Demande de protection internationale, notion de « visa », notion de « franchissement irrégulier » d’une frontière, application du critère de responsabilité (eu)

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Arrêt de Grande Chambre de la Cour de justice de l'union européenne
Juillet 2017










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Saisie de deux renvois préjduciels par le Vrohvno sodišče (Slovaquie) et le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a interprété les dispositions du règlement 604/2013/UE établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (ci-après « le règlement Dublin III »).


Dans le premier litige au principal, le requérant, un ressortissant syrien, a franchi la frontière entre la Serbie et la Croatie avant que les autorités slovènes organisent son transport jusqu’à la frontière slovène. Il a ensuite été remis aux autorités autrichiennes qui ont refusé son entrée en Autriche et a formé une demande de protection internationale en Slovénie, laquelle a demandé aux autorités croates de la prendre en charge sur la base de l’article 21 du règlement Dublin III. Le requérant a contesté la décision de la Slovénie de ne pas examiner sa demande de protection internationale. Saisie dans ce texte, la juridiction de renvoi saisie en appel a décidé d’interroger la Cour sur les points de savoir si :

- l’article 27 §1 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un demandeur de protection internationale peut invoquer, dans le cadre d’un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l’application erronée du critère de responsabilité relatif au franchissement irrégulier de la frontière d’un Etat membre ;

- l’article 13 §1 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée par un Etat membre confronté à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet Etat pour introduire une demande de protection internationale dans un autre Etat membre doit être considéré comme ayant franchi irrégulièrement la frontière du premier Etat membre.


Dans le second litige au principal, les requérantes, des ressortissants afghanes, ont franchi la frontière entre la Turquie et la Grèce puis entre la Grèce et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine avant de franchir la frontière entre la Serbie et la Croatie. Les autorités slovènes ont alors organisé son transport jusqu’à la frontière slovène. Après être entrées en Autriche, les requérantes ont introduit des demandes de protection internationale, lesquelles ont été déclarées irrecevables et leur renvoi vers la Croatie a été ordonné. Les requérantes ont contesté ces décisions devant le juge autrichien. La juridiction de renvoi saisie en appel a décidé d’interroger la Cour sur les points de savoir si :

- l’article 12 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le fait, pour un Etat membre, dans la situation de l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet Etat pour introduire une demande de protection internationale dans un autre Etat membre, de tolérer l’entrée sur son territoire de tels ressortissants doit être qualifié de visa au sens de cet article ;

- l’article 13 §1 du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée par un Etat membre confronté à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet Etat pour introduire une demande de protection internationale dans un autre Etat membre doit être considéré comme ayant franchi irrégulièrement la frontière du premier Etat membre.


• S’agissant de la possibilité d’invoquer l’application erronée du critère de responsabilité, la Cour rappelle que l’article 27 §1 du règlement Dublin III précise que le demandeur de protection internationale dispose d’un droit de recours effectif. Elle rappelle également que dans le cadre de ce recours, celui-ci peut invoquer l’application erronée d’un critère de responsabilité pour l’examen de la demande. Les motifs retenus par la Cour dans l’arrêt en cause (Ghezelbash, aff. C-63/15) étant relatifs à l’article 12 du règlement mais étant également valables pour le critère énoncé à l’article 13 §1 du règlement, à savoir le franchissement irrégulier de la frontière d’un Etat membre, la Cour juge qu’un demandeur de protection internationale peut invoquer, dans le cadre d’un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l’application erronée du critère de responsabilité relatif au franchissement irrégulier de la frontière d’un Etat membre.


S’agissant de la notion de « visa », la Cour note que si les actes adoptés par l’Union dans le domaine des visas constituent des éléments de contexte dont il y a lieu de tenir compte lors de l’interprétation de l’article 2, sous m), et de l’article 12 du règlement Dublin III, la notion de « visa » au sens de celui-ci ne saurait être directement déduite de ces actes et doit être comprise en se basant sur la définition spécifique figurant à l’article 2, sous m), et sur l’économie générale du règlement. A cet égard, la notion de visa renvoie à un acte adopté formellement par une administration nationale et non à une simple tolérance et ne se confond pas avec l’admission sur le territoire d’un Etat membre puisqu’elle en constitue le préalable. En conséquence, la Cour juge que l’admission sur le territoire d’un Etat membre, le cas échéant simplement tolérée par les autorités de cet Etat ne constitue pas un visa au sens de l’article 12 lu en combinaison avec l’article 2, sous m), du règlement Dublin III.


• S’agissant de la notion de « franchissement irrégulier d’une frontière » d’un Etat membre, la Cour relève que celle-ci n’est définie ni dans le règlement Dublin III, ni dans le code frontières Schengen. En outre, celle-ci ne saurait être assimilée, selon la Cour, à la notion de « séjour irrégulier ». Dans ce contexte, la Cour estime qu’il y a lieu de déterminer la signification et la portée de cette notion conformément au sens habituel des termes employés, du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la règlementation. A cet égard, selon elle, les critères énoncés aux articles 12 à 14 du règlement ne sauraient, sans remettre en cause l’économie de ce dernier, être interprétés de telle sorte que soit exonéré de sa responsabilité l’Etat membre qui a décidé d’autoriser en invoquant des motifs humanitaires l’entrée sur son territoire d’un ressortissant d’un pays tiers dépourvu de visa et ne bénéficiant pas d’une exemption de visa. Par conséquent, la Cour juge que l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers dont l’entrée a été tolérée, par les autorités d’un premier Etat membre confrontées à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant transiter par cet Etat membre pour introduire une demande de protection internationale dans un autre Etat membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans ce premier Etat membre, doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière dudit premier Etat membre au sens de cette disposition.


(Arrêts du 26 juillet 2017, A.S, aff. C-490/16 et Jafari, aff. C-646/16)