Subrogation et prescription : la Cour donne le « la »

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

15 septembre 2022

« Le subrogé chausse les bottes du subrogeant ». L’expression, que l’enseignant de régime général de l’obligation espère parlante lorsqu’il s’adresse à son amphithéâtre, signifie que le subrogé prend la place du subrogeant.

Puisqu’il est fictivement le subrogeant, il n’a ni plus ni moins de droit que lui. La règle est justifiée par la volonté de ne pas aggraver la situation du débiteur. Le changement de créancier doit être, comme toute opération translative, neutre à son endroit.

Justifiée, la règle est-elle pour autant limpide ? A en lire un contentieux récurrent, tel n’est pas nécessairement le cas. En témoigne un récent arrêt (Cass. Civ. 3e, 11 mai 2022, n° 20-23335 [1]). Les faits de l’espèce étaient basiques : un bail d’habitation est conclu, garanti par un cautionnement donné par une association. Actionnée en paiement par le créancier, la caution le désintéresse puis exerce un recours subrogatoire contre le débiteur.

Celui-ci conclut à l’irrecevabilité de l’action récursoire de la caution, au motif que l’article L. 218-2 du code de la consommation impose une prescription biennale pour toutes les actions des professionnels contre les consommateurs.

Le pourvoi expose que cette prescription biennale du code de la consommation s’applique au recours de la caution professionnelle contre le débiteur. A l’en croire, le cautionnement étant un service financier fourni par un professionnel à un consommateur, la caution professionnelle n’a que deux ans pour agir en remboursement contre le débiteur.

Audacieux, l’argument fait fi du mécanisme de la subrogation. En effet, la caution qui exerce le recours subrogatoire chausse les bottes du créancier qu’elle a désintéressé (le bailleur). Elle n’agit pas en exécution d’un contrat de service fourni à un consommateur, mais prend fictivement la place du bailleur, puisqu’elle est subrogée dans ses droits.

Comme le dit la Cour, « l'action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription que celle applicable à l'action du créancier contre le débiteur ». Or, le bailleur dispose en vertu de l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 de trois ans pour agir en recouvrement des loyers impayés.

La solution paraît imparable. Avant de choisir entre le recours personnel et le recours subrogatoire, un coup d’œil à la prescription ne sera pas inutile !