Le devoir de réserve (fr)

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Mots Clefs : fonction publique, liberté d'opinion, agents publics



Auteur : Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris
Date : Mai 2016

Plusieurs récentes affaires ont mis à mal le fameux « devoir de réserve ».

Jean-Louis Galland, juge des libertés et de la détention à Nîmes a reçu, en avril 2016, un courrier de la directrice des services judiciaires après avoir déclaré qu’il avait reçu des « pressions directes et indirectes » ; et ce alors qu’il avait jugé nécessaire de libérer des migrants.

Le général Soublet, auteur de Tout ce qu’il ne faut pas dire (Plon) a été privé de son commandement, un mois après la sortie de son ouvrage.

En mars 2016, Florence Hartmann, ancienne journaliste mais surtout auteure chez Flammarion, en 2007, de Paix et châtiment (sous-titré Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales) a été à nouveau détenue durant plusieurs jours. L’intéressée a officié, à compter de 2000 et durant six ans, comme porte-parole et conseillère de la procureure Carla Del Ponte près Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Après quoi, elle a disserté, dans l’ouvrage sus-nommé, sur un accord confidentiel négocié entre les juges internationaux et la Serbie. Ledit accord visait des documents fournis par Belgrade permettant certaines poursuites tout en prouvant l’implication de la Serbie dans le massacre de Srebrenica. La vérité historique devait donc rester secrète pour que justice partielle se fasse. La justice internationale a condamné Florence Hartmann, en septembre 2009, à 7 000 euros d’amende… pour outrage au tribunal.

La notion n'existe pas en tant que telle dans les textes législatifs et réglementaires qui régissent la fonction publique française. C’est ainsi que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (ne fait nulle part mention d'un « devoir de réserve », ni d'une « obligation de réserve ». Et que la notion, qui a été proposée par un amendement en mars 2016, n’a pas plus intégré la loi du 20 avril 2016 sur la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Cette notion de manquement à l'obligation de réserve a été consacrée en 1935 par le Conseil d'État, pour le cas d'un employé à la chefferie du Génie à Tunis qui avait publiquement critiqué jugés la politique du gouvernement.

En réalité, Le manquement au devoir de réserve est apprécié par l'autorité au cas par cas. Et plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère.

Ce devoir s'applique plus ou moins rigoureusement selon la place dans la hiérarchie, l'expression des hauts fonctionnaires étant jugée plus sévèrement. A l’inverse, un responsable syndical agissant dans le cadre de son mandat bénéficie de plus de liberté. De même, sont pris en comptes la publicité donnée aux propos, si l'agent s'exprime dans un journal local ou dans un important média national, et les formes de l'expression, si l’individu en question utilise ou non des termes injurieux ou outranciers.

En pratique, tout agent public doit donc faire preuve de réserve et de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles.

Cette obligation ne concerne pas le contenu des opinions (la liberté d'opinion est reconnue aux agents publics) mais leur mode d'expression.

L'obligation de réserve s'applique pendant et hors du temps de service. Cette obligation impose aussi aux agents publics d'éviter en toutes circonstances les comportements susceptibles de porter atteinte à la considération du service public par les usagers.

C’est pourquoi, cette obligation continue de s'appliquer aux agents suspendus de leurs fonctions et en disponibilité.

Rappelons enfin que les mémoires de Saint-Simon n’ont été publiés originellement que sous une forme très abrégée. Louis XV les ayant fait déposer, sous le secret, aux archives du ministère des Affaires étrangères, la première édition complète remonte donc seulement à 1832.

Et que la prudence du diplomate Paul Morand l’a incité à prendre des dispositions testamentaires complexes pour différer la publication de ses écrits intimes. Une telle règle peut encore s’appliquer à Saint John Perse, Paul Claudel ou Victor Segalen.