France, fichier national automatisé d’empreintes génétiques, refus d’inscription, droit au respect à la vie privée (eu)

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Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
Juin 2017





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Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour EDH ») a interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la Convention ») relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.


Le requérant, ressortissant français, a été condamné en janvier 2008 à deux mois d’emprisonnement pour avoir volontairement commis, à l’occasion d’une manifestation, des violences contre des représentants de l’autorité publique. Dans le cadre de ce litige et à la suite d’une demande du Parquet, les juridictions nationales ont ordonné au requérant d’effectuer un prélèvement biologique sur sa personne, en vue de son inscription au Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (ci-après le « FNAEG »). Face au refus du requérant de se soumettre à cette mesure, les juridictions nationales l’ont condamné à une peine d’amende.

Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le requérant se plaignait d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison de l’ordre qui lui avait été fait de se soumettre à ce prélèvement biologique, dans la mesure où son refus d’obtempérer avait donné lieu à une condamnation pénale.


Sur l’existence d’une ingérence prévue par la loi et poursuivant un but légitime

La Cour EDH constate, tout d’abord, que la condamnation litigieuse constitue une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 §1 de la Convention. Elle précise, ensuite, que cette ingérence était prévue par la loi dont l’application était prévisible en l’espèce.

La Cour EDH estime, enfin, que cette ingérence poursuivait un but légitime, à savoir la détection et, par voie de conséquence, la prévention des infractions pénales.


Sur la nécessité de l’ingérence

La Cour EDH examine la question de savoir si ladite ingérence était nécessaire dans une société démocratique. Elle rappelle, tout d’abord, que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental dans l’exercice du droit au respect de la vie privée consacré à l’article 8 de la Convention et que les Etats membres doivent ménager des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues par cet article, d’autant plus lorsqu’il s’agit de protéger les données à caractère personnel soumises à un traitement automatique et, en particulier, lorsque ces données sont utilisées à des fins policières.


Elle précise que le droit interne doit, notamment, assurer que ces données sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées.


Par ailleurs, elle ajoute que le droit interne doit aussi contenir des garanties aptes à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs, tout en offrant une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées.


Sur la durée de conservation

La Cour EDH constate que le Code de procédure pénale français prévoit que la durée de conservation des profils ADN ne peut dépasser quarante ans s’agissant des personnes condamnées pour des infractions qui présenteraient, selon le Gouvernement, un certain degré de gravité. La Cour EDH relève qu’il s’agit en principe d’une période maximum qui aurait dû être aménagée par décret mais que, ce décret n’ayant pas vu le jour, la durée de quarante ans est en pratique assimilable à une norme.


La Cour EDH observe, ensuite, que le Conseil constitutionnel a rendu, le 16 septembre 2010, une décision déclarant les dispositions relatives au fichier incriminé conformes à la Constitution, sous réserve, entre autres, de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, de la nature ou de la gravité des infractions concernées.

La Cour EDH note qu’à ce jour, aucune différenciation n’est prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise, malgré l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706-55 du Code de procédure pénale listant les types d’infractions justifiant l’inscription d’une personne au FNAEG.


En l’espèce, les agissements du requérant, qui s’inscrivaient dans un contexte politique et syndical et concernaient de simples coups de parapluie en direction de gendarmes qui n’ont d’ailleurs pas été identifiés, se différencient donc nettement d’autres infractions particulièrement graves à l’instar des infractions sexuelles, du terrorisme ou encore des crimes contre l’humanité ou de la traite des êtres humains.


Sur la procédure d’effacement

La Cour EDH note qu’elle n’existe que pour les personnes soupçonnées et non pour celles qui ont été condamnées, comme c’est le cas du requérant. Elle estime cependant que les personnes condamnées devraient également se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées.


Dès lors, la Cour EDH considère que le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé et ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.


La Cour EDH conclut que l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière. La condamnation pénale du requérant pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’enregistrement de son profil dans le FNAEG s’analyse en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.



(Arrêt du 22 juin 2017, Aycaguer / France, requête no 8806/12)