Aides d’Etat dans le secteur du transport maritime : le Tribunal de l’Union européenne confirme l’incompatibilité de l’aide d’Etat accordée à la SNCM (fr)
Europe France > Droit européen > Droit de la concurrence
Auteur : Stéphanie LEGRAND
Juin 2017
Observations sous l’arrêt TUE., 1er mars 2017, France c/ Commission, aff. T-366/13
Le Tribunal de l’Union européenne donne
suite à un contentieux nourri opposant la République
française à la Commission européenne au sujet des
compensations financières versées à la SNCM au
titre de la délégation de service public de desserte
maritime entre Marseille et la Corse pour la période
2007
-
2013. Cet arrêt de stricte application de la jurisprudence en matière d’aides d’Etat marque une
nouvelle étape complexe pour la SNCM, déjà affaiblie[1]
par un redressement judiciaire mis en place
en novembre 2014, sa condamnation à une amende
par l’Autorité de la Concurrence au titre d’un abus
de position dominante collective avec la CMN[2]
,
ou encore l’annulation de la délégation de service
public pour la période de 2014 à 2024 par le tribunal
administratif de Bastia[3]
suite à une plainte différente déposée par Corsica Ferries.
Pour rappel, la procédure de mise en concurrence de cette délégation de service public fut houleuse : quatre offres ont été déposées en réponse à l’appel d’offres lancé par l’Office des transports de la Corse pour la délégation de service public de des- serte maritime entre Marseille et les ports de Corse pour la période du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013 mais la procédure a été annulée par le Conseil d’Etat[4]. Deux offres ont été déposées suite à un nouvel avis d’appel à la concurrence, une offre com- mune de la SNCM et de la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN) constituées en un groupement momentané ainsi qu’une offre de Corsica Ferries. Une nouvelle fois, la procédure fut troublée puisque le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, saisi par Corsica Ferries, a annulé la phase de négociation de la procédure de passation par ordonnance du 27 avril 2007. A la suite d'une nouvelle phase de négociations avec le groupement SNCM - CMN et Corsica Ferries, l’Office des transports de la Corse a rejeté l'offre de cette dernière, la délégation a donc été attribuée au groupement SNCM - CMN .
La Commission européenne fut alors saisie d'une plainte déposée par Corsica Ferries au sujet d'aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, dont la SNCM et la CMN bénéficieraient grâce à la délégation de service public. Par décision attendue du 2 mai 2013[5] , la Commission européenne a considéré que les compensations financières versées à la SNCM et à la CMN pour le service dit « de base », fourni tout au long de l’année étaient compatibles avec le marché intérieur alors que les compensations financières versées à la SNCM pour le service dit « complémentaire », fourni pendant les périodes de pointe de trafic ne l’étaient pas.
La France a alors introduit un recours en annulation de cette décision en vertu de l'article 263 du TFUE. Le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours de la France et confirme la position de la Commission, autrement dit que les compensations financières versées à la SNCM pour le service « complémentaire » sont des aides d’Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal précise d’abord que Gazette de l’IDPA n° 26| Juin 2017 11 l’aide ne remplit pas le premier critère cumulatif de la jurisprudence Altmark[6] c’est à dire que la SNCM n’est pas effectivement chargée de l’exécution d’obligations de service public (I) . Il explique ensuite que l’aide ne remplit par le quatrième critère cumulatif[7] de la jurisprudence Altmark dans la mesure où l’entreprise n’a pas été choisie dans le cadre d’une procédure permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût par la Collectivité (II).
L’échec de la démonstration par la République française de l’existence d’obligations de service public dans le cadre du « service complémentaire »
La République française avançait trois principaux arguments à l’encontre de la décision de la Commission : d’abord, les deux services fournis dans le cadre du contrat sont complémentaires et ne peu- vent être appréhendés séparément ; ensuite ils forment un « ensemble » qui doit être considéré comme un service d’intérêt économique général qui fait état d’obligations de service public clairement définies et en tout état de cause, dans le cas où le service dit « complémentaire » devrait être appréhendé séparément du service dit « de base », il doit également être considéré comme un service d’intérêt économique général.
Le Tribunal confirme pourtant la distinction opérée par la Cour entre le service dit « de base » et le service dit « complémentaire ». Ils doivent être appréhendés séparément car ils diffèrent en termes de couverture des lignes, de types de transport, mais aussi parce que le cahier des charges du contrat de délégation de service public les distingue en fixant séparément les capacités minimales globales par périodes pour chacun des services.
Le Tribunal reprend ensuite la jurisprudence Altmark et considère que « pour qu’une entreprise chargée de cabotage maritime puisse être chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général et donc d’obligations de service public, il faut que le service en cause ré ponde à un besoin réel de service public, démontré par l’insuffisance des services réguliers de transport dans une situation de libre concurrence et également que le périmètre du service soit nécessaire et proportionné » . Pour le Tribunal, dans la mesure où les services de transport maritime fournis sur la liaison Marseille - Corse dans le cadre du service de base et ceux fournis sur une ligne distincte, celle reliant Toulon - Corse étaient, du point de vue de la demande substituables entre eux, l’inclusion du service complémentaire dans le périmètre du service d’intérêt économique général couvert par la délégation de service public n’était ni nécessaire ni proportionné. Ce service ne pouvait correspondre à un besoin réel de service public dans la mesure où la combinaison des capacités offertes par la ligne Toulon - Corse et par le service de base pouvait répondre à la demande. Le Tribunal opère ainsi une stricte appréciation de la notion de « besoin réel de service public ».
Le Tribunal confirme la position de la Commission qui estimait que l’inclusion du service complémentaire dans le périmètre du SIEG ne répondait pas à un besoin réel de service public. Les compensations financières versées au titre du service complémentaire ne répondent par conséquent pas au premier critère cumulatif issu de la jurisprudence Altmark.
L’échec de la démonstration par la République française de la passation d’une procédure permet tant de sélectionner le candidat capable de fournir les services au moindre coût par la Collectivité.
La République française soutient à ce titre que la procédure de passation du contrat a permis d’assurer une concurrence effective entre les opérateurs et par conséquent de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse.
Le Tribunal réfute cet argument et remet en cause les conditions dans laquelle la procédure a été effectuée. Il estime en effet « qu’il ressort d’un faisceau d’indices convergents que la procédure d’appel d’offres suivie en l’espèce n’a manifestement pas entrainé une concurrence réelle et ouverte suffisante, permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services de transport maritime en cause au moindre coût pour la Collectivité ».
Pour justifier sa position, le Tribunal avance notamment l’avantage concurrentiel que détient la SNCM du fait de sa qualité d’opérateur historique qui aurait permis de l’avantager durant la passation. La SNCM était en effet l’héritière de la Compagnie générale transatlantique en Méditerranée créée en 1855.
Il estime également que la brièveté des délais pour l’attribution de la délégation de service public a pu empêcher des candidats de présenter leur offre, ce qui peut expliquer la présentation de seulement deux offres. La délibération accordant le contrat au groupement a été signée le 7 juin 2007 pour un début de contrat fixé au 1 er juillet 2007. Si les délais sont certes restreints, c’est également le cas pour de nombreuses délégations de service public qui sont fréquemment attribuées dans des délais limités. Par conséquent, les opérateurs économiques et les administrations devront désormais prendre en compte le fait que ces délais puissent être utilisés pour contes- ter la concurrence réelle et ouverte d’une procédure de passation. Enfin, le Tribunal met en cause le rejet de l’offre de Corsica Ferries, seule autre offre déposée, qui s’est fondé sur la base « de critères de sélection et non d’ attribution »: selon les motifs du rejet, l’entreprise Corsica Ferries n’était pas en mesure de fixer de manière ferme et définitive la date à laquelle elle serait capable d'exploiter la délégation de service public et ne répondait pas à la condition d'âge maximal des navires prescrite par le règlement particulier d'appel d'offres. Par cette fine distinction entre « critères de sélection et non d’attribution », le Tribunal dénonce le rejet de l’offre de Corsica Ferries opéré « sans même qu’intervienne une comparaison des mérites propres des offres en présence pour tenir celle qui était économiquement la plus avantageuse ».
En conséquence, le Tribunal ne considère pas que la procédure de passation de la délégation de service public a permis de sélectionner le candidat capable de fournir le service en cause au moindre coût pour la Collectivité de Corse. Les compensations financières versées à la SNCM dans le cadre du service dit « complémentaire » ne correspondent pas au quatrième critère de la jurisprudence Alt- mark.
Le Tribunal confirme ainsi la position première de la Commission européenne et rejette le recours introduit par la France. Dans un deuxième arrêt rendu simultanément[8] , le Tribunal confirme que la France devra récupérer l’aide de 220 millions d’euros que la Commission avait identifiée dans sa décision du 2 mai 2013 et qui avait donné lieu à une condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne[9] pour manquement de l’Etat à son obligation de récupérer dans le délai imparti l’aide en question. La France avait à l’époque refusé de forcer la main à la SNCM, de peur de provoquer sa liquidation judiciaire[10]. Le remboursement de cette aide est désormais inévitable et sera une nouvelle étape compliquée pour la SNCM, aujourd’hui devenue Corsica Linea.
Références
- ↑ our des Comptes, Rapport public annuel, février 2016
- ↑ écision de l’autorité de la concurrence, n° 09 - D - 10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent
- ↑ TA Bastia 7 avril 2015, n° 1300938 confirmé par CAA Marseille 4 juillet 2016 n° 15MA02336
- ↑ E 15 décembre 2006, Société Corsica Ferries, n° 298618
- ↑ Décision 2013/435/UE de la Commission du 2 mai 2013 concernant l'aide d'État SA.22843 (2012/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par la France en faveur de la Société Nationale Corse Méditerranée et la Compagnie Méridionale de Naviga- tion et notifiée sous le numéro C(2013) 1926
- ↑ CJCE 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsi- dium Magdeburg, aff. C - 280/00
- ↑ Pastor J - M, La délégation de service public de desserte de la Corse était bien une aide d'Etat, AJDA 2017 p. 436
- ↑ TUE 1 er mars 2017, SNCM c/ Commission, aff. T - 454/13
- ↑ CJUE 9 juillet 2015, Commission c/ France, aff. C - 63/14,
- ↑ CJUE, Communiqué de presse n°82/15, 9 juillet 2015