La défiscalisation : simple mobile psychologique ou qualité substantielle de la chose vendue ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


13 septembre 2022

Un récent arrêt (Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846 [1]) semble amorcer une évolution jurisprudentielle sur la qualification à donner à l’objectif de défiscalisation qui caractérise de nombreuses acquisitions.

Au cas d’espèce, dans le cadre d'une opération de défiscalisation des particuliers font l’acquisition des quirats d'un navire.

Les quirats (de l’arabe « qirat », sorte de petit pois) désignent des parts détenues dans la propriété d’un navire.

L’aventure fiscale tourne court lorsque le fisc informe nos acquéreurs qu’ils ne peuvent bénéficier de la réduction d’impôt escomptée, au motif que le navire ne remplissait les conditions d’éligibilité au dispositif fiscal concerné.

Les acquéreurs agissent alors en annulation de la vente, arguant d’une erreur sur une qualité substantielle. La terminologie ancienne (le Code civil parle désormais de qualité « essentielle ») s’explique par la date de conclusion du contrat, antérieure à la réforme de 2016.

La cour d’appel rejette la demande, au motif que la vente portait sur des quirats et que l’objectif fiscal n’était pas une qualité substantielle des quirats acquis.

La cassation pour manque de base légale intervient au visa des articles 1108, 1109 et 1110 anciens du Code civil, c’est-à-dire sur le fondement de l’erreur.

La Cour de cassation reproche aux juges du fond de n’avoir point recherché, comme ils y étaient invités, si « l'éligibilité des quirats au dispositif de défiscalisation en cause ne constituait pas une qualité substantielle du bien vendu, convenue par les parties et en considération de laquelle elles avaient contracté, de sorte que, dès lors qu'il aurait été exclu, avant même la conclusion du contrat, que ce bien permît d'obtenir l'avantage fiscal escompté, le consentement de M. et Mme [P] aurait été donné par erreur ».

L’arrêt, promis aux honneurs du Bulletin, invite à la réflexion. Par le passé, la Cour avait tendance à considérer que l’objectif de défiscalisation constituait un mobile et non une qualité essentielle de la chose. Il en résultait que le mobile devait entrer dans le champ contractuel via une stipulation idoine, faute de quoi la nullité ne pouvait être recherchée. Avec cette décision, la Cour semble donner plus de considération à cet objectif fiscal, potentiellement érigé (c’est aux juges du fond de le dire) en qualité substantielle du bien vendu.

Sur ce point, L. Thibierge, « Petits pois et syncrétisme », RDC 2022, n° 4, à paraître.