Force majeure : la première chambre civile aurait elle perdu le nord ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

Le 8 septembre 2022


Il est des arrêts inédits que l’on voudrait voir demeurer isolés. Un arrêt rendu à l’orée de la trêve estivale (Civ. 1re, 6 juillet 2022, n° 21-11310) en fournit une parfaite illustration.

En 2019, un couple avait réservé une salle de réception pour y célébrer leur mariage en juin 2020. Le contrat stipulait qu’en cas d’annulation, l’intégralité du montant de la location serait acquis au bailleur, sauf cas de force majeure.

Le couple demande d’abord le report de la réservation, puis son annulation.

En juin 2020, le juge des référés condamne le bailleur à restituer l’acompte versé.

Le tribunal judiciaire de Tours, statuant en premier et dernier ressort, jugea l’annulation du contrat justifiée par la force majeure.

Le bailleur dénonçait la double erreur commise par les juges du fond. D’une part, rien n’empêchait les preneurs d’exécuter leur obligation (payer le solde de la réservation). Les preneurs étaient simplement privés de la possibilité de profiter de la prestation promise. D’autre part, la force majeure n’existe pas en matière financière, de sorte que l’obligation de payer est toujours possible.

Le pourvoi paraissait solide. Contre toute attente, il est rejeté par la Cour : « C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes que la cour d'appel a estimé, (…) qu'était caractérisé un cas de force majeure rendant impossible l'exécution des obligations contractuelles ».

Pis encore, le moyen afférent à l’absence de force majeure financière serait « nouveau et mélangé de fait », alors qu’on aurait pu le croire de droit pur.

Deux lectures de cet arrêt sont possibles. La première est alarmiste : la Cour de cassation aurait viré sa cuti et jugé (i) que l’impossibilité pour le créancier de profiter de la prestation qui lui est due serait constitutive d’un cas de force majeure et (ii) que la force majeure financière, i.e. l’impossibilité de payer une somme d’argent, existerait.

La Cour de cassation aurait procédé in petto à un double revirement, puisqu’elle jugeait auparavant que l’impossibilité pour le créancier de jouir de ce qui lui est dû n’est pas un cas de force majeure (Civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-21960) et que la force majeure financière n’existe pas (Com. 16 septembre 2014, n° 13-20306).

Nous n’adhérons pas à cette lecture. Si revirement il y avait, la motivation serait autre. La Cour ne s’abriterait pas derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Il faut donc, plus modestement, voir dans cet arrêt une erreur de parcours, une décision rendue trop rapidement par une formation restreinte, avec un enjeu pécuniaire minime. Gageons qu’elle restera isolée.

Errare humanum est… perseverare diabolicum est.