La notion d'investissement en matière de traités bilatéraux d'investissement

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit public

Florent Cedziollo, élève avocat [1]
Mars 2023



Petit retour rapide et concret sur la notion d'investissement en matière de traités bilatéraux d'investissement.

« Clé de voûte de l'arbitrage d'investissement, la notion même d'investissement souffre paradoxalement d'une absence de définition et demeure ainsi des plus controversées » souligne Maitre Silva Romero. La notion d'investissement a même été qualifiée de « notion maudite du système CIRDI » par Ben Hamida (W. BEN HAMIDA, La notion d'investissement : la notion maudite du système CIRDI ?, Cah. arb. 2007/4, p. 33). En effet, les négociateurs du traité CIRDI, n’ont pas réussi à se mettre d'accord sur une définition général de l’investissement (Rapport des administrateurs sur la Convention CIRDI, § 27). D’aucuns ont encore pu parler d’une « dilution de la notion d'investissement » (P. JUILLARD, Chronique de droit international économique, AFDI 1986. 626, note 192 ; S. MANCIAUX, qui se demande si on doit « réellement considérer toute opération économique ayant quelque envergure comme un investissement ? »).

C’est que comme toute règle de droit, cette notion est sujette à diverses interprétation, ainsi que le met en avant la théorie des actes de langage [2] de John Austin [3], selon laquelle un acte performatif [4] de langage (une promesse [5], un ordre [6], etc.) se divise en deux effets distincts : un effet illocutoire, qui consiste en la fonction performative de l'acte de langage au niveau conventionnel, et un effet perlocutoire, qui désigne l'effet psychologique ressenti par le destinataire. De ces questions sur la force du langage juridique, se rapprochent les débats entre nominalistes et réalistes, ou bien entre « subjectivisme » et « objectivisme ».

Par ailleurs, il s’agit d’une notion qui demeure, à l’échelle du temps juridique assez récente. La première allusion à l’investissement par une juridiction internationale date de 1928, sans qu'il lui soit d'ailleurs attribué une signification juridique particulière, l'allusion d'alors semblant avant tout relever de l'ordre comptable (CPJI 13 sept. 1928, série A,17, arrêt 13).

La doctrine majoritaire définit ainsi l’investissement en arbitrage international comme (i) un apport, (ii) une certaine durée et (iii) un certain risque, sans que l'origine de ces trois éléments ait été précisée. C’est par exemple la définition adoptée dans la sentence arbitrale Salini (DC 23 juill. 2001, § 52).

Néanmoins, plusieurs raisons expliquent la présence de définitions divergentes :

  • La possibilité pour les Traités bilatéraux d’investissement de définir selon leurs propres termes la notion d’investissement. Or comme le rappelle l'article 31.1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969n « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».
  • L’interprétation divergente des juges, s’explique aussi par des traductions fortuites des termes, ou encore un ancrage idéologique des arbitres


Par exemple Jan Paulsson, dans la sentence Pantechniki et Zachary Douglas prône pour l'exclusion du critère d'une « certaine durée » de la définition de l’investissement. Comme le met en exergue le Professeur De Nanteuil, plusieurs définitions peuvent être rencontrées dans les TBI : une approche énumérative, une approche synthétique ou encore une approche hybride.

La définition la plus large de l’investissement est « toutes les catégories d'avoirs ». Ce qui comprendrait, d'après l'étude Scope and Definition, établie par la Conférence des Nations Unis sur le commerce et le développement, tout ce qui a une valeur économique sans réelle limitation.

Comme le souligne Maitre Silva Romero « aujourd'hui, le cœur de la controverse porterait plutôt sur la question de savoir si la « contribution au développement économique de l'État hôte de l'investissement » et la « légalité de l'opération économique », voire son « exercice de bonne foi », font partie de la définition lorsque ces éléments ne sont pas expressément prévus dans le TBI applicable ».

Un triptyque traditionnel

Dans l'affaire Salini contre Maroc, il s'agissait d'un contrat entre une société nationale marocaine et deux sociétés italiennes, pour la construction d'une autoroute reliant deux villes marocaines. Le Maroc soutenait qu'il ne s'agissait pas d'un investissement, ni au sens du traité de protection entre l'Italie et le Maroc ni au sens de la Convention de Washington. Le tribunal a énoncé quatre conditions nécessaires pour qu'on se trouve en présence d'un investissement : un investissement suppose non seulement « des apports, une certaine durée d'exécution du marché et une participation aux risques de l'opération », mais il doit également contribuer « au développement économique de l'État d'accueil de l'investissement », et ceci sur le fondement du Préambule de la Convention de Washington qui invoque « la nécessité de la coopération internationale pour le développement économique » (DC 23 juill. 2001, § 52).

Ainsi constituent des investissements :

  • L'acquisition de bons à ordre du gouvernement (DC 11 juill. 1997, aff. ARB/96/3)
  • La vente de produits gaziers sans présence ni activité de Petrobart au Kirghizstan (Sent. 29 mars 2005 [Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm], aff. ARB/126/2003)
  • La construction d'autoroute (DC 14 nov. 2005, aff. ARB/03/29, Bayindir contre Pakistan)
  • Le contrat de dragage du canal de Suez (DC 16 juin 2006, aff. ARB/04/13, Jan de Nul N.V. contre Égypte)
  • Le contrat de fourniture d'équipements miniers avec assistance technique sur plusieurs années (DC 6 août 2004, aff. ARB/03/11, Joy Mining Machinery Ltd contre Égypte)
  • La création d'un cabinet d’avocats (DCAH 1er nov. 2006, aff. ARB/99/7, Patrick Mitchell contre Congo)'
  • La construction d'un pipeline (DC 21 mars 2007, aff. ARB/05/07, Saipem Spa contre Bengladesh)
  • Le contrat de récupération d’épaves (DC 17 mai 2007, aff. ARB/05/10, Malaysian Historical Salvors et alii contre Malaisie)
  • La construction et exploitation d'une centrale électrique (DC 5 mars 2008, aff. ARB/05/12, Noble Energy Inc et alii contre Ecuador et Consejo Nacional de Electricidad)
  • La construction et l'exploitation d'une centrale électrique (Sent. 19 janv. 2007, aff. PSEG Global c/ Turquie ; Sent. 31 juill. 2007, MCI Power Group c/ Equateur ; Sent. 12 oct. 2009, Noble Venture c/ Roumanie)
  • La construction et la gestion d'un hôtel (DC 17 oct. 2006, Helnan c/ Egypte)'
  • Les contrats de prestations de services (SGS c/ Pakistan et SGS. Philippines)
  • Les titres obligataires (Petrobart c/ République Kirghize ;Abaclat et autres (prcd Giovanna A. Beccara et autres) c/ République Agrentine)
  • L'acquisition sur le marché de billets à ordre (promissory notes) émis par un État en représentation (Sent. « Fedax c/ Venezuela » du 11 juin 1997).


Par contre n’ont pas été considérés comme des investissements une vente clés en main d'un système d'exploitation minière (Joy Mining, supra), une construction de barrage (Consorzio Lesi-Dipenta c/ Algérie), ou encore les dépenses précontractuelles faites par une entreprise en vue de la conclusion d'un contrat qui, in fine, ne sera pas signé (Sent. 15 mars 2002, aff. ARB/00/2, Mihaly International Corporation contre Sri Lanka). Ne peuvent non plus être qualifiés d'investissements des contrats commerciaux per se (Sent. CIRDI 1er déc. 2010, Global trading resources corp. c/ Ukraine), ou des contrats relatifs à des phases préparatoires à un investissement éventuel (Sent. CIRDI 15 mars 2002, Mihaly c/ Sri Lanka. – Sent. CIRDI 24 janv. 2003, Zhinvali c/ Géorgie). Généralement le TBI fera une énumération de ce qu'il considère comme un investissement, et on y retrouvera souvent :

  • Les parts sociales, actions et autres formes de participation dans des sociétés
  • Les revenus réinvestis, les créances financières ou tous autres droits ayant une valeur financière liée à un investissement,
  • La propriété des biens meubles et immeubles ainsi que tous autres droits tels qu’hypothèques, nantissements et gages et autres droits similaires
  • Les droits de propriété industrielle et intellectuelle liés aux investissements
  • Les concessions commerciales ou industrielles accordées par voie législative ou contractuelle
  • Les obligations, créances et droits à toute prestation ayant valeur économique ;

Des éléments de qualification encore incertains

En cas de contradiction entre la convention CIRDI et le TBI

La première question qu’il est possible de poser est celle de la divergence d’interprétation entre la notion d’investissement au sein de la Convention de Washington et le TBI. Ainsi que le souligne le Professeur Leben : « si la définition de l'investissement de la Convention de Washington (du moins telle qu'elle résulte de la jurisprudence des tribunaux CIRDI) et celle donnée par le traité de protection diffèrent, c'est logiquement le traité le plus restrictif qui devra s’imposer ». Néanmoins, la jurisprudence arbitrale demeure contradictoire sur ce point (CSOB c/ Slovaquie et Salini c/ Maroc).

Néanmoins, il faut relever qu'en dehors du CIRDI, un tribunal arbitral a pu reconnaître des critères se rapprochant des critères Salini en utilisant le préambule du TBI applicable (Romak S.A. c/ République d'Ouzbékistan).

Une jurisprudence incertaine concernant la « contribution au développement économique de l’État » et la « légalité de l'opération économique »

Un courant jurisprudentiel a d’abord pu écarter le critère de la contribution au développement économique de l’Etat. C’est ce que soulignent les sentences Consortium groupement Lesi-Dipenta S.p.A. contre Algérie (Sent. 10 janv. 2005, aff. ARB/03/08) et Victor Pey Casado et Fondation président Allende c/ Chili (DC 8 mai 2008, aff. ARB/98/2). Les sentences énoncent qu’« il paraît conforme à l'objectif auquel répond la Convention qu'un contrat, pour constituer un investissement au sens de la disposition [de l'article 25 de la Convention CIRDI], remplisse les trois conditions suivantes : il faut a) que le contractant ait effectué un apport dans le pays concerné, b) que cet apport porte sur une certaine durée, et c) qu'il comporte pour celui qui le fait un certain risque. Il ne paraît en revanche pas nécessaire qu'il réponde en plus spécialement à la promotion économique du pays, une condition de toute façon difficile à établir et implicitement couverte par les trois éléments retenus ». D’ailleurs ce critère est critiqué par une large partie de la doctrine (par exemple P. Juillard ou bien W. Ben Hamida ou encore I. Fadlallah, ou E. Gaillard).

Ces sentences l’expliquent par le caractère inutile et ainsi superflu de ce critère, car déjà couvert par les trois autres (position du tribunal : Sent. CIRDI 14 nov. 2005, Bayindir c/ Pakistan), ou bien parce qu'il n'avait pas sa place dans une définition de l'investissement, n'étant que la conséquence de ce dernier (par exemple, position des tribunaux : Sent. CIRDI 8 mai 2008, Pey Casado c/ Chili, § 232. – Sent. CIRDI 14 juill. 2010, Mr. Saba Fakes c/ Turquie, § 111).

Sources

-Observations sur la notion d'investissement après la sentence Phoenix, Cahiers de l'arbitrage - n°4 - page 987, Eduardo Silva Romero, Docteur en droit, avocat associé, Dechert (Paris) LLP

-Fascicule Lamyline -Dalloz, Investissements – Généralités – Dominique CARREAU – Janvier 2020