Actualité fiscale et produits de l'assurance vie: Much Ado About Nothing ? (fr)
France > Droit civil > Droit des assurances
Auteur : Olivier Roumelian,
Avocat au barreau de Paris
site de Me Olivier Roumelian
Article publié dans la revue Actuassurance n° 34 Janv-Févr 2014
La fin de l’année 2013 aura été chargée en matière d’assurance vie sur le plan législatif.
Préservée d’une réforme fiscale d’ampleur qui aurait pu présenter des conséquences dommageables sur un secteur important de l’économie française représentant environ 1.400 milliards d’euros, l’assurance vie a néanmoins subi des modifications qui se traduisent par une augmentation directe ou indirecte de la fiscalité (I.).
Après avoir mis à l’épreuve les contribuables par d’importantes hausses d’impôts sans pour autant avoir réussi à assurer la stabilité des finances publiques ni à relancer l’activité économique, le Gouvernement a désormais décidé de mettre les Français à contribution en leur qualité d’épargnants investis en assurance vie (II.).
I. Une actualité fiscale 2013 chargée
1.1. Des fortunes diverses en matière d’ISF
1.1.1. Le (mauvais ?) plafonnement
L’administration fiscale ne semble pas aimer les contrats se traduisant sous la forme d’une enveloppe juridique, surtout lorsqu’ils permettent de bénéficier d’une économie fiscale. Tel avait été le cas de l’usage des contrats d’assurance vie et des contrats de capitalisation pour les besoins du feu « bouclier fiscal ».
Le 14 juin 2013, par la voie du BOFIP (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614 II-B-1 § 200), malgré la décision du Conseil constitutionnel qui avait invalidé l’article 13 de la loi de finances pour 2013 (DC, 29 déc. 2012), l’administration fiscale a fait savoir que pour les besoins du calcul du plafonnement de l’ISF il fallait prendre en compte les revenus soumis aux prélèvements sociaux, même non appréhendés par les épargnants, i.e. les revenus des fonds euros des contrats d’assurance vie mono-support et multi-supports. Avec une certaine mansuétude, elle laissa jusqu’au 15 octobre de la même année aux contribuables pour se conformer à sa doctrine.
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir, au terme de trois décisions en date du 20 décembre 2013, le Conseil d’Etat annula cette doctrine administrative en considérant notamment que l’administration fiscale avait adopté des « dispositions qu’il n’appartient qu’au législateur de prévoir ».
Dans le même temps, le législateur a souhaité légaliser cette doctrine administrative soumise à contestation. Après s’être prononcé sur le même sujet l’année précédente et quelques jours seulement après la position du Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, a jugé qu’est contraire à la Constitution la loi qui prévoit d’inclure dans le plafonnement de l’ISF des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou des revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année.
Au final, il aura fallu trois décisions rendues sur une durée d’un an par deux Cours suprêmes (Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat) pour éviter la taxation des contribuables français sur un revenu non encore appréhendé !
1.1.2. Une assiette imposable élargie à l’indisponible
L’article 11 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 complète l’article 885 F du Code général des impôts afin d’inclure dans le patrimoine taxable des contribuables assujettis à l'ISF la créance qu'ils détiennent sur l'assureur au titre de leurs contrats d'assurance vie comportant une clause de non-rachat ou d'indisponibilité temporaire.
Cette disposition légalise la doctrine administrative qui avait été adoptée concernant les contrats euro-diversifiés sous forme de l'instruction 7 S-4-10 du 4 janvier 2010 reprise au BOI-PAT-ISF-30-20-10 n° 160 et qui avait été validée par le Conseil d’Etat saisi d’un recours pour excès de pouvoir (CE 3 décembre 2012, n° 349202, 8ème et 3ème s.-s., Gentil : RJF 2/13 n° 230). Pour rappel, en se prononçant pour l’imposition à l’ISF de la créance détenue par les contribuables au titre de contrats non-rachetables, l’administration fiscale avait contribué à l’échec des contrats euro-diversifiés instaurés par la loi 2005-842 du 26 juillet 2005 (Assurance-vie : actualité fiscale du premier semestre 2010, Gazette du Palais, 8-9 septembre 2010, Olivier Roumélian et Guillaume Hublot).
On ne peut donc qu’être surpris de l’adoption de cette nouvelle mesure qui trouvera à s’appliquer à compter de l’ISF 2014 notamment aux nouveaux contrats euro-croissance créés par le même texte et dont l’exclusion de la base imposable à l’ISF pouvait constituer une incitation à la souscription pour les épargnants (Cf. § 2.1. ci-après).
1.2. L’alignement à la hausse (partiel !) des prélèvements sociaux
Dans un souci apparent de simplification et inavoué de récupérer plusieurs centaines de millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires, la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la Sécurité Sociale pour 2014 a mis fin à l'application du régime dit des « taux historiques » pour le calcul des prélèvements sociaux sur certains produits des contrats d'assurance vie exonérés d'impôt sur le revenu.
On rappellera que les produits des contrats d'assurance vie investis dans le fonds en euros et les intérêts inscrits depuis le 1er juillet 2011 sur les compartiments en euros des contrats multi-supports sont taxés « au fil de l'eau », i.e. au taux en vigueur lors de leur inscription en compte et ne sont donc pas concernés par cette réforme.
Cette mesure ne pourra toutefois pas produire pleinement ses effets dans la mesure où par sa décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation. Il a relevé que le législateur a institué, pour les contrats d'assurance vie souscrits avant le 26 septembre 1997 un régime particulier d'imposition des produits issus de ces contrats, afin d'inciter les titulaires à conserver ceux-ci pendant une durée de six ans pour ceux antérieurs au 1er janvier 1990 et de huit ans pour ceux ouverts à compter de cette date.
Selon le Conseil, outre une exonération d'impôt sur le revenu, l'application des prélèvements sociaux aux « taux historiques » à ces produits est l'autre contrepartie attachée au respect de cette durée de six ou huit ans de détention des contrats. Si certains épargnants se réjouiront de cette mesure, il est toujours surprenant pour une instance juridictionnelle d’interpréter rétroactivement et généraliser le comportement des souscripteurs lors de la conclusion des contrats d’assurance vie. Il a donc exclu l'application des taux de prélèvements sociaux à la date de dénouement du contrat ou du décès de l'assuré pour les produits acquis ou constatés au cours des huit premières années suivant l'ouverture du contrat d'assurance vie pour ceux des contrats souscrits entre le 1er janvier 1990 et le 25 septembre 1997.
On se souviendra que lors du débat budgétaire, le Gouvernement avait souhaité l’application de cette mesure pour l’ensemble des produits d’épargne concernés. En réponse aux réactions d’hostilité, il était revenu sur son projet afin de limiter la mesure aux seuls contrats d’assurance vie, excluant ainsi les plans d’épargne en actions et autres plans d’épargne logement notamment.
Par sa décision, le Conseil constitutionnel limite donc les effets d’une mesure dont le champ d’application avait été réduit avant même d’entrer en vigueur. En outre, en maintenant partiellement le principe des « taux historiques », le Conseil ne permettra donc pas de satisfaire à l’objectif de simplification souhaité par le législateur.
En s’étant prononcé ainsi, on peut se demander si le Conseil constitutionnel s’est comporté en garant des libertés publiques ou bien a souhaité rappeler son existence sans forcément en mesurer les conséquences tant sur les finances publiques que pour les assureurs !
1.3. Une augmentation du prélèvement sur les capitaux décès
Pour rappel, lorsqu'elles ne relèvent pas des droits de mutation par décès (CGI, art. 757 B), les sommes dues par les assureurs sont soumises, à concurrence de la part revenant à chaque bénéficiaire qui excède 152 500 €, à un prélèvement spécifique égal à 20 % pour la fraction inférieure ou égale à 902 838 € et à 25 % pour la fraction excédant cette limite.
La loi de finances rectificative pour 2013 porte de 25 % à 31,25 % le taux d'imposition du prélèvement sur les capitaux décès. Il abaisse dans le même temps de 902 838 € à 700 000 € le seuil d'application de ce taux. Ces aménagements concernent l'ensemble des contrats, quelle que soit la composition de leurs actifs. Ils s'appliquent aux contrats dénoués par décès intervenus à compter du 1er juillet 2014.
Le législateur a de quoi se réjouir ; cette hausse de la fiscalité par décès n’a pas été remise en cause par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013. On comprend mal pourquoi il ne s’est pas inspiré de sa décision rendue dix jours auparavant concernant les « taux historiques » de prélèvements sociaux. En effet, dès lors que le taux de 25%, porté à 31,25% après réduction du seuil de déclenchement s’applique aux contrats d’assurance vie en cours, n’y a-t-il pas atteinte aux contreparties que les contribuables pouvaient attendre du régime fiscal applicable aux contrats d’assurance vie qu’ils ont souscrit ? Il est vrai qu’au contraire des prélèvements sociaux dont les taux proportionnels s’appliquent uniformément à tous les contribuables, ce taux d’imposition majoré s’applique à partir d’un seuil de déclenchement élevé.
Il est à se demander si dans un souci de plaire au plus grand nombre par sa décision relative aux prélèvements sociaux, le Conseil constitutionnel n’a pas choisi de sacrifier les plus aisés des épargnants français, laissant ainsi le soin libre à l’interprétation qui peut être faite de ses décisions.
II. Des nouveaux produits pour 2014
2.1. Les contrats euro-croissance
Malgré l’échec des contrats euro-diversifiés créés en 2005 mais n’ayant jamais été commercialisés, inspiré par le rapport dit « Berger – Lefebvre » du 2 avril 2013, le législateur a décidé de lancer les contrats euro-croissance.
Ces contrats donnent lieu à la constitution d'une provision de diversification et peuvent comporter des compartiments investis aussi bien en fonds euros qu'en unités de compte. Au terme d'une durée de détention minimale de huit ans, ils offrent à l'assuré une garantie en capital ou en rente.
Le régime juridique de ces contrats euro-croissance devra être défini par ordonnance et permettra de comprendre quel intérêt les souscripteurs pourraient avoir à souscrire de tels contrats en comparaison de l’investissement de leur prime dans un fonds euros qui offre également une garantie en capital sans présenter la contrainte de l’indisponibilité.
Pour faciliter le développement de ces produits, à l’identique de l’amendement dit « Fourgous », l’article 9 de la loi de finances rectificative pour 2013 prévoit la possibilité de transformer les contrats d'assurance vie existants en contrats euro-croissance sans perte de l'antériorité fiscale.
Afin de tenir compte des spécificités de ces contrats, les prélèvements sociaux s’appliqueront lors de l'inscription en compte des gains du fonds en euros ainsi que lors de l'atteinte de la garantie pour les produits des compartiments des engagements donnant lieu à la constitution d'une provision de diversification. L'assiette des prélèvements est alors égale à la différence entre la valeur de rachat de ces engagements à l'atteinte de la garantie et la somme des primes versées affectées à ces engagements.
2.2. Les contrats vie-génération
Afin de compenser la hausse du prélèvement sur les capitaux décès (Cf. § 1.3. ci-dessus), le législateur a, dans le même temps, créé un abattement d’assiette de 20%. Cet abattement est réservé à une nouvelle catégorie de contrat d’assurance vie, dits « vie-génération », dont les actifs devront être investis en partie dans le logement social ou intermédiaire, l'économie sociale et solidaire, le capital-risque, ou encore dans les entreprises de taille intermédiaire.
Les contrats vie-génération doivent être constitués à hauteur de 33 % au moins d'actifs tels que des OPCVM et fonds d’investissement alternatifs investis dans l’un des secteurs mentionnés ci-dessus. Les modalités de calcul et d'appréciation du respect des proportions d'investissement seront précisées par décret.
En d’autres termes, pour espérer bénéficier d’un taux d’imposition moins élevé que celui normalement en vigueur, les épargnants devront investir dans un contrat d’assurance vie dont les actifs sous-jacents seront plus risqués que ceux d’un contrat multi-supports classique.
On peut comprendre que le Gouvernement désireux d’orienter une partie de l’épargne des ménages investie en assurance vie vers certains types d’actifs et les assureurs désireux de s’alléger d’une partie des fonds euros trouvent un intérêt dans les contrats euro-croissance et les contrats vie-génération. On perçoit difficilement celui des principaux concernés, à savoir les épargnants que l’on prive d’un avantage fiscal en imposant les contrats euro-croissance à l’ISF malgré l’indisponibilité temporaire et que l’on soumet à un risque important en leur faisant souscrire un contrat vie-génération afin de bénéficier d’une hypothétique réduction d’impôt qui ne trouvera à s’appliquer que lors du dénouement par décès à défaut de rachat total préalable.
Beaucoup d’efforts pour rien ou presque…
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