#Anti2010 ou le cyber-harcèlement généralisé

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Anne-Charlotte Andrieux, avocat et Vickie Le Bert [1]
Septembre 2021



L’environnement numérique est un terrain propice à la propagation et à la diffusion massive de contenus haineux. Sur Internet, la cyber-violence et le harcèlement en ligne peuvent se manifester sous des formes diverses [2] : intimidation, insultes, menaces en ligne, propagation de rumeurs, piratage de compte et usurpation d’identité digitale…


Les mineurs, particulièrement vulnérables, sont bien souvent la cible de ces pratiques. En 2020, près de 700 000 d'entre eux [3] auraient déjà été victimes de harcèlement et de cyber-violences. En 2013 cette fois, ce sont près de deux collégiens sur dix [4] qui se déclaraient victimes d’insultes, d’humiliations ou encore de menaces propagées sur les réseaux sociaux, par courriel ou par SMS.


Près de deux mois après le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris dans le cadre de la très médiatisée « affaire Mila » [5], ayant reconnu onze personnes coupables de cyber-harcèlement à l’encontre d’une personne mineure, la France doit en cette rentrée 2021 de nouveau faire face à la problématique du harcèlement en ligne.


#Anti2010 : une campagne de harcèlement généralisé

Apparu au début de ce mois de septembre sur les réseaux sociaux, le hashtag #Anti2010 est rapidement devenu viral. Le problème ? Ce hashtag vise à inciter les internautes au harcèlement, à la stigmatisation et au dénigrement des nouveaux élèves de sixième, nés en 2010.


Largement diffusé via les plateformes plébiscitées par les collégiens, et particulièrement présent sur la plateforme TikTok où serait par ailleurs né le mouvement, le hashtag #Anti2010, contribuant à la propagation de contenus et de messages haineux visant directement ces nouveaux collégiens, s’accompagne de messages menaçants : « Venez on bloque tous les 2010 », « On a trouvé l’adresse d’un 2010 » accompagné d’une photo de Kalachnikov, ou encore « Brigade contre les 2010 ».


Si selon plusieurs associations engagées dans la protection de l’enfance, cette campagne numérique de dénigrement ne semble pas encore se traduire par des actes de harcèlement physique ou moral dans l’enceinte des établissements scolaires, elles rapportent toutefois l’existence d’un malaise généralisé ressenti par la génération d’élèves visée par le hashtag. Selon les dires de la directrice générale de l’association e-Enfance, cela s’explique par le fait qu’un tel mouvement généralisé « n’a pas la même gravité qu’un harcèlement personnalisé puisque justement c’est un harcèlement très massif, qui touche une classe d’âge »[1]. Et c’est bien là toute la particularité de ce mouvement de harcèlement en ligne.


A la différence du cyber-harcèlement « classique », où un individu fait les frais d’actes litigieux de la part d’un ou plusieurs auteurs, cette fois, c’est toute une génération de collégiens, ceux nés en 2010, qui est la cible des dénigrements et des incitations à la stigmatisation perpétrés par le biais du hashtag #Anti2010.


Si les textes relatifs au harcèlement ne permettent pas à ce jour de sanctionner ce type d’atteinte généralisée, les réactions à cette campagne en ligne d’incitation au harcèlement ne se sont pourtant pas faites attendre. La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), qui déplore une véritable campagne « d’insultes, de harcèlement et de cyberharcèlement », a en effet rapidement alerté le gouvernement sur les dangers d’un tel phénomène, l’exhortant à agir en urgence. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, a en conséquence appelé les principaux des collèges à la « vigilance », ajoutant qu’un « cran nouveau » dans la lutte contre le cyber-harcèlement, devant se traduire par l’instauration d’une « coopération renforcée avec les plateformes [6] », devra être franchi. La plateforme TikTok a elle fait le choix de bannir la mention #Anti2010 de son réseau.


Ce phénomène #Anti2010, dont les conséquences sur les mineurs sont à ce jour difficilement quantifiables faute d’indicateurs précis, est toutefois l’occasion de revenir sur le délit de cyber-harcèlement, et sur les sanctions auxquelles s’exposent les auteurs de telles pratiques.


Le délit de cyber-harcèlement moral

Le délit de cyber-harcèlement moral, réalisé au moyen d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique, est prévu par l’article 222-33-2-2 du Code pénal [7]. Il se définit comme « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».


Faisant cas des particularités de l’environnement numérique, le législateur, par la loi du 3 août 2018, a fait évoluer la notion de cyber-harcèlement moral en l’étendant aux raids numériques [8], aussi appelés « harcèlement de meute ». L’infraction de cyber-harcèlement est alors également caractérisée lorsque :


Les propos ou comportements litigieux sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée.


Les propos ou comportements litigieux sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition


Cet élargissement bienvenu de la définition du cyber-harcèlement moral permet ainsi d’incriminer toute personne qui prendrait part à une telle campagne de harcèlement en ligne, et ce quand bien même cette participation ne se traduirait que par la réalisation d’un acte unique.


Ainsi, si les chefs de cyber-harcèlement étaient retenus dans l’affaire #Anti2010, le simple fait pour un internaute de retweeter le hashtag litigieux suffirait à caractériser l’acte de cyber-harcèlement, sans qu’une répétition de l’acte ou qu’une concertation de l’auteur du retweet avec les autres internautes participant à la campagne de harcèlement ne soient exigés.


Quelles sanctions pour l’auteur de cyber-harcèlement ?

Le cyber-harcèlement ayant été érigé au rang de délit, toute personne se rendant coupable d’une telle pratique est susceptible de se voir opposer des sanctions, dont la teneur varie suivant l’âge de l’auteur de l’acte et celui de sa victime :

Si l’auteur est majeur, et sa victime :

  • Est âgée de plus de 15 ans : 2 ans de prison / 30 000 € d’amende
  • Est âgée de moins de 15 ans : 3 ans de prison / 45 000 € d’amende


Si l’auteur est un mineur…


- de plus de 13 ans, et sa victime :

  • Est âgée de plus de 15 ans : 1 an de prison / 7500 € d’amende
  • Est âgée de moins de 15 ans : 18 mois de prison / 7500 € d’amende

- de moins de 13 ans :

  • Les auteurs de cyber-harcèlement âgés de moins de 13 ans se voient, eux, appliquer des règles spécifiques. Ainsi, en cas de poursuites pénales, le mineur s’étant rendu coupable de cyber-harcèlement et dont l’âge est compris entre 10 et 13 ne peut se voir imposer une peine de prison. Il risque toutefois de se voir appliquer certains mesures (mesures de placement ou encore de liberté surveillée) ou sanctions éducatives (confiscation de certains objets ou encore stage obligatoire de formation civique). Le Procureur de la République peut également faire le choix de procéder, en tant qu’alternative aux poursuites, à un rappel à la loi effectué en présence des parents.


Dans tous les cas, si l’auteur du cyber-harcèlement est mineur, ce sont ses parents qui seront tenus civilement responsables. Ils devront à ce titre indemniser les parents de la victime.


Victimes de cyber-harcèlement : des solutions existent

Les victimes de cyber-harcèlement, et plus particulièrement les mineurs, hésitent bien souvent à faire part des actes dont ils sont la cible.


Pourtant, les conséquences du cyber-harcèlement sur les mineurs peuvent être dévastatrices, pouvant in fine conduire à des situations d’isolement, de décrochage scolaire, et dans certains cas plus graves, à la dépression ou au suicide. Les enjeux du cyber-harcèlement sont alors importants.


Pour mettre un terme aux pratiques qu'elles subissent [9], il est conseillé aux victimes :


  • De se constituer des preuves, en effectuant notamment des captures d’écran
  • De se rapprocher d’un adulte de confiance
  • De procéder, via les mécanismes institués par les plateformes et réseaux sociaux, au signalement en ligne des contenus litigieux
  • Et lorsque cela s’avère nécessaire, de porter plainte.


Deux numéros verts sont également mis à la disposition des victimes souhaitant se faire entendre :

Le numéro 3018 [10] : numéro d’assistance aux jeunes victimes de violence numérique, gratuit, anonyme et confidentiel.

Le 3020 [11] : numéro « Non au harcèlement », gratuit, anonyme et confidentiel.


Référence

  1. 1 Justine Atlan, directrice générale de e-Enfance, pour Libération.