Dans quels cas puis-je obtenir l’élagage et/ou l’abatage des arbres de mon voisin ?

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Elodie Cheikh Husein, avocat au barreau de Lille [1]
15 Février 2023


1. Si ses arbres sont plantés en limite de propriété sans respecter les distances prescrites par le Code civil et/ou dont la hauteur ne respecte pas les dispositions du Code civil.

L’article 671 du Code civil[2] dispose que :

« Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations.

Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur.

Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers. »


Il résulte de cet article que :

- Un arbre de plus de deux mètres de haut doit être planté à plus de 2 mètres de la limite séparative ;

- Un arbre de 2 mètres de haut ou moins peut être planté jusqu’à 50 cm de la limite séparative ;

- Aucun arbre ne peut être planté à moins de 50 cm de la limite séparative.

Précision : La distance qui existe entre les arbres et la ligne séparative doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian du tronc des arbres (Cour de Cassation, 3ème civile, 1er avril 2009, n°08-11.876).

Si les arbres de vos voisins ne respectent pas ces prescriptions, vous pouvez exiger qu’ils soient élagués aux hauteurs prescrites à l’article 671 du Code civil[3] ou qu’ils soient abattus.

En effet, il résulte des dispositions de l’article 672 du Code civil[4] que :

« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.

Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales. »

Sur ce point, la jurisprudence a pu retenir :

« Les époux V. affirment avoir fait élaguer les arbres à l'automne et il y a lieu de constater qu'aucune demande n'est formulée à ce titre.

En revanche dès lors que ces trois arbres ne respectent pas les distances fixées par l'article 671 du code civil, le voisin peut, en application de l'article 672 du même code, exiger qu'ils soient arrachés ou réduits.

Le point de départ de la prescription trentenaire pour la réduction des arbres n'est pas, comme le soutiennent les époux V., la date à laquelle les arbres ont été plantés mais la date à laquelle ils ont dépassé la hauteur maximum permise.

Il y a lieu, pour faire cesser le trouble manifestement illicite, d'ordonner la réduction des trois cèdres à la hauteur sollicitée de 5 mètres, sous astreinte. »

(Cour d’Appel de GRENOBLE, Chambre Civile 1, 4 janvier 2013, n°11/05132)

Ainsi, et dès lors qu’un arbre est planté sans respecter les distances prescrites à l’article 671 du Code civil[5], vous pouvez exiger qu’il soit abattu ou élagué et ce, sans avoir à justifier d’un préjudice particulier.

Existe-t-il des exceptions à ce droit « à l’abattage ou à l’élagage » ?

Oui, le Code civil précise, dans son article 672 précité[6], qu’une telle action est possible « à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. »

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela signifie qu’il y a trois possibilités offertes par le Code civil pour éviter l’abatage ou l’élagage des arbres qui ne sont pas conformes aux prescriptions légales : la prescription trentenaire, le titre, ou la destination du père de famille.

1. Il y a prescription trentenaire lorsque l’arbre planté en limite de propriété sans respecter les distances prescrites par le code civil et/ou dont les dimensions ne respectent pas celles prescrites par le code civil existe depuis plus de 30 ans et, qu’aucune opposition n’ait été formulée expressément (par écrit) pendant cette période

Précision : la jurisprudence retient que le point de départ de la prescription trentenaire pour la réduction des arbres aux hauteurs déterminées par l’article 671 du Code civil n’est pas la date à laquelle les arbres ont été plantés, mais la date à laquelle ils ont dépassé la hauteur maximum permise (Cour de Cassation, 3ème civile, 8 décembre 1981).

Il en résulte qu’il doit donc être démontré, pour pouvoir valablement opposer la prescription trentenaire et donc, s’opposer à la demande d’élagage ou d’abatage, que l’arbre a dépassé la hauteur autorisée depuis plus de 30 ans (et non pas qu’il ait été planté depuis plus de 30 ans).

2. Il y a titre lorsqu’une servitude a été établie par un titre (exemple : acte notarié) qui déroge aux règles prescrites par le Code civil.

3. Il y a destination du père de famille lorsque le fonds (le terrain) sur lequel est planté l’arbre non conforme et le fonds voisin appartenaient autrefois au même propriétaire.

En effet, l’article 696 du Code civil[7] dispose que : « Il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude. »

Il faut donc, pour pouvoir opposer la destination du père de famille, justifier de la volonté non équivoque du propriétaire initial des deux fonds de créer une servitude au profit d’un fonds et à la charge d’un autre.

2. Si les arbres sont à l’origine d’un trouble anormal de voisinage

Si vous êtes gêné par un arbre planté à plus de deux mètres de la limite séparative ou par un arbre qui ne respecte pas les distances/les hauteurs prescrites par le Code civil et que vous craignez que l’on vous oppose une exception comme par exemple, la prescription trentenaire, il est possible d’obtenir l’élagage et ou l’abatage de cet arbre en invoquant l’existence d’un trouble anormal de voisinage.

En effet, il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

Qu’est-ce qu’un trouble anormal de voisinage ?

Il ressort de la combinaison des articles 544[8] et 651 du Code civil[9] que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Ce principe est régulièrement rappelé par la Cour de Cassation :

« Mais attendu que le droit de propriété, tel que défini par l'article 544 du code civil et protégé par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage ; que cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par la Convention précitée ; »

(Cour de Cassation, 2ème civile, 23 octobre 2003, n°02-16.303)

Ou encore,

« Sur le moyen unique : Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ; »

(Cour de Cassation, 3ème civile, 11 avril 2019, n°18-13.928)

L’exercice, même légitime, du droit de propriété peut devenir générateur de responsabilités lorsque le trouble qui en résulte pour autrui, dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage (Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 6 décembre 2005, n°04-17715).

L’appréciation du caractère anormal du trouble, question de fait, est soumise à l’appréciation des juges du fond. La responsabilité pour troubles du voisinage est une responsabilité sans faute. Le caractère anormal du trouble s’apprécie in concreto.

Dans la pratique, et pour que le trouble de voisinage soit constitué, il est nécessaire que soit démontré l’existence d’un trouble anormal qui s’inscrit dans un rapport de voisinage et qui cause un préjudice.

Le trouble de voisinage est constitué dès lors qu’il est « anormal » c’est-à-dire que son impact excède un certain seuil de tolérance pour toute personne normale.

Ainsi, « pour que le trouble du voisinage soit constitué, il faut nécessairement un dommage qui excède la mesure habituelle inhérente au voisinage (Cour de Cassation, 3ème civile , 24 octobre 1990, n° 88-19.383).

En effet, il est de jurisprudence constante que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage » (Cour de Cassation, 3ème civile, 27 juin 1973, n° 72-12.844) » (Fiche d’orientation, Trouble de voisinage, Janvier 2023, Dalloz).

Dans ces circonstances, dès lors que le trouble excède les inconvénients normaux du voisinage, le voisin lésé peut se voir attribuer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi (Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 24 septembre 2009, n°99-21.028).

Plus encore, il convient de rappeler que les tribunaux ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages et intérêts alloués aux tiers lésés par le voisinage que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice (Cour de Cassation, 1ère civile, 13 juillet 2004, n°02-15.176)[10].

Dans la pratique, le trouble anormal de voisinage généré par des arbres présents sur le fonds voisin peut être une perte d’ensoleillement, des pertes de feuilles mortes sur votre terrain empêchant le bon écoulement des eaux, un danger pour la sécurité des personnes et des biens (exemple : arbre malade, non entretenu, penchant dangereusement…), etc.

En tout état de cause, il appartient bien évidemment à celui qui prétend être victime d’un trouble anormal de voisinage de rapporter la preuve du préjudice subi du fait de l’anormalité du trouble de voisinage et de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre les deux.

Comment procéder pour obtenir l’abatage et ou la réduction à deux mètres d’un arbre présent sur le terrain de mon voisin ?

Dans un premier temps, vous devez adresser une mise en demeure à vos voisins, par écrit, par lettre recommandée avec accusé de réception.

Il ne peut que vous être conseillé de demander à votre avocat de rédiger cette mise en demeure pour votre compte puisque c’est une pièce de procédure importante, un préalable indispensable à une éventuelle procédure judiciaire.

Au-delà, une mise en demeure adressée par le biais d’un avocat est incontestablement plus efficace : elle démontre le sérieux de votre démarche et surtout, votre détermination.

Dans un second temps, si votre voisin refuse et/ou à défaut de réponse, il faudra envisager de saisir le tribunal en vous faisant assister d’un avocat.

Il conviendra alors de réitérer vos demandes d’abattage et/ou d’élagage, sous astreinte, le remboursement d’une partie des frais exposés pour votre défense, et éventuellement des dommages et intérêts si vous pouvez justifier d’un préjudice.

N.B. : L’action fondée sur les articles 671 et suivants du Code civil ne peut pas prospérer contre une personne occupant, sans en être propriétaire, du fonds sur lequel sont plantés les arbres objet du litige (ex : locataire).