Immobilier : attention à la responsabilité décennale du particulier qui réalise lui-même des travaux avant de vendre ! (fr)
France > Droit civil > Droit Immobilier > Droit de la construction
Auteure : Me Louise Bargibant, Avocate barreau de Lille en droit privé [1]
Date : le 12 Janvier 2021
Vous êtes un particulier et vous vous apprêtez à vendre votre maison sur laquelle vous allez ou vous avez réalisé vous-même des travaux importants (notamment de rénovation, d'agrandissement, de réhabilitation).
Vous l’ignorez peut-être mais sachez que vous êtes à ce titre « maître d'ouvrage » et que, pour certains travaux, vous serez réputé « constructeur » et donc redevable des mêmes garanties qu’un professionnel et notamment de la garantie décennale.
Pour rappel, la loi a institué des responsabilités spéciales et notamment la fameuse « responsabilité décennale » qui pose une présomption de responsabilité du constructeur qui s'applique à certains désordres (désordres les plus graves) affectant la construction durant les dix années suivant la réalisation des travaux (pour plus de détails sur la garantie décennale, retrouvez mon article « Construction immobilière : le point sur la garantie décennale »).
Ainsi, même si vous êtes un simple particulier qui revend la maison que vous avez fait édifier ou sur laquelle vous avez effectué certains travaux (souvent sans souscrire de « Dommages-Ouvrage »), vous allez être assujetti à la responsabilité décennale qui n’est pas une responsabilité anodine et qui peut s’avérer lourde et contraignante.
Le point sur la garantie décennale dont est tenu le particulier pour certains travaux ...
Vendeur « réputé constructeur » pour les travaux assimilables à une « opération de construction »
La loi a prévu que le vendeur qui « vend après achèvement l'ouvrage qu'[il] a construit ou fait construire » (article 1792-1 du Code civil) est tenu directement de la garantie décennale (article 1792 du Code civil).
Les particuliers qui ont fait construire ou fait rénover pour leur propre usage ou encore les particuliers qui ont réalisé eux-mêmes une « opération de construction » (travaux de construction ou encore de rénovation, extension, surélévation, agrandissement ou réhabilitation) pour leur maison vont être « réputés constructeurs » au sens du droit.
A titre d’illustration, le particulier qui a procédé à l'aménagement de combles et apporté des éléments nouveaux à la toiture et la charpente de sa maison ou encore celui qui a aménagé le sous-sol de sa maison pour la rendre habitable pourra être « réputé constructeur ».
Il en est de même du particulier qui fait agrandir son pavillon.
Ainsi, le vendeur d'un bien immobilier dans lequel il a été procédé à certains travaux peut être déclaré responsable, envers les acquéreurs, des désordres affectant l'immeuble, sur le fondement de la responsabilité décennale, dès lors que l'importance des travaux réalisés les assimile à des travaux de construction d'un ouvrage.
Les juges vont apprécier au cas par cas la nature des travaux afin de savoir s’il s’agit réellement d’une « opération de construction » (de travaux importants).
Ils vont bien souvent tenir compte de la nature des travaux et de leur coût pour les qualifier le cas échéant de « rénovation lourde assimilables à la construction d’un ouvrage ».
C’est ainsi que la Cour de cassation a pu décider par exemple : « que les travaux avaient porté sur les murs, les cloisons, les planchers, les plafonds et l'isolation de l'immeuble et étaient, selon les factures produites, d'un montant supérieur à 300 000 francs » de sorte qu’il « qu'il s'agissait d'une rénovation lourde assimilable à des travaux de construction » (Cass. 3e civ. 29-1-2003 n° 01-13.034).
Au contraire, il a pu être jugé que « les travaux, réalisés seulement à l'intérieur de l'immeuble, n'ayant concerné que la redistribution et la disposition des pièces, entrepris régulièrement sans permis de construire et n'ayant pas affecté les murs extérieurs, les toitures ou les fenêtres, ne pouvaient être assimilés à la construction d'un ouvrage » (Cass. 3e civ., 6 novembre 1996, n° 1628 PB, Vergne c/ Sté Brothe-Grignand).
Une lourde responsabilité pour le vendeur « constructeur » ou « rénovateur »
Vous l'avez compris, en votre qualité de particulier réputé « constructeur » ou rénovateur, vous allez être assujetti à la responsabilité décennale, une lourde responsabilité.
Avec la responsabilité décennale, les dommages apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, qui sont de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible (désordres de nature décennale), vont engager votre responsabilité sur le fondement de la garantie décennale.
Autrement dit, si vous vendez votre maison avant qu’un délai de dix ans se soit écoulé depuis la réception des travaux, en cas de dommages de nature décennale, votre acheteur pourra vous assigner en Justice sur le fondement de la garantie décennale et vous pouvez être condamné à financer les travaux de réparation.
Cette garantie est d’ordre public de sorte qu’elle s’appliquera même si une clause de l’acte de vente vous exonère de cette garantie.
La garantie décennale est d’ailleurs encourue nonobstant une clause d'exclusion de garantie des vices cachés, la Cour de cassation ayant jugé à ce sujet : « Ayant relevé que l’importance des travaux de rénovation réalisés par le vendeur les assimilait à des travaux de construction d’un ouvrage, la cour d’appel en a exactement déduit que le vendeur, qui était responsable de plein droit des dommages constatés sur le fondement de l’article 1792 du code civil, ne pouvait invoquer l’application de la clause de non-garantie des vices cachés insérée dans l’acte de vente » (Cass. 3e civ. 3 mars 2010 n° 09-11.282).
Dès lors, si vous êtes propriétaire d’un bien immobilier et que vous souhaitez apporter des améliorations à votre bien en vue de le vendre, il convient de s'entourer de professionnels, un architecte par exemple, qui vous renseignera sur la nécessité de faire appel ou non à des professionnels du bâtiment (et notamment à des entreprises dûment assurées ...)
Vous devez également penser à souscrire vous-même une assurance Dommages-Ouvrage (article L. 242-1 du Code des assurances)
Enfin, si "le mal est fait" et que vous n'avez rien fait de tout cela, il peut être recommandé d'attendre le délai de dix ans avant de revendre votre maison ...