Jurisprudence Dieudonné: La Convention européenne des droits de l’homme ne protège pas les spectacles négationnistes et antisémites (eu)
France > Droit pénal > Négationnisme & Antisémitisme
Dans sa décision en l’affaire M’Bala M’Bala c. France (requête no 25239/13), la Cour européenne des
droits de l’homme déclare, à la majorité, la requête irrecevable. Cette décision est définitive.
L’affaire concerne la condamnation de Dieudonné M’Bala M’Bala, humoriste engagé en politique,
pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou
de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l’espèce les
personnes d’origine ou de confession juive.
À la fin d’un spectacle donné dans la salle du « Zénith » de Paris le 26 décembre 2008, Dieudonné
M’Bala M’Bala avait invité Robert Faurisson, un universitaire condamné en France à plusieurs
reprises en raison de ses thèses négationnistes et révisionnistes consistant à nier l’existence des
chambres à gaz dans les camps de concentration, à le rejoindre sur scène pour recevoir les
applaudissements du public et se faire remettre le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ». Ce
prix, symbolisé par un chandelier à trois branches coiffées de trois pommes, lui avait été remis par
un figurant vêtu d’un pyjama rayé sur lequel avait été cousue avec une étoile jaune portant la
mention « juif », qualifié d’« habit de lumière », le représentant ainsi en déporté juif des camps de
concentration.
La Cour juge qu’en l’espèce, au cours du passage litigieux, la soirée avait perdu son caractère de
spectacle de divertissement pour devenir un meeting qui, sous couvert de représentation
humoristique, valorisait le négationnisme par le biais de la place centrale donnée à l’intervention de
Robert Faurisson et dans la mise en position avilissante des victimes juives des déportations face à
celui qui nie leur extermination. Aux yeux de la Cour, il ne s’agissait pas d’un spectacle qui, même
satirique ou provocateur, relèverait de la protection de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention européenne des droits de l’homme, mais en réalité, dans les circonstances de l’espèce,
d’une démonstration de haine et d’antisémitisme, ainsi que d’une remise en cause de l’holocauste.
Travestie sous l’apparence d’une production artistique, elle est aussi dangereuse qu’une attaque
frontale et abrupte, tout en représentant l’expression d’une idéologie qui va à l’encontre des valeurs
de la Convention.
Partant, la Cour considère ainsi qu’en l’espèce Dieudonné M’Bala M’Bala tente de détourner l’article
10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires au texte et à
l’esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et
libertés garantis par la Convention.
Principaux faits
Le requérant, Dieudonné M’Bala M’Bala, est un ressortissant français, né en 1966 et résidant à Paris. Humoriste, il exerce sa profession sous le nom d’artiste de « Dieudonné » et est par ailleurs engagé en politique.
Le 26 décembre 2008, Dieudonné M’Bala M’Bala donna une représentation dans la salle du « Zénith » de Paris de son spectacle « J’ai fait l’con ». À la fin du spectacle, il invita Robert Faurisson, un universitaire condamné en France à plusieurs reprises en raison de ses thèses négationnistes et révisionnistes consistant à nier l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration, à la rejoindre sur scène. Dieudonné M’Bala M’Bala lui fit remettre, par un acteur revêtu d’un « habit de lumière », à savoir un pyjama rayé évoquant celui des déportés juifs sur lequel était cousue une étoile jaune portant la mention « juif », le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ». Le prix était matérialisé par un chandelier à trois branches (le chandelier à sept branches constituant un emblème de la religion juive), coiffées de trois pommes.
L’incident fut constaté par les forces de l’ordre. Le 29 décembre 2008, une enquête préliminaire fut ouverte.
Le 27 mars 2009, le procureur de la République cita Dieudonné M’Bala M’Bala devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l’espèce les personnes d’origine ou de confession juive, par l’un des moyens prévus à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le 27 octobre 2009, le TGI de Paris déclara Dieudonné M’Bala M’Bala coupable des faits reprochés et le condamna à une amende de 10 000 euros, ainsi qu’à verser un euro de dommages-intérêts à chaque partie civile. Les juges estimèrent notamment que Dieudonné M’Bala M’Bala ne pouvait ignorer que Robert Faurisson était un des principaux tenants des thèses négationnistes et que les propos poursuivis étaient à la fois outrageants et méprisants à l’égard des personnes d’origine ou de confession juive. Ils estimèrent également que Dieudonné M’Bala M’Bala ne saurait s’abriter derrière une intention humoristique, car si la caricature et la satire, même délibérément provocantes ou grossières, participent indéniablement, dans une société démocratique, de la liberté d’expression et de création et de la libre communication des idées et des opinions, le droit à l’humour connaît toutefois ses limites, et spécialement le respect de la dignité de la personne humaine. En l’espèce, ils jugèrent que les limites admises du droit à l’humour avaient été très largement dépassées. Dieudonné M’Bala M’Bala, le ministère public et plusieurs parties civiles interjetèrent appel.
Par un arrêt du 17 mars 2011, la cour d’appel de Paris confirma le jugement sur la culpabilité de Dieudonné M’Bala M’Bala. Les juges estimèrent qu’avec l’entrée sur scène de Robert Faurisson, la soirée avait perdu son caractère de spectacle et présenté dès lors les caractéristiques d’un meeting, relevant à leur tour la mise en scène litigieuse et les circonstances qui l’entouraient, notamment le « glissage de quenelle » annoncé au public par Dieudonné M’Bala M’Bala qui avait pour objectif affiché de faire « mieux » que dans l’un de ses précédents spectacles en matière d’antisémitisme. La Cour de cassation rejeta le pourvoi de Dieudonné M’Bala M’Bala le 16 octobre 2012.
Griefs, procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 10 avril 2013.
Invoquant les articles 7 (pas de peine sans loi) et 10 (liberté d’expression), le requérant se plaignait d’avoir été condamné pour injure publique envers des personnes d’origine ou de confession juive.
La décision a été rendue par une chambre de sept juges composée de :
Josep Casadevall (Andorre), président,
Angelika Nußberger (Allemagne),
Boštjan M. Zupančič (Slovénie),
Vincent A. de Gaetano (Malte),
André Potocki (France),
Helena Jäderblom (Suède),
Síofra O’Leary (Irlande), juges,
ainsi que de Milan Blaško, greffier adjoint de section.
Décision de la Cour
Article 10 (liberté d’expression)
À l’instar des juges internes, la Cour n’a aucun doute quant à la teneur fortement antisémite du passage litigieux du spectacle de Dieudonné M’Bala M’Bala, ce dernier ayant honoré une personne connue pour ses thèses négationnistes, en le faisant applaudir avec « cœur » par le public et en lui faisant remettre le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ». La Cour remarque que l’intéressé est un humoriste ayant marqué son fort engagement politique en se portant candidat à plusieurs élections et ayant déjà été condamné pour injure raciale. Elle observe également que les réactions du public montrent que la portée antisémite de la scène a été perçue par les spectateurs. En outre, Dieudonné M’Bala M’Bala avait indiqué son désir de surpasser son précédent spectacle qualifié de « plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale », orientant ainsi la perception par le public de la suite de la représentation. La Cour note que les postures et les termes utilisés revêtent indéniablement un caractère positif dans l’esprit de Dieudonné M’Bala M’Bala.
La Cour considère ainsi, à l’instar de la cour d’appel, qu’au cours du passage litigieux, la soirée avait perdu son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un meeting. Outre la nature de certains échanges avec le public, elle constate que dans le cadre d’une mise en scène outrageusement grotesque, Dieudonné M’Bala M’Bala a fait intervenir un figurant jouant le rôle d’un déporté juif des camps de concentration, chargé de remettre un prix à Robert Faurisson, l’un des négationnistes français les plus connus, pour l’honorer et lui donner la parole. Dans cette valorisation du négationnisme, par le biais de la place centrale donnée à l’intervention de Robert Faurisson et dans la mise en position avilissante des victimes juives des déportations face à celui qui nie leur extermination, la Cour voit une démonstration de haine et d’antisémitisme, ainsi que la remise en cause de l’holocauste. Aux yeux de la Cour, il ne s’agissait pas d’un spectacle qui, même satirique ou provocateur, relèverait de la protection de l’article 10 de la Convention : dans les circonstances de l’espèce, il s’agissait de l’expression d’une idéologie qui va à l’encontre des valeurs de la Convention, à savoir la justice et la paix.
En outre, la Cour souligne que si l’article 17 (interdiction de l’abus de droit) de la Convention a en principe été jusqu’à présent appliqué à des propos explicites et directs, qui ne nécessitaient aucune interprétation, elle est convaincue qu’une prise de position haineuse et antisémite caractérisée, travestie sous l’apparence d’une production artistique, est aussi dangereuse qu’une attaque frontale et abrupte. Elle ne mérite donc pas la protection de l’article 10 de la Convention. Partant, dès lors que les faits litigieux ont un caractère négationniste et antisémite marqué, la Cour considère que Dieudonné M’Bala M’Bala tente de détourner l’article 10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires au texte et à l’esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention.
En conséquence, la Cour estime qu’en vertu de l’article 17 de la Convention, Dieudonné M’Bala M’Bala ne peut bénéficier de la protection de l’article 10. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 (conditions de recevabilité).
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