeure libre de produire, directement ou par l’intermédiaire de son avocat ou avocate, des documents auxquels elle n’entend pas donner un caractère de confidentialité. Elle peut ainsi faire état des courriers adressés à son conseil ou reçus de celui-ci ainsi que des informations transmises notamment à l’occasion d’une réunion, à moins qu’un accord de confidentialité n’ait été signé.

Les textes

Les textes essentiels applicables à la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client sont, l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l’article 2 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN), l’article 226-13 du Code pénal.

Article 66-5, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1971
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “officielle”, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

Article 2.1 du RIN
« L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps. Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. »

Article 2.2 du RIN
« Le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique…) :
–les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ;
–les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères, à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle ;
–les notes d’entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l’avocat dans l’exercice de la profession ;
–le nom des clients et l’agenda de l’avocat ;
–les règlements pécuniaires et tous maniements de fonds effectués en application des l’article 27, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 ; –les informations demandées par les commissaires aux comptes ou tous tiers, (informations qui ne peuvent être communiquées par l’avocat qu’à son client).

D. n° 2007-001, 28 avr. 2007 : JO, 11 août 2007
« Dans les procédures d’appels d’offres publics ou privés et d’attribution de marchés publics, l’avocat peut faire mention des références nominatives d’un ou plusieurs de ses clients avec leur accord exprès et préalable. Si le client de référence a été suivi par cet avocat en qualité de collaborateur ou d’associé d’un cabinet d’avocat dans lequel il n’exerce plus depuis moins de deux ans, celui-ci devra aviser concomitamment son ancien cabinet de la demande d’accord exprès adressée à ce client et indiquer dans la réponse à appel d’offres le nom du cabinet au sein duquel l’expérience a été acquise. Aucune consultation ou saisie de documents ne peut être pratiquée au cabinet ou au domicile de l’avocat, sauf dans les conditions de l’article 56-1 du Code de procédure pénale. ».

Article 226-13 du Code pénal
« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. ».

Questions pratiques

La clientèle peut-elle délier l’avocat/avocate du secret ?

L’obligation au secret professionnel, établie pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose à l’avocat/ l’avocate, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de son état. Sous cette réserve, elle est générale et absolue. L’avocat/avocate est tenue au secret professionnel en toutes circonstances[1], même après le décès du client ou de la cliente.

Il résulte par conséquent des textes applicables que l’avocat/ avocate ne peut en être déliée par sa clientèle [2]. Il ou elle ne peut notamment, même à la demande de cette dernière, révéler à un tiers le contenu d’un entretien[3].

L’avocat/avocate doit par conséquent faire preuve d’une extrême prudence dans ses échanges en veillant à bien identifier ses interlocuteurs sans jamais adresser d’informations confidentielles à des tiers.

La clientèle est-elle liée par le secret de la lettre que son avocat/avocate lui a adressée ?

La clientèle n’étant pas tenue au secret professionnel, elle peut produire en justice les correspondances adressées par l’avocat/l’avocate à des confrères ou consœurs ou à elle-même sans exposer cette communication à une annulation pour violation de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. A cet égard, le client ou la cliente qui produit aux débats une lettre adressée à son avocat/avocate n’est pas recevable à invoquer ensuite un secret professionnel portant sur des informations qu’il ou elle a choisi délibérément de rendre publiques [4].

Les échanges entre avocats et clients peuvent être « confidentialisés » par la conclusion d’un accord de confidentialité.

Est-ce que les documents adressés par une cliente ou un client à son avocat/avocate sont confidentiels ?

Les documents adressés par une cliente ou un client à son conseil sont couverts par le secret professionnel. Ils pourront cependant être communiqués, en tout ou partie, à une juridiction ou des tiers, à la double condition que cela soit dans son intérêt et effectué avec son accord préalable.

Est-il possible pour un avocat ou une avocate de produire des échanges ayant eu lieu avec un client ou une cliente dans le cadre d’une action en responsabilité intentée à son encontre ?

Il résulte des articles 66-5, al. 3, de la loi du 31 décembre 1971 et 2.1, al. 3, du RIN, que l’avocat/avocate peut se délier du secret pour les strictes exigences de sa propre défense.

Il est ainsi possible de répondre aux accusations d’un client ou d’une cliente en produisant les correspondances échangées ensemble lorsqu’elles sont utiles à la défense de ses intérêts.

De manière générale, lorsque sa responsabilité civile est engagée ou qu’un contentieux d’honoraires survient, l’avocat/l’avocate est en droit de produire les pièces nécessaires à sa défense à la condition de se limiter aux éléments strictement indispensables. La juridiction saisie est d’ailleurs tenue de rechercher si la production des documents protégés est justifiée par les exigences de la défense de l’avocat/avocate[5].

Est-ce que les propos échangés lors d’un rendez-vous auquel assistent les avocats/avocates et les parties sont confidentiels pour ces dernières ?

Le principe est que toute réunion n’est pas confidentielle pour les parties non-avocat qui y assistent, sauf dans trois hypothèses :
–Si un accord de confidentialité a été conclu entre les parties ;
–Si la réunion s’inscrit dans un cadre légal de confidentialité (tel celui de la médiation judiciaire) ;
–Si assistent à la réunion un ou une élève avocate qui a prêté le petit serment ou des personnes membre de l’équipe d’un cabinet d’avocat, ces dernières étant soumises au secret professionnel.

Recommandations pratiques

––1. De manière générale, l’avocat/l’avocate doit se montrer très prudent(e) sur les éléments transmis à sa clientèle, et notamment à propos des échanges avec le conseil adverse afin de ne pas risquer leur révélation ou leur transmission au client ou à la cliente, ces derniers étant confidentiels[6] ;

––2. Avec le développement des échanges par la voie numérique, il convient de redoubler de prudence pour veiller à ce qu’aucune correspondance ou pièce attachée protégée par le secret, ne soit transmise par inadvertance ;

––3. La vigilance est notamment de mise lors des réunions avec la clientèle ou de tiers, non tenues au secret professionnel, afin de veiller à la confidentialité de l’existence et de la teneur des échanges qui y seraient tenus.

Réflexes à adopter pour chaque réunion :

1. Au début de chaque réunion, informer les clients ou clientes du fait que la réunion n’est pas confidentielle, d’une part, et des risques qu’ils ou elles prennent en acceptant de prendre part à une réunion dont la confidentialité n’est pas assurée, d’autre part.

À cet égard, les prévenir que lorsque la réunion n’est pas confidentielle, chaque client ou cliente pourra faire état :
––de l’existence de cette réunion ;
––de ce qui aura été dit par les parties au cours de cette réunion ;
––des pièces qui auront été échangées pendant la réunion.

2. Si la réunion est confidentielle et qu’une des parties ne respecte pas la confidentialité en dévoilant son existence ou tout ou partie de sa teneur, celle-ci engage sa responsabilité et s’expose à des dommages et intérêts.

3. Par conséquent, leur demander s’ils ou si elles souhaitent préserver la confidentialité de la réunion.

4. Si oui, inviter les parties participantes à une réunion, non avocates ou avocats (hormis les membres de l’équipe) à conclure un engagement de confidentialité avant le début de la réunion.

5. Conserver la trace de ce que ces informations ont été données.

Naturellement, si un accord de confidentialité est signé, même si l’avocat/avocate n’en est pas signataire, il convient en toute hypothèse de préserver la confidentialité et ne pas dévoiler l’existence et la teneur des échanges pendant la réunion. À défaut, la responsabilité sur le plan disciplinaire et pénal sera engagée.

Le cas échéant, proposer de confidentialiser également les échanges avec la clientèle par la conclusion d’un accord de confidentialité spécifique ou une clause en ce sens dans la convention d’honoraires.

Que faire si un avocat ou une avocate apprend dans le cadre de sa mission, par exemple au cours d’une réunion, l’existence d’actes de maltraitance à l’égard d’un enfant, d’une personne vulnérable, ou de violences dans un cadre conjugal ?

Il y a parfois des situations où notre conscience est mise à rude épreuve, par exemple lorsqu’au cours d’une réunion des faits de violences physiques sur une personne en situation de handicap sont révélés ou des menaces de mort sont proférées par un homme à l’encontre de sa conjointe dans le cadre d’une procédure de divorce.

D’un côté, nous avons le devoir de ne rien dire au nom du principe du secret et de la confidentialité. De l’autre, la vie de cette femme ou d’un enfant, ou d’une personne âgée peut être exposée et parler pourrait être utile pour sortir d’une situation de danger.

Il sera rappelé que l’article 226-13 du Code pénal protège l’avocat ou l’avocate qui informe « les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il ou elle a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou une mineure ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur ou de son autrice, sauf s’il est établi qu’il ou elle n’a pas agi de bonne foi ».

Ainsi, si des faits de maltraitance sont portés à la connaissance d’un avocat ou d’une avocate, tels que des cas de violences sexuelles commises sur un enfant, une personne âgée ou en situation de handicap, ou toute personne qui parait devoir être protégée selon les critères précis de l’article, dès lors que cela met en conflit deux règles d’ordre éthique et déontologique, il est vivement recommandé de s’en ouvrir à son bâtonnier ou sa bâtonnière.

Exemple de modèle d’engagement de confidentialité

« Je m’engage irrévocablement, sauf obligation légale ou injonction de l’autorité légitime, à respecter le caractère strictement confidentiel de l’existence même du rendez-vous de ce jour et/ou de tout ce qui pourrait y être dit ou échangé [ainsi que de toute réunion à venir] [7].

Je m’interdis par la présente d’utiliser, de laisser utiliser ou de révéler à quiconque, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, notamment à l’occasion d’une procédure judiciaire ou arbitrale, la teneur des propos et, plus généralement, toutes les informations qui auraient pu être échangées verbalement ou par écrit par les participants et participantes à cette réunion, ainsi que les pièces qui auraient été consultées, échangées ou remises pendant cette réunion.

J’ai pris note du fait que le non-respect des présentes engagerait ma responsabilité personnelle. »

Date et lieu de la réunion :
À …
Le …
Nom et prénom de la partie A
Nom et prénom de la partie B
Signature
Signature


Lien utile

Code de déontologie du barreau de Paris
Code deontologie (2).png













Références

  1. Pour une affaire où un avocat, dans une situation incompatible avec les exigences de l’article 7, alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1971, qui interdit aux avocats d’être salariés d’une autre personne qu’un avocat ou une association ou un groupement d’avocats, avait produit des pièces couvertes par le secret professionnel Cass. soc., 12 mai 2017, n° 15-28943.
  2. Cass. 1re civ., 6 avr. 2005, n° 00-19245.
  3. Cass. crim., 27 oct. 2004, n° 04-81513 ; Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 00-19245. V. égal. Comm. déont. Paris secret professionnel et confidentialité, avis, 19 janv. 2004 ; avis n° 122/25.4373, 27 mai 2014 ; avis no 122/27.8915, 9 juin 2016.
  4. Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-18577.
  5. Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 15-25282 ; même sens,Cass. soc., 12 mai 2017, nos 15-28943 et 15 -29129 ; Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n° 17-31518 – La défense de l’avocat est donc insuffisante pour justifier la production de documents couverts par le secret médical qui auraient été remis à l’avocat par son client et qui ne pourront être produits en justice qu’avec son accord, Cass.1re civ., 28 juin 2012, n° 11-14486 : D. 2012, p. 136, obs. T. Wickers ; Dr. et patr. 2013, p. 81, obs. B. Chaffois. V. déjà, Cass. 1re civ., 29 mars 1978, n° 76-15422.
  6. V. S. Brugère et J. Laurent, « Secret professionnel de l’avocate et de l’avocat et confidentialité des échanges. Les échanges entre avocats et/ou avocates », Gaz. Pal. 9 févr. 2021, n° 396j0, p. 17.
  7. Attention, si l’engagement porte sur une réunion en particulier, les réunions postérieures ne seront pas confidentielles. Si vous souhaitez que la confidentialité protège toutes les réunions à venir, pensez à le préciser dans l’engagement de confidentialité.