Vente ou entreprise l'éternel dilemme.

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France  > Droit privé >  > Droit des contrats spéciaux


Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

19 septembre 2022


 20 avril 2022 Cour de cassation Pourvoi n° Z2114182

Les conflits de qualification font tout le sel du droit des contrats spéciaux. Puisqu’à chaque qualification correspond un régime spécifique, l’enjeu dépasse amplement les sphères éthérées de la doctrine pour parler au praticien et au justiciable.

Une fine frontière sépare parfois le contrat de vente du contrat d’entreprise. Lorsque l’entrepreneur réalise la chose pour le maître de l’ouvrage et lui en transfère la propriété, la similitude avec la vente se fait saisissante.

Le conflit est traditionnellement tranché en considération de la chose objet du contrat. Lorsque cette chose est du « sur mesure », réalisée et conçue suivant les spécifications données par le client, alors le contrat est d’entreprise. A l’inverse, lorsque le contrat porte sur du « prêt à porter », il reçoit la qualification de vente.

L’application est parfois plus complexe, comme le révèle la jurisprudence.

Au cas d’espèce, un client commande 264 projecteurs à un fournisseur, afin d’illuminer la place de Catalogne à Paris. Le modèle de projecteur est référencé au catalogue du fournisseur, ce qui laissait augurer que - chose standardisée -, le contrat devait être qualifié de vente.

Pourtant, notre client stipule sur le bon de commande que les projecteurs doivent faire l’objet d’un traitement par « rilsanisation » (une protection complémentaire en polyamide) et être équipés d'une patte de fixation, également traitée par rilsanisation, « raccourcie au maximum pour réduire l'encombrement des appareils de façon à faciliter le nettoyage du caniveau ». En somme, le client commandait un produit standardisé mais demandait qu’on l’adapte à ses besoins spécifiques. Dès lors, quelle qualification devait l’emporter ?

Pour la Cour de cassation, l’expression dans le bon de commande de « caractéristiques particulières » que devait revêtir la chose objet du contrat « afin de répondre aux besoins précis du chantier auquel » elle était destinée signifie qu’un « travail spécifique » était requis, ce qui excluait la qualification de vente au profit de celle de contrat d’entreprise.

Voir également L. Thibierge, « De la vente et du contrat d’entreprise : fiat lux ! », RDC 2022, n° 3, à paraître.