L'obligation de reclassement liée au licenciement économique (fr)

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Auteur : Alain-Christian Monkam,
Avocat au barreau de Paris
Actualisé - Publié le 13 et 29 juillet 2011 dans la revue Jurisprudence Sociale Lamy n°303 et 304
Blog de droit du travail anglais (Blog de Monkam Solicitors)



Mots clefs : Droit social, droit du travail, licenciement économique, entreprise, employer



Force est de constater que l’obligation de reclassement, préalable indispensable à toute décision de licenciement pour motif économique, défie souvent le simple bon sens. L’obligation de reclassement, mise à la charge des entreprises sans distinction d’effectif ni d’échelle des licenciements, conduit à une contradiction, voire une incohérence.

Le récent arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 18 novembre 2014 (Fédération CGT des travailleurs de la Métallurgie c/ SAS Compagnie IBM France, RG n° 14/01105) qui annule un Plan de Sauvegarde de l'Emploi portant sur 689 postes est un exemple du manque de souplesse de cette obligation http://www.cgt-ibm.fr/?p=1941. Dans cette affaire, la Cour d'appel a notamment reproché à la célèbre société informatique de ne pas avoir "chiffré le nombre de postes offerts au reclassement; (...) [et d'avoir simplement] renvoyé les salariés concernés à l’utilisation de l’outil GOM qui constitue une bourse des emplois comportant l’ensemble des offres d’emplois au sein du groupe (...)".

Dans la présente chronique, il est ainsi nécessaire de revenir, par une approche critique, sur la genèse et le fonctionnement de cette obligation de reclassement avant d’analyser les restrictions qu’il conviendrait de lui apporter dans l’intérêt de l’efficacité de la relation de travail.


I- Approche critique de la genèse et du fonctionnement de l'obligation de reclassement

1- Sources de l’obligation de reclassement

A- La loi

L’obligation de reclassement est codifiée à l’article L. 1233-4 du Code du travail, lequel énonce que « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque que tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent. À défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».[1]

Cette disposition est issue de l’article 77 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Lors de sa saisine relativement à cette loi, le Conseil constitutionnel avait rattaché l’obligation du reclassement édictée par cet article à un droit constitutionnel à l’emploi. Il avait en effet affirmé « qu’il incombe au législateur, dans le cadre de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d’assurer la mise en œuvre des principes économiques et sociaux du préambule de 1946, tout en conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties ; que pour poser des règles propres à assurer aux mieux, conformément au cinquième alinéa du préambule de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi, il peut apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».[2]

Le Conseil constitutionnel pourrait être soupçonné d’avoir procédé à une lecture « à trou » de l’article 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose en réalité que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Ce droit constitutionnel à l’emploi n’est-il pas plutôt un droit à obtenir un emploi sans souffrir de discrimination ? En tout état de cause, le préambule de la Constitution de 1946 entend-il vraiment faire peser sur les entreprises une obligation positive de trouver un emploi à tous les citoyens (ce qui devrait plutôt relever de l’État français) ?

La loi de programmation de la cohésion sociale n’a fait que confirmer l’article 108 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Lors de sa saisine sur la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel n’avait pas excipé d’un droit à l’emploi pour justifier la constitutionalité de l’obligation de reclassement qu’il avait alors rattachée au devoir de l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois. Il avait en effet déclaré « qu’il résulte des travaux préparatoires de l’article 108 que le législateur a entendu consacrer la jurisprudence selon laquelle l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois, obligation aujourd’hui codifiée à l’article L. 932-2 du Code du travail par la loi susvisée du 19 janvier 2000 ; qu’en vertu de cette obligation, l’employeur doit offrir au salarié la formation nécessaire pour occuper les emplois qu’il lui propose dans le cadre de son obligation de reclassement, c'est-à-dire des emplois de même catégorie que celui qu’il occupe ou équivalents ou encore, sous réserve de son accord exprès, d’une catégorie inférieure […] ».[3] Il est à noter que la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciement économique, avait suspendu pour 18 mois dix articles de la loi de cohésion sociale, mais avait conservé l’article 108 sur l’obligation de reclassement, lequel a par la suite été repris par la loi de programmation de la cohésion sociale.[4]

Pour être complet, il convient de signaler la loi n°75-5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique qui évoquait déjà une obligation légale de reclassement. Adoptée à la suite de l’Accord National Interprofessionnel du 10 février 1969 mais avant la directive européenne du 17 février 1975 « concernant le rapprochement de la législation des Etats-membres relatives aux licenciements collectifs », cette loi constitue le premier texte législatif qui organise en France la consultation des représentants du personnel spécifiquement en cas de licenciements économiques collectifs. Cette loi a notamment donné naissance à un article L.321-4 du Code du travail qui disposait entre autres que les représentants du personnel devaient avoir connaissance des mesures envisagées par l’employeur pour « éviter les licenciements ou en limiter le nombre et d’autre part, pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ».

Toutefois, pendant longtemps, l’obligation de reclassement en cas de licenciement collectif était entendue comme du reclassement externe. Consécutivement à la multiplication des plans sociaux au début des années 1990, le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy avait fait modifier, par l’article 60 de la loi du 30 janvier 1993 présentée par son ministre du travail Martine Aubry, l’article L. 321-4-1 du Code du travail. A été notamment ajoutée à cet article, l’obligation de reclassement interne en cas de licenciement économique collectif dans les termes suivants : « La procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement de salariés s'intégrant au plan social n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés ». C’est cette formulation quasi-identique que nous retrouvions à l’article L. 1235-10 du Code du travail (après le recodification de l’année 2008) avant que ladite formule soit finalement supprimée dans le cadre de la réforme de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi qui a notamment remanié l’article L. 1235-10 du Code du travail.

B- La jurisprudence

Comme le rappelait le Conseil constitutionnel sur la loi de modernisation sociale, l’obligation de reclassement est d’origine prétorienne. Les premières apparitions de l’obligation de reclassement datent des années 70 par la grâce de la jurisprudence du Conseil d’État sur le licenciement pour motif économique d’un salarié protégé. Le juge administratif avait dégagé le principe suivant lequel le licenciement pour motif économique d’un salarié protégé ne pouvait être autorisé qu’à la condition notamment que le reclassement de l’intéressé ne puisse être assuré dans l’entreprise.

Dans un arrêt du 18 février 1977, le Conseil d’État avait déclaré que « les salariés légalement investis d’un mandat de [représentant du personnel] bénéficient dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent d’une protection exceptionnelle […] ; que dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ».[5] Ce principe, confirmé à de nombreuses reprises, était justifié par le souci légitime de protéger, dans l’intérêt collectif des salariés, le mandat dont est investi le représentant du personnel.[6] Le Conseil avait rapidement étendu cette obligation de reclassement au périmètre du groupe dans lequel était employé le représentant du personnel visé par la mesure de licenciement pour motif économique.[7] C’est cette jurisprudence du Conseil d’État que la Cour de cassation a étendue à l’ensemble des salariés dans les années 90.

Le point de rupture du début de cette évolution est la suppression de l’autorisation administrative du licenciement par les lois n° 86-797 du 3 juillet 1986 et n° 86-1320 du 30 décembre 1986 et le transfert aux juridictions privés du contentieux sur les licenciements économiques. En effet, ayant imprudemment milité et obtenu la suppression de l’autorisation administrative du licenciement au nom de l’efficacité économique, les employeurs ont en fait ouvert une boîte de Pandore qui ferait presque regretter la situation antérieure. En application d’une ordonnance de 1945, tout licenciement collectif pour motif économique devait être subordonné à une acceptation de l’inspecteur du travail. La loi n° 75-5 du 3 janvier 1975 sur les licenciements économiques avait organisé cette autorisation administrative en la soumettant notamment à des délais de procédure.

Malgré l’instauration de l’autorisation administrative des licenciements économiques, les statistiques du ministère du Travail de l’époque établissaient que les demandes de licenciement se heurtaient rarement à un refus d’autorisation (13 % des licenciements de plus de 10 salariés ; 11,5 % des licenciements de moins de 10 salariés).[8] Et pourtant, les défenseurs du vent de libéralisme, soufflé depuis les États-Unis, ont obtenu la suppression de l’autorisation administrative de licenciement laquelle devait favoriser la création de 500 000 emplois. Non seulement, les effets de la suppression de l’autorisation administrative sur l’emploi ont été neutres, mais de plus, les conséquences ont été « regrettables » pour les entreprises en terme de développement d’une jurisprudence judiciaire sur les licenciements économiques, jusqu’alors quasi-inexistante. Certains pronostiquaient déjà que les entreprises « s’apercevront [très vite] que l’épée de Damoclès pendue au-dessus de leurs têtes n’a pas vraiment disparu, mais qu’elle est simplement accrochée plus haut et, de ce fait, a un pouvoir un peu plus contondant que par le passé ».[9]

Du fait de la suppression de l’autorisation administrative des licenciements économiques, les conseil de prud’hommes avaient récupéré le contentieux de ces licenciements économiques qui jusqu’alors relevaient de la compétence des juridictions administratives, étant précisé que l’autorisation administrative « légitimait » les licenciements prononcés. Dans un premier temps, les décisions judiciaires ont été timides car les conseils de prud’hommes étaient mal préparés à l’arrivée de ce nouveau contentieux. Les tribunaux se sont contentés de vérifier que l’employeur n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation ou ne s’est pas rendu coupable de détournement de pouvoir.[10] Cette timidité des tribunaux n’a pas duré longtemps, notamment en raison de la naissance de la première définition légale du licenciement pour motif économique par la loi n° 89-549 du 2 août 1989, relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

La loi du 2 août 1989 a posé pour la première fois une définition légale du motif économique du licenciement qui n’a pas beaucoup varié depuis cette date. Édictée à l’article L. 321-1 du Code du travail, la définition légale énonçait que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail consécutives notamment à des mutations technologiques ».[11] Le ministre du Travail avait justifié cette loi, en expliquant qu’ « une telle clarification s’imposait d’autant plus que la suppression de l’autorisation administrative de licenciement par la loi du 30 décembre 1986 a eu pour effet de rendre les Conseils de Prud’hommes seuls compétents pour apprécier le motif du licenciement économique et son caractère réel et sérieux ».[12]

La jurisprudence de la Cour de cassation sur la justification du licenciement pour motif économique s’est alors développée rapidement, la Cour vérifiant que le licenciement était « l’une des solutions raisonnables », voire la solution ultime lorsque toutes les autres voies ont été épuisées. Par un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a estimé que « la réalité des motifs économiques et l’examen des possibilités de reclassement du salarié [doivent] s’apprécier dans le cadre du groupe » .[13] Dans son rapport de 1991, la Haute Juridiction indiquait d’ores et déjà son souci de « permettre une meilleure régulation par les chefs d’entreprise de l’exercice de leur droit de procéder à des licenciements ». [14] Par une série d’arrêts datant de 1992, la Cour de cassation a édicté une obligation préalable de reclassement à la charge des entreprises envisageant de procéder à un licenciement pour motif économique[15]. Selon un premier arrêt du 22 janvier 1992, elle a tout d’abord considéré qu’une cour d’appel qui constate que l’employeur s’est abstenu de proposer à une salariée, dont le poste était supprimé, des emplois de même nature existant dans d’autres régions et pour lesquels il recrutait du personnel, peut décider que le licenciement de l’intéressée n’est pas justifié par un motif économique.[16]

Dans un arrêt de principe du 1er avril 1992, la Cour Suprême a énoncé que « le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir, en cas de suppression d’emploi, que si le reclassement de l’intéressé dans l’entreprise n’est pas possible. Une Cour d’appel peut dès lors décider que le licenciement d’un salarié n’a pas de cause économique lorsqu’elle constate que sa compétence et son expérience professionnelle lui permettaient d’occuper un poste vacant, pourvu ultérieurement par un recruteur extérieur ».[17]Par le même arrêt, la Cour de cassation a précisé l’obligation de reclassement, aujourd’hui codifiée à l’article L. 1233-4 du Code du travail, selon laquelle, « dans le cadre de son obligation de reclassement dans l’entreprise, l’employeur doit, en cas de suppression ou transformation d’emplois, proposer aux salariés concernés des emplois disponibles de même catégorie, ou à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification substantielle des contrats de travail ».

Dans un arrêt du 25 juin 1992, la Cour de cassation a confirmé et précisé la précédente position formulée par l’arrêt du 20 février 1991 selon laquelle la réalité du motif économique du licenciement et la recherche des possibilités de reclassement du salarié doivent s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités ou l’organisation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.[18] Cette obligation de recherche de reclassement dans le groupe a été étendue aux entreprises du groupe situées à l’étranger.[19] La Cour de cassation a considéré que la recherche des possibilités de reclassement doit être effectuée même au sein des entreprises situées hors du territoire national, sauf à l’employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement.[20]

La Haute Juridiction, inspirée par une jurisprudence ancienne du Conseil d’État à propos des salariés protégés, a ainsi développé au profit de l’ensemble des salariés visés par une procédure de licenciement pour motif économique une obligation de reclassement pesant sur les employeurs. Cette obligation de reclassement résultait, non pas d’un droit constitutionnel à l’emploi, mais de l’exécution de bonne foi du contrat de travail et de son corollaire postulant pour un devoir des employeurs d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois.

Une dernière évolution a eu lieu avec la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi qui soumet désormais la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi à la validation ou à l'homologation de la Direccte - Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (articles L. 1233-24-1, L. 1233-24-4, L. 1233-57-2, L. 1233-57-3 du Code du travail). Cette loi a eu pour conséquence que la juridiction administrative a de nouveau récupéré le contentieux des licenciements économiques collectifs (donc de l'obligation de reclassement) pour autant qu'ils portent sur un plan de sauvegarde de l'emploi (c'est à dire les entreprises de 50 salariés procédant à au moins 10 licenciements sur une même période de 30 jours).

A cet égard, dans une récente affaire (CAA Nancy, 23 juin 2014, n°14NC00528), la Cour administrative d'appel de Nancy s'est empressée d'annuler une décision d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi au motif notamment que: "(...) alors que le plan de sauvegarde de l'emploi met l'accent sur les possibilités de reclassement au sein du groupe à l'étranger, il ne prévoit pas en parallèle des mesures d'aide à la mobilité suffisantes compte tenu des frais nécessairement impliqués par une mobilité, notamment à l'étranger ; que les salariés soutiennent sans être contredits qu'aucun financement public n'a été prévu pour compléter ou pallier l'insuffisance de ces mesures ; (...) au regard des moyens dont dispose le groupe, l'enveloppe financière consacrée au plan de sauvegarde de l'emploi est insuffisante, notamment pour permettre d'assurer le reclassement des salariés dans le groupe à l'étranger".


2- Fonctionnement de l’obligation de reclassement

A- Les parties à l’obligation de reclassement

Le débiteur de l’obligation de reclassement est l’employeur. Ainsi, une société appartenant au même groupe que l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice de l’obligation de reclassement [21]. Autre exemple, le cessionnaire d’une entreprise, après un plan de cession autorisant des licenciements, n’est pas tenu d’assurer l’obligation de reclassement dans la mesure où il n’est pas non plus l’employeur.[22] Le créancier de l’obligation de reclassement est le salarié dont le licenciement est envisagé pour motif économique. Il importe peu que le licenciement envisagé soit individuel ou que le salarié soit inclus dans un licenciement collectif. L’obligation de reclassement est « aveugle » à l’égard de l’ampleur du licenciement ou à l’égard de la taille de l’entreprise considérée. Les particuliers employeurs ou les syndicats de copropriétaires sont heureusement exclus de l’obligation de reclassement.[23]


B- Périmètre temporelle de l’obligation

L’obligation de reclassement naît au plus tard lorsque le licenciement pour motif économique est envisagé et disparaît en principe lorsque la lettre de licenciement est notifiée au salarié. La Cour de cassation énonce justement que « les propositions de reclassement doivent être antérieures à la notification du licenciement, d’autant plus si durant la période, la société procède à des embauches pour des postes qu’elle aurait pu proposer ».[24] Dans le même sens, elle a indiqué récemment que, « sauf fraude, les possibilités de reclassement s’apprécient au plus tard à la date du licenciement ».[25] Ne satisfait pas aux exigences de reclassement l’employeur qui se borne à proposer à un salarié deux postes de travail au cours de l’exécution de son préavis.[26]


C- Périmètre géographique de l’obligation

Solution dégagée dès 1992 par la Cour de cassation et confirmée ultérieurement, les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités et l’organisation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.[27] Ce ne sont pas les liens capitalistiques entre les sociétés qui vont déterminer l’existence du groupe mais plutôt les possibilités de mutations entre les différentes sociétés concernées, c'est-à-dire « l’interchangeabilité des salariés entre les sociétés ». Ainsi, la détention d’une partie du capital ne caractérise pas à elle seule l’existence du groupe où s’effectue la recherche de reclassement.[28] Il a été, par exemple, jugé que constituait un groupe : - l’ensemble des sociétés filiales, société mère ou partenaires, le contrat de travail prévoyant l’affectation du salarié dans celles-ci ;[29]
- deux sociétés sans participations croisées, mais dont l’une est la principale cliente de l’autre, les deux sociétés ayant de surcroit les mêmes dirigeants;[30]
- une association, gérant une gare routière, avec d’autres entreprise de transport.[31]

Récemment, les juges ont pu relever que des permutations de salariés s’opéraient entre des établissements relevant de la direction diocésaine de l’enseignement catholique.[32]


D- Contenu de l’obligation

Le droit au reclassement s’applique à l’ensemble des emplois « disponibles » existant dans l’entreprise ou le groupe. En conséquence, l’obligation de reclassement ne saurait imposer à l’employeur de créer un poste, ni de licencier un autre salarié afin de dégager de la disponibilité.[33] Toutefois, l’obligation de reclassement peut s’exercer à l’égard d’emplois à durée déterminée.[34]

Tout d’abord, l’entreprise doit proposer un emploi de même catégorie ou de même nature au salarié. L’employeur doit proposer les postes compatibles avec la qualification du salarié, c'est-à-dire notamment ceux correspondant au même coefficient hiérarchique de la grille de classification applicable à l’entreprise, voire ceux nécessitant une adaptation du salarié. Il a été jugé compatible avec les capacités du salarié :
- l’emploi de facturière s’agissant d’une responsable du fichier clients informatique licenciée;[35]
- l’emploi de conducteurs de machines pour des opérateurs qui avaient été licenciés.[36]

A contrario, il a été jugé compatible avec la compétence et l’expérience professionnelle du salarié :
- l’emploi d’une aide-comptable licenciée alors qu’un emploi vacant au service comptabilité était pourvu par un recruteur extérieur;[37]
- l’emploi de responsable de dépôt licencié sans que lui soit proposé un des postes de cadre commercial pour lesquels avaient été recrutés plusieurs salariés.[38]

L’obligation de formation et d’adaptation a été abondamment illustrée par la jurisprudence.[39] L’offre de formation doit bien entendu être sérieuse, mais elle n’impose pas de dispenser une formation longue,[40] ni d’assurer la formation initiale du salarié incompatible avec ses compétences et aptitudes.[41] Dans le cadre de son obligation de reclassement, l’employeur doit, le cas échéant, proposer des emplois vacants de catégorie inférieure même s’ils entraînent un déclassement des intéressés. Par exemple, a été jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’une hôtesse d’accueil à qui un poste de serveuse n’avait pas été proposé, l’employeur étant tenu de rechercher un reclassement même dans un emploi de catégorie inférieure.[42]

Il est également à relever un autre arrêt très intéressant du 2 juillet 2014 (Cass. Soc. 2 juillet 2014 n°13-13.876). La Cour de Casstion énonce que :
" Attendu cependant que si l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi, au besoin en leur assurant une formation complémentaire, il ne peut lui être imposé d'assurer la formation initiale qui leur fait défaut".


E- Exécution loyale de l’obligation

L’employeur doit faire une recherche sérieuse de postes de reclassement. Constitue une obligation déloyale de l’obligation de reclassement, l’employeur qui :

- se limite à adresser le CV du salarié dont le licenciement est envisagé à un cabinet de recrutement ;[43]
- ou adresse une note de service aux sociétés du groupe et ne justifie pas d’une réelle recherche de reclassement.[44]

Tenu théoriquement d’une obligation de moyens, l’employeur devra démontrer qu’il a utilisé tous les moyens à sa disposition avant de recourir au licenciement. Il lui appartient de démontrer que le reclassement a été impossible.[45] Il doit adresser par écrit au salarié des propositions de reclassement qui sont précises, concrètes et personnalisées.[46] La jurisprudence condamne les offres de reclassement impersonnelles. Par exemple, ne satisfait pas à son obligation de reclassement, l’employeur qui se borne à diffuser la liste des emplois disponibles ou à adresser sous forme de note de service à l’ensemble du personnel les postes à pouvoir dans l’entreprise.[47] La proposition de reclassement doit également être précise, c'est-à-dire qu’elle doit contenir les éléments essentiels du poste à pourvoir. Concrètement, la proposition doit indiquer la nature et la qualification de l’emploi proposé, les éléments de rémunération, le lieu d’affectation, le cas échéant la convention collective applicable. L’offre de reclassement doit par ailleurs être concrète et s’abstenir de toute offre éventuelle ou conditionnelle.[48] Enfin, l’employeur doit offrir au salarié un délai raisonnable de réflexion afin d’accepter ou de refuser l’offre de reclassement. Par exemple, méconnaît son obligation de reclassement l’employeur qui exige qu’au cours de l’entretien préalable, le salarié donne une réponse immédiate à la proposition de reclassement.[49]

Il résulte de l’examen des origines jurisprudentielles et légales de l’obligation de reclassement, que presque chaque année, la Cour de cassation a précisé et renforcé les différentes facettes de cette obligation à tel point que nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la possibilité de prononcer un licenciement pour motif économique en France. C’est pourquoi une réforme de cette obligation de reclassement apparaît indispensable aujourd’hui.


II- Restrictions indispensables à l'obligation de reclassement

1- Les raisons de la restriction

A- La sauvegarde de la compétitivité

Dans un ancien rapport datant d’août 2002, la Direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques (Dares) s’était risquée à une pratique comparée des législations européennes relatives aux licenciements pour motif économique. Elle a conclu que sur les sept pays étudiés, « La France se singularise notamment par l’accent mis sur les reclassements, par la faible place laissée à la négociation et par une relative complexité des procédures ».

Effectivement, il existe une singularité française, ce qui est d’autant plus inquiétant dans l’espace économique européen qui est particulièrement compétitif. À cet égard, la Cour de cassation est-elle cohérente lorsque elle reconnaît que des licenciements pour motif économique sont possibles afin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, mais impose dans le même temps à l’entreprise une obligation de reclassement, sans observer aucune nuance d’effectif ou d’échelle des licenciements prononcés ?

Il est rappelé que, depuis un arrêt du 1er avril 1992, la Cour de cassation avait jugé que la réorganisation décidée dans « l’intérêt de l’entreprise » pouvait justifier des licenciements économiques. Ont ainsi été jugés comme conformes à l’intérêt de l’entreprise : - la modification d’un système de rémunération des représentants d’une société ;
- l’alignement de la rémunération d’une démonstratrice sur celles des autres salariés pour assurer l’égalité des salaires;[50]
- l’institution d’un nouveau système d’indemnisation des frais de repas;[51]
- la prise en compte des impératifs de la concurrence.[52]

Bien qu’ayant par la suite abandonné la référence à l’intérêt de l’entreprise, la Cour de cassation lui a substitué la notion de sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise. Dans les arrêts « Vidéocolor et TRW Répa » du 5 avril 1995, la Cour de cassation avait retenu que, « lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité ».[53] Dans son arrêt « SAT », elle a précisé que « les licenciements ont une cause économique réelle et sérieuse lorsqu’il est établi que la réorganisation de l’entreprise, qui entraîne des suppressions d’emplois, est nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient ».[54] Enfin, les arrêts « Pages Jaunes » ont énoncé qu’ « une réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient ».[55]

La Cour de cassation a ainsi fait preuve d’un excellent bon sens en élargissant la définition du motif économique de licenciement et en accordant plus de souplesse aux entreprises. Pourtant, la Juridiction Suprême a aussitôt repris d’une main ce qu’elle avait accordé de l’autre en serrant les entreprises dans le corset de l’obligation de reclassement. Faute de respecter l’obligation de reclassement, le licenciement perd aussitôt sa justification économique.[56]


B- Les prescriptions de la Directive européenne

La législation française en matière de reclassement va bien au-delà des prescriptions de la législation européenne. En effet, la définition française du motif économique de licenciement et de l’obligation de reclassement vise tant les licenciements individuels que collectifs, ce qui est beaucoup plus large que les prévisions de l’Union Européenne.

En effet, la Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, énonce, en son article 1, que : « a) on entend par « licenciements collectifs »: les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres :
i) soit, pour une période de trente jours :
- au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,
- au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,
- au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;
ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés ».

Ce n’est uniquement dans ce cadre collectif que l’employeur doit présenter aux représentants du personnel « les possibilités d'éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que les possibilités d'en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d'accompagnement visant notamment l'aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés » (article 2).

Comme le relevait à demi-mot le rapport de la Dares précité, la France a adopté une position singulière en Europe en imposant une obligation de reclassement dès le premier licenciement économique envisagé. On peut s’interroger sur les effets de cette obligation de reclassement sur « l’envie d’investir et de créer des emplois en France ». S’exprimant dans le cadre d’une réflexion sur la cause économique du licenciement en France, certains praticiens regrettaient que « l’impact sur la création d’emploi, sur les capacités d’investissement en France et même la volonté de développement des entreprises françaises en France plutôt qu’à l’étranger sont inévitables. Les freins à la capacité des entreprises à s’adapter, le cas échéant par anticipation sont trop forts [dans ce texte] pour laisser indifférent, et ce d’autant plus qu’ils n’existent pas ailleurs, y compris dans l’Union européenne ».[57]


C- L’ampleur des licenciements économiques hors PSE

Suivant les années, 200 000 personnes en France sont concernées par une procédure de licenciement pour motif économique. Selon le rythme actuel des licenciements tous motifs confondus, les licenciements économiques représentent 3,6 % de l’ensemble des licenciements.[58] Ce taux était encore de 30 % il y’a quelques années (l’apparition de la possibilité de rupture conventionnelle n’est cependant pas pour rien dans cette décrue…). La Dares précise que « le nombre de personnes concernées par les plans [PSE] n’est pas connu. 37 % de ces PSE concernent des licenciements de plus de cinquante salariés en 2008 comme en 2007 ».[59] Toutefois, on estime que 4/5e des licenciements sont prononcés hors PSE, c'est-à-dire qu’ils concernent essentiellement des PME.[60]

En conséquence, l’obligation de reclassement vise soit :
- les PME ou les TPE qui n’ont, en tout état de cause, pas les moyens d’en assurer l’effectivité ;
- des petites filiales de groupes de sociétés ;
- des petits licenciements collectifs de moins de 10 ou des licenciements individuels pour motif économique.

Compte tenu des profils indiqués ci-dessus, ne serait-il pas cohérent de limiter l’obligation de reclassement aux cas sur lesquels elle devrait se concentrer, à savoir les licenciements collectifs de plus de 10 dans le cadre d’un PSE (et ce, dans la ligne de la Directive européenne de 1998) ?


2- Les amendements souhaitables à l’obligation de reclassement

A- Fin du reclassement à l’étranger ?

Conscient des excès de l’obligation de reclassement, le législateur a commencé à y faire des entailles, notamment par la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010, relative à la procédure de reclassement des salariés menacés de licenciement pour motif économique, lorsque l’employeur dispose d’implantations à l’étranger. Il convient de rappeler que la Cour de cassation, faisant preuve d’un manque étonnant de souplesse et de pragmatisme, avait considéré que l’employeur ne pouvait pas se dispenser de la recherche de postes dans le groupe à l’étranger en soumettant au salarié un questionnaire de mobilité les invitant à se prononcer sur l’étendue des reclassements qu’ils accepteraient.[61]

Le législateur a enfin décidé de prendre ses responsabilités pour faire échec à cette jurisprudence. L'article L. 1233-4-1 du Code du travail énonce désormais que, « lorsque l’entreprise, ou le groupe auquel elle appartient, est implantée hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération de localisation ».

Concrètement, la procédure se divise en trois étapes :
- l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ;
- le salarié manifeste son accord, assorti le cas échéant des restrictions susmentionnées (par exemple, le niveau de rémunération), pour recevoir de telles offres dans un délai de 6 jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur. L’absence de réponse vaut refus ;
- les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a accepté de recevoir.

Une circulaire DGT n° 3 du 15 mars 2011 est venue apporter des précisions utiles sur l’application de la loi du 18 mai 2010. La circulaire précise notamment que :
- la demande détaille la liste des pays dans lesquels l’entreprise ou le groupe est implanté et où des permutations sont possibles. La demande porte également sur l’acceptation par le salarié d’un reclassement à l’étranger et, dans l’affirmative sur les pays dans lesquels il accepterait un reclassement et ses restrictions en matière de rémunération (le niveau minimal de rémunération acceptable) ;
- les restrictions que le salarié a le droit de formuler s’entendent « d’une part, des principales clauses du contrat de travail (nature de l’emploi, durée du travail, avantages contractuels, etc.) et d’autre part, des conditions de travail souhaitées (horaire, congés payés, règles de santé-sécurité etc.) » ;
- le dispositif concerne les salariés susceptibles de faire l’objet d’une procédure de licenciement. Ce dispositif (envoi de la lettre, du questionnaire, réponse du salarié et offres éventuelles) doit être réalisé avant la notification du licenciement. La lettre et le questionnaire de mobilité pourront être adressés au moment de la convocation à l’entretien préalable au licenciement ou, en cas de procédure collective, à l’issue de la dernière réunion des institutions représentatives du personnel et après application des critères d’ordre de licenciements ;
- précision d’importance : si aucune offre correspondant à celles que le salarié a acceptées de recevoir n’est disponible, l’employeur en informe le salarié. L’accomplissement par l’employeur de l’ensemble de ces formalités met fin à son obligation de reclassement au titre des dispositions de l’article L. 1233-4-1 du Code du travail.

Il est observé que c’est bien la première fois que les pouvoirs publics indiquent aux entreprises un moyen clair de les libérer de leurs obligations de reclassement.

Par ailleurs, et enfin, la loi du 18 mai 2010' a instauré une garantie quant au niveau de rémunération afférent aux offres de reclassement que l’employeur est tenu de faire. L’article L. 1233-4 est complété afin d’obliger l’employeur à rechercher un « emploi de même catégorie que celui que le salarié occupe ou un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente ».

La législation du 18 mai 2010 va dans le bon sens car elle est emprunte de pragmatisme pour une grande partie de ses dispositions. En pratique, compte tenu de la diversité des droits du travail au niveau international, et surtout d’un niveau de droits et acquis sociaux bien souvent inférieur à ce qui existe en France, le reclassement d’un salarié à l’étranger est-il réellement possible, en particulier pour les métiers faiblement qualifiés ? Quelles chances un ouvrier français travaillant chez un grand constructeur automobile a-t-il de retrouver le même niveau d’avantages sociaux ailleurs dans le monde ? Ne serait-il pas plus réaliste de revenir, purement et simplement, sur la jurisprudence de 1998 qui avait imposé la recherche de postes de reclassement dans les sociétés du groupe à l’étranger ?

Depuis que nous avions écris ces lignes en 2011, le Législateur semble nous avoir entendu puisque le projet de loi pour la croissance et l'activité, dite 'Macron' et présentée le 10 décembre 2014 en Conseil des Ministres, ambitionne de mettre purement et simplement fin à l'obligation rigide de reclassement à l'étranger en la restreignant au seul territoire national .
L'article 100 du projet de loi dispose en effet que :

« I.- A l'article L. 1233.4 du code du travail, les mots : « dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient » sont remplacés par les mots : « sur les emplois disponibles situés sutr le territoire national , dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie  ».

II.- L'article L. 1233-4-1 du même code est remplacé par les dispositions suivantes:

« Art. L. 1233-4-1. - le salarié dont le licenciement est envisagé a accès sur sa demande à la liste précise des offres d'emploi situées hors du territoire national disponibles dans l'entreprise ou dans les autres entreprises du groupe auquel elle appartient.

Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret ».

Nous suivrons avec attention les débats parlementaires afin de voir si les députés auront l'audace de voter cette disposition qui soulagerait bien les entreprises.


B- Pas de reclassement en cas de plan de départs volontaires ?

S’agissant de la jurisprudence, il n’était pas exclu que survienne un sursaut pour atténuer la rigueur de l'obligation de reclassement. En effet, dans un arrêt de principe du 26 octobre 2010, la Cour de cassation avait énoncé qu’un plan de départ volontaire autonome pouvait être appliqué sans qu’il soit nécessaire de mettre en place un plan de reclassement « si un employeur qui, pour des raisons économiques, entend supprimer des emplois en concluant avec les salariés intéressés des accords de rupture amiable est tenu d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi lorsque les conditions prévues à l’article L. 1233-61 du Code du travail sont remplies, un plan de reclassement, qui ne s’adresse qu’aux salariés dont le licenciement ne peut être évité, n’est pas nécessaire dès lors que le plan de réduction d’effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppressions d’emplois » (Cass. soc., 26 oct. 2010, n° 09-15.187).[62]

Toutefois, la Cour de Cassation a finalement nuancé sa position dans un arrêt du 25 janvier 2012 (Cass. soc. 25/01/2012 n°10-23.516: RJS 04/12 n°328) en déclarant que: "la mise en oeuvre de l'opération d'externalisation décidée par l'employeur entraînait nécessairement la suppression des emplois concernés et que le salarié avait vu son projet de départ refusé, ce dont il résultait que la prise d'acte du salarié, qui se trouvait privé d'emploi, était justifiée par l'absence dans le plan social d'un plan de reclassement interne et produisait les effets d'un licenciement nul". En d'autres termes, un plan de reclassement doit être intégré à un plan de sauvegarde de l'emploi même lorsque le projet de compression d'effectif repose exclusivement sur le volontariat dès lors qu'il implique la surpression de l'emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent pas quitter l'entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires.

Dans un récent arrêt du 5 novembre 2014 (Cass. soc. 5 novembre 2014 n°13-17.270, Sanofi Aventis Recherche et développement c/ CCE Sanofi Aventis Recherche et développement) , on croit de nouveau comprendre que l'employeur qui réorganise au moyen de départs volontaires n'a pas à prévoir de plan de reclassement. Dans cette affaire, la Cour d'appel avait ordonné la reprise depuis ses débuts de la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise au motif notamment qu'un plan de sauvegarde de l'emploi n'avait pas été présenté. La Cour de Cassation casse cette décision d'appel en énoncant notamment que:
«Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses écritures reprises à l'audience, l'employeur affirmait que la réorganisation envisagée se ferait sur la base exclusive du volontariat, les variations d'effectifs résultant uniquement de la supression de postes libérés à la suite des départs volontaires ou de mobilités internes volontaires, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation du texte susvisé ».


C- Une obligation de reclassement fonction de l’échelle des licenciements ?

Le droit du travail anglais offre un exemple non surprenant de souplesse, en matière de licenciement pour motif économique.[63] Le motif économique du licenciement individuel (redundancy) est défini de façon large à la section 139 of the Employment Rights Act 1996. Le motif économique du licenciement est ainsi constitué lorsque le licenciement résulte totalement ou principalement de : - la cessation d’activité ;
- la disparition du lieu du travail ;
- la disparition du besoin de recourir aux fonctions particulières du salarié considéré ;
- la disparition du besoin de recourir aux fonctions particulières du salarié considéré sur le lieu du travail considéré.

Concernant spécifiquement les licenciements collectifs, la législation britannique a adopté une définition encore plus large prévue à la section 195(1) du Trade Union & Labour Relations (Consolidation) Act 1992 (TURLCA 1992). Se conformant à la directive européenne n°77/187 du 29 juin 1998, le Royaume-Uni définit le motif économique du licenciement collectif uniquement comme un motif non lié à la personne du salarié « a reason not related to the individual concerned or for a number of reasons all of which are not so related ».

Le critère de référence pour apprécier le motif économique du licenciement en droit anglais, qu'il soit individuel ou collectif, est la disparition du poste de travail et non la situation économique de l'entreprise (cf. A.-Chr. Monkam, « Licenciement économique individuel: à quand le bon sens ? », JSL n° 365-1; A-Chr. Monkam "Plan de sauvegarde de l'Emploi: verrou ou flexibilité?", JSL n°377-378).

Au surplus, même si une entreprise ne dispose pas d’un motif de licenciement entrant dans la définition légale, cela ne signifie pas que la rupture du contrat de travail envisagée est impossible. Il suffit à l’employeur de se prévaloir d’autres dispositions de la loi, en l’occurrence la section 98 of the Employment Rights Act 1996, qui lui permet de prononcer un licenciement pour « toute autre raison substantielle ». À cet égard, la législation française mériterait d’engager une réflexion sur un troisième motif de licenciement, en plus du motif personnel et du motif économique, les relations de travail n’étant pas binaires.

La définition large du motif économique du licenciement au Royaume-Uni a pour but d'aider l'entreprise à se restructurer le plus rapidement possible (et non de l'empêcher de licencier comme en France).

Concernant l’obligation de reclassement au Royaume-Uni, celle-ci diffère suivant qu’il s’agit de grands licenciements pour motif économique ou de petits licenciements individuels. En matière de grands licenciements économiques, le dispositif est contenu à la section 188 of the Trade Union and Labour Relations Consolidation Act 1992. En substance, le droit du travail anglais reprend le critère de la Directive européenne du licenciement envisagé de 20 salariés dans une même période de 90 jours afin de qualifier un grand licenciement collectif pour motif économique. Dans un tel cas, les syndicats (ou les représentants du personnel) doivent être consultés sur les mesures de reclassement.

En matière de petits licenciements pour motif économique, il existe une obligation de reclassement (duty to offer alternative employment). Peu encadrée, cette obligation doit s’exercer sur des postes compatibles avec les qualifications du salarié (suitable employment). De plus, en vertu de la section 141 of the Employment Rights Act 1996, le salarié est privé de toute indemnité de licenciement s’il refuse abusivement le poste offert.

Le législateur français aurait tout intérêt à s’inspirer de son voisin anglais en mettant fin à l’application rigide de l’obligation de reclassement. Il serait plus conforme à l’intérêt de l’entreprise, et par conséquent à la communauté de travail, que cette obligation soit réservée aux licenciements collectifs d’au moins 10 salariés ou qu’elle ne soit à la charge des employeurs qu’à compter d’un certain niveau d’effectif. Le droit du travail français y gagnerait en efficacité, compétitivité et pragmatisme.



Notes et références

  1. Anciennement codifié à l’article L. 321-1 du Code du travail
  2. Cons. const., 13 janv. 2005, n° 2004-509, à propos de l’article 77 de la loi de la programmation pour la cohésion sociale ; J.-E. Ray, « La loi pour la cohésion sociale : continuité et contournements », Dr. soc. n° 4, avr. 2005, p. 359
  3. Cons. const., 12 janv. 2002, n° 2001-455, à propos de l’article 108 de la loi de modernisation sociale ; C. Anache-Terlecki, « Le nouveau droit du licenciement économique suite à la loi de modernisation sociale », JSL n° 96-1, 26 févr. 2002, p 4 ; J. Pélissier, « La cause économique du licenciement dans la loi votée le 19 décembre 2001 en dernière lecture par l’Assemblée nationale », Dr. ouvr., avr. 2002, p. 145
  4. Cahiers prud’homaux n° 2, févr. 2003
  5. CE, 18 févr. 1977, n° 95354, Abellan, Rec. Lebon, p.97 ; Dr. soc., 1977, p. 166, concl. P. Dondoux
  6. CE, 24 oct. 1990, n° 91392, SA Ampafrance c./Markovitch, RJS 2/91 n° 217, p. 118 ; Liaisons sociales Quotidien n° 12.430, 10 mai 1997, « Licenciement économique-Définition-Prévention-Procédure »
  7. CE, 18 janv. 1980, n° 10804, D. 1980, p. 259, note A. Lyon-Caen
  8. Fr. Loubéjac, « Sur la suppression de l’autorisation de licenciement », Dr. soc. n° 3, mars 1986, p. 213
  9. Fr. Loubéjac, supra
  10. G. Couturier, Droit du travail, t.1, « Les relations individuelles de travail », PUF, Collection Droit fondamental, n° 169, pp. 262 et 263 ; A. Supiot, « Le contrôle prud’homal des licenciements économiques », Dr. soc., 1987, p. 268 à 270
  11. À comparer avec l’actuelle définition du motif économique du licenciement, édictée à l’article L. 1233-3 du Code du travail, qui énonce que : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou, à des mutations technologiques »
  12. J.-P. Soisson, « La loi du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion », Dr. soc., n° 9-10, sept.-oct. 1989, p. 621 ; J.-P. Laborde, « La cause économique du licenciement », Dr. soc. n° 9-10, sept.-oct. 1989, p. 774
  13. Cass. soc., 20 févr. 1991, n° 89-45.251 ; Q. Urban, « Le licenciement pour motif économique et le groupe », Dr. soc. n° 3, mars 1993, p. 272 ; Cass. soc., 15 mai 1991, n° 89-44.928
  14. Rapport 1991 de la Cour de cassation, Liaisons sociales, Bull. quot. n° 6720 du 20 août 1992
  15. Pour plus de commentaires, voir Rapport de la Cour de cassation 1992, Ed. Francis Lefebvre BS 10/93, p. 465
  16. Cass. soc., 22 janv. 1992, n° 89-41.242 ; BS 3/92, Inf. 344 ; RJS 3/92 n° 1992
  17. Cass. soc., 1er avr. 1992, n° 89-43.494 ; Cass. soc., 8 avr. 1992, n° 89-41.548, BS 5/92, Inf. 599, RJS 5/92, n° 598
  18. Cass. soc., 25 juin 1992, n° 90-41.244 ; BS 8-9/92, Inf. 933; RJS 8-9/92, n° 980
  19. Cass. soc., 7 oct. 1998, n° 96-42.812
  20. Cass. soc., 4 déc. 2007, n° 05-46.073
  21. Cass. soc., 13 janv. 2010, n° 08-15.776
  22. Cass. soc., 4 juill. 2006, n° 04-43.976 ; J. Chauviré, « L’obligation de reclassement dans le licenciement pour motif économique », SSL n° 1477, 31 janv. 2011, p.6
  23. Cass. soc., 13 avr. 2005, n° 03-42.004 ; Cass. soc., 10 oct. 1990, n° 87-45.366
  24. Cass. soc., 27 oct. 1998, n° 96-45.517 ; Cass. soc., 21 oct. 2003, n° 01-42.623
  25. Cass. soc., 1er juin 2010, n° 09-40.421
  26. Cass. soc., 27 oct. 1998, n° 96-45.517 ; RJS 12/1998, n° 1458
  27. Cass. soc., 5 avr. 1995, n° 93-42.690
  28. Cass. soc. , 27 oct. 1998, n° 96-40.626
  29. Cass. soc., 1999, n° 97-41.838
  30. Cass. soc., 1er nov. 2002, n° 00-44.378
  31. Cass. soc., 27 oct. 1998, n° 96-40.626 ; P. Bara, « L’obligation de reclassement en matière de licenciement économique : une obligation de résultat atténué », JSL n° 162-1, 22 févr. 2005, p. 4
  32. Cass. soc., 8 juill. 2008, n° 06-45.564
  33. CA Rouen, 5 déc. 1995, SA Lion Salaison Normandie c/ Bernard ; RJS 4/1996, n° 391
  34. Cass. soc., 29 janv. 2002, n° 00-41.885 ; P.-H. d’Ornano, « L’obligation individuelle de reclassement en matière de licenciement pour motif économique », La Semaine Juridique-Édition Sociale n° 15, 4 oct. 2005, p. 17
  35. Cass. soc., 25 févr. 1992, préc.
  36. Cass. soc., 1er déc. 1993, n° 92-40.760 ; RJS 1/94 n° 13
  37. Cass. soc., 1er avr. 1992, préc.
  38. Cass. soc., 16 mars 1994, n° 92-41.078
  39. Cass. soc., 25 févr. 1992, n° 89-41.634 ; Cass. soc., 12 mars 2003, n° 00-46.700
  40. Cass. soc., 11 janv. 2000, n° 97-41.255
  41. Cass. soc., 4 avr. 1995, n° 93-45.693, Dr. soc., 1995, p. 510
  42. Cass. soc., 3 oct. 1995, n° 94-40.163, Liaisons sociales Jurisp. n° 7344, 20 oct. 1995
  43. Cass. soc., 18 juin 2003, n° 00-46.262, Cahiers sociaux du Barreau de Paris n° 153
  44. Cass. soc., 12 juin 1998, n° 96-41.108
  45. Cass. soc., 18 nov. 1997, n° 95-40.103 ; P. Bara, « L’obligation de reclassement en matière de licenciement économique : une obligation de résultat atténué », préc.
  46. Cass. soc., 18 janv. 2005, n° 02-46.737 ; RJS 3/2005, n° 259
  47. Cass. soc., 1er déc. 1998, n° 96-43.856 ; CA Paris, 1er mars 1994 ; RJS 5/1994, n° 529
  48. CA Reims, ch. soc., 18 juin 1997, Guillemin c/ SA Monoprix
  49. CA Dijon, 22 mars 1994, n° 00001825/93, SA Toupargel c/ Gamaz ; RJS 11/1994, n° 1254
  50. Cass. soc., 21 oct. 1992, n° 89-44.667
  51. Cass. soc., 11 juill. 1994, n° 90-44.200
  52. Cass. soc., 26 janv. 1994, n° 92-41.507
  53. Cass. soc., 5 avr. 1995, n° 93-42.690, SSL, 18 avr. 1995, Rapport Boubli
  54. Cass., Ass. Plén., 8 déc. 2000, n° 97-44.219
  55. Cass. soc., 11 janv. 2006, n° 04-46.201, n° 05-40.977, n° 05-40.976 ; B. Boubli, « Réorganisation et restructuration dans le licenciement de compétitivité », JSL n° 195-1, 1er sept. 2006, p.3
  56. Cass. soc., 5 juin 1996, n° 92-42.034 ; Cass. soc., 12 déc. 1995, n° 94-41.765
  57. G. Bélier, « Le contexte économique et la gestion des restructurations - L’approche d’un avocat, conseil de l’entreprise », Dr. ouvr., avr. 2002, p. 138, à propos de la nouvelle définition du motif économique de licenciement par la loi de modernisation sociale
  58. Indicateurs Dares, mai 2011, n° 038
  59. Dares, Première Synthèse d’Informations, nov. 2009, n° 48.2
  60. P. Bara, « L’obligation de reclassement en matière de licenciement économique : une obligation de résultat atténué », préc.
  61. Cass. soc., 7 nov. 2007, n° 06-43.108 ; Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-42.381 ; RJS 5/09 n° 418 ; S. Niel, « Où en est-on sur le reclassement groupe ? », SSL n° 1465, 2 nov. 2010, p. 17
  62. P. Bailly, « Volontariat et reclassement : quelle compatibilité ? », SSL n° 1465, 2 nov. 2010
  63. Pour plus d’informations sur le droit comparé du Royaume-Uni, cf. la Commission Ouverte du Barreau de Paris "Paris-Londres"


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.