Le mineur et son discernement devant le tribunal

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Cet article est issu du 4e numéro de la Revue de l'Association Nationale des Avocats et élèves-avocats Docteurs en Droit. La Grande bibliothèque du Droit est partenaire de l'ANAD

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Dr. Kouamé Saint Paul KOFFI
Titulaire du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA)
Docteur en droit public comparé
Diplômé en Sociologie option développement social
Membre des comités de suivis de thèses des Universités de Paris 8 et Paris 13
1er vice-Président, Trésorier et cofondateur de l’Association Nationale des Avocats et élèves-Avocats Docteurs en droit (ANAD)

Introduction

Le discernement paraît si insaisissable qu’il semble pour bon nombre d’auteurs difficilement définissable. Il est qualifié de « notion molle » [1] voire même de « notion imprécise » [2] (...) dont personne ne peut donner une définition juridique satisfaisante[3] . Il est également jugé beaucoup trop vague.

Au demeurant, le verbe discerner provient du mot latin « discernare ». Il est formé de « dis » qui renvoie à l’idée de séparation et de « cernere » qui signifie « tamiser », il prend donc deux sens. D’une part, il signifie « séparer » dans le sens de distinguer. D’autre part, il traduit l’idée de percevoir c’est à dire saisir « rendre compte de la nature d’une chose ».

Au XVIème siècle, le verbe « discerner » donne naissance au substantif « discernement » dont le sens premier est l’action de séparer, de mettre à part sur un plan matériel et concret. Au XVIIème siècle, le sens devient intellectuel, le discernement désigne « l’opération par laquelle on distingue intellectuellement deux ou plusieurs objets de pensée »[4]. Aujourd’hui, le discernement peut aussi se définit comme « la disposition à juger clairement et sainement les choses ». Quant au mot « mineur », il provient du latin « minor ». Il signifie « plus petit, plus jeune »[5] .

Sur le plan juridique, le mineur est celui qui n’a pas la majorité. Mieux, est considéré comme mineur « celui qui n’a pas encore atteint l’âge de la majorité légale »[6] . C’est le sens retenu actuellement, aussi bien en matière juridique que dans le langage courant.

Le terme mineur est souvent pris comme l’équivalent du terme enfant. En effet, le mot « enfant » dérive du latin «infans», qui signifie « qui ne parle pas » et définit « l’êtrequi est au tout début de sa vie ». Les deux termes de mineur et d’enfant sont souvent utilisés en droit et peuvent même figurer dans une disposition. Ainsi, l’article 375 du Code civil en est une illustration probante.

Le terme mineur est souvent pris comme l’équivalent du terme enfant. En effet, le mot « enfant » dérive du latin «infans», qui signifie « qui ne parle pas » et définit « l’être qui est au tout début de sa vie ». Les deux termes de mineur et d’enfant sont souvent utilisés en droit et peuvent même figurer dans une disposition. Ainsi, l’article 375 du Code civil en est une illustration probante.

Le terme « enfant », figure également dans les dispositions de la Convention internationale des Droits de l’enfant. Cette Convention définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Quels sont les procédés qui permettent au tribunal d’appréhender le discernement du mineur ? Pour être à même de répondre à cette question, la parole du mineur devant les juridictions (I) sera abordée avant l’examen des palliatifs qui constituent les différents cas possibles de représentation (II).

La parole du mineur devant les juridictions

Le discernement nécessaire à l’audition du mineur

La parole va être donnée à l’enfant dans une procédure où il n’est qu’un tiers intéressé. Et cette reconnaissance d’un droit à la parole est le fait des dispositions générales de l’article 388-1 du Code civil comme des dispositions spéciales qui prévoient cette audition.

C’est la raison pour laquelle n’étant pas partie au procès on soumet son audition à la justification d’un intérêt direct, personnel et certain. L’intérêt doit être personnel, tel n’est pas le cas d’une instance qui concernerait les seuls époux, parents du mineur, ou de procédures organisées dans l’intérêt de la famille. L’intérêt doit également être direct, c’est-à-dire avoir des incidences tendant à modifier ses conditions de vie. On estime alors que l’intérêt peut être moral et futur, comme simplement pécuniaire. On retient généralement le caractère extrapatrimonial de la procédure de l’article 388-1 du Code civil en affirmant qu’elle ne concerne que le divorce, la séparation, l’autorité parentale, c’est-à-dire toute procédure organisée par la loi. Il n’y a, en effet, d’audition du mineur que si celui-ci peut se prévaloir d’un intérêt direct dans une procédure dans laquelle il n’est pas tiers et il n’y a d’audition que si l’enfant va acquérir la maturité nécessaire pour que sa parole puisse être prise en compte.

L’article 388-3 du Code civil précise que la décision statuant sur la demande d’audition du mineur n’est susceptible d’aucun recours. Ce qui a pu paraître en contradiction avec la Convention des droits de l’enfant, selon certains auteurs[7] .

Le rôle du mineur est donc purement consultatif et la Cour de cassation avait estimé, dans le cadre de l’application de l’ancien article 290-3 du Code civil « qu’on ne saurait imposer au juge de se conformer aux souhaits de l’enfant »[8] , alors même que le texte prescrivait au juge de tenir compte des sentiments exprimés par le mineur.

L’intervention du mineur en justice en absence de discernement

Le mineur peut souhaiter déclencher une procédure, ou intervenir dans des situations extrêmes. On a pu affirmer que le droit de déclencher un procès est la forme la plus avancée de l’expression individuelle des droits de l’enfant dans les structures existantes[9]. Mais ce droit ne lui est reconnu qu’à titre exceptionnel, et devant des situations urgentes. La parole devient alors action.

Une contradiction d’intérêts peut naître dans les rapports parents-enfants, aussi bien au niveau patrimonial qu’au niveau personnel, et nécessite une intervention judiciaire. Cependant, puisqu’il se trouve frappé d’une incapacité d’ester en justice, le mineur doit se faire représenter par la personne habilitée, à savoir son représentant légal (article 389-3 alinéa 1).

Cette procédure, on le voit, peut engendrer une situation de blocage, le parent ne voit pas toujours cette contradiction d’intérêts. Pour y remédier, l’ancien article 389-3 du Code civil avait prévu la désignation, par le juge des tutelles, d’un administrateur ad hoc [10] . L’action n’était réservée qu’aux seules contestations de reconnaissance.

La loi du 8 janvier 1993 distingue désormais la représentation des intérêts du mineur en justice régis par les dispositions de l’article 388-2 du Code civil, de sa représentation hors de toute instance qui relève des dispositions de l’article 389-3 alinéa 2.

L’administrateur ad hoc chargé de représenter le mineur est désigné par le juge des tutelles à défaut de diligence de l’administrateur légal, à la demande du Ministère public, du mineur ou du juge saisi de l’instance. La désignation de l’administrateur ad hoc est toujours subordonnée à l’exigence légale d’une opposition d’intérêts entre l’enfant et son représentant légal. Cette notion est beaucoup plus large que celle de danger existant, dans la procédure d’assistance éducative.

Le danger défini par l’article 375 du Code civil, qui va déclencher la prise d’une mesure éducative, concerne la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur ou encore des conditions d’éducation gravement compromises.

Cette définition se comprend dans un sens restrictif beaucoup plus étroit que « la notion d’intérêts du mineur » qui a permis d’appliquer l’article 388-2 du Code civil. Le danger traduit toute l’urgence d’une situation qui nécessite une intervention immédiate[11] .

Or, bien souvent, le parent qui assiste aux sévices, garde le silence et reste passif. Pour remédier, une fois encore, à cette situation, le législateur a prévu dans l’article 87-1 du Code de procédure pénale que le juge d’instruction puisse désigner un administrateur ad hoc. La désignation d’un administrateur ad hoc n’est pas un droit du mineur, mais un pouvoir discrétionnaire du juge, à tel point que Claire NEIRINCK a pu affirmer que « l’administrateur ad hoc relève du bon vouloir du juge ».

Mais l’enfant ne prendra qu’exceptionnellement l’initiative de saisir le juge pour qu’il procède à cette désignation, et lorsqu’il le fait, son attitude révèle qu’il a la maturité nécessaire pour défendre ses droits en justice, sans qu’il soit nécessaire de poser directement la question du discernement.

L’article 388-2 du Code civil modifié par la loi n°93-22 du 8 janvier 1993 (J.O. du 9 janvier 1993, P.495 et suivant) qui édicte un principe général relatif à la représentation en justice des intérêts du mineur, est applicable à toute procédure civile aussi bien que pénale. Il permet donc désormais de nommer un administrateur ad hoc en cas de sévices exercés par le concubin de la mère ou la concubine du père.

Sur ce point, la loi n’apparaît pas suffisamment protectrice des intérêts du mineur, comme le montre une jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation. Elle a, en effet, déclaré irrecevable, faute de désignation d’un administrateur ad hoc, une mineure de quinze ans victime d’un inceste et qui avait choisi de dénoncer les faits en justice.

Il aurait fallu reconnaître au juge la possibilité de désigner lui-même l’administrateur. Toujours est-il que l’application rigoureuse de l’article 87-1 du Code de procédure pénale n’a pas pu garantir les droits de cette personne victime.

On admet ainsi une certaine émancipation du mineur devant l’urgence et les risques de souffrance. De la reconnaissance du droit d’être entendu comme témoin, il convient d’accéder à la reconnaissance du droit d’agir directement en justice, chaque fois que des droits fondamentaux du mineur se trouvent bafoués.

Les palliatifs : les cas de représentation du mineur

La représentation du mineur par l’administrateur légal ou le tuteur

L’article 389-3 du Code civil prévoit que l’administrateur légal représente l’enfant dans les actes que la loi ou l’usage ne l’autorisent pas à accomplir seul. Selon la jurisprudence fait partie des actes d’administration que l’administrateur légal peut faire seul, l’exercice d’une action en justice relative aux droits patrimoniaux du mineur[12] . Cette représentation ne se limite cependant pas aux actes patrimoniaux. En effet, l’administrateur légal peut aussi représenter le mineur dans l ‘exercice de ses droits patrimoniaux. C’est ainsi que l’administrateur est le seul, durant la minorité de l’enfant, à pouvoir agir en justice pour faire respecter le droit de l’enfant à sa vie privée ou son droit à l’image ou son droit au nom.

Par référence à l’article 464 du Code civil, on admet donc que pour les actes patrimoniaux l’un des parents peut agir seul, mais pour les affaires extrapatrimoniales il lui faudra obtenir l’accord de l’autre parent. Lorsque l’enfant est en tutelle, le tuteur représentera l’enfant en justice. Selon l’article 464 du Code civil, le tuteur peut, sans autorisation, introduire en justice une action relative aux droits patrimoniaux du mineur. Il peut de même se désister ou faire des offres aux fins de désistement à peine d’engager sa responsabilité. Le dernier alinéa de l’article 389-4 du Code civil autorise un donateur ou un légataire à désigner un administrateur pour les biens donnés ou légués.

Le mineur représenté par un avocat

Dans le procès civil ou pénal, le choix d’un avocat appartient aux personnes qui ont en charge le mineur, en particulier les parents, s’ils ne sont pas auteurs du dommage subi par l’enfant, ou le tuteur ou l’administrateur ad hoc. Cet avocat peut aussi être choisi par le service de l’aide sociale à l’enfance lorsque l’enfant relève de ce service[13]

Dans le procès pénal, si l’enfant ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat choisi par ses parents, le tuteur ou l’administrateur ad hoc, l’article 706-50 du Code de procédure pénale dispose que le juge fait désigner un avocat d’office pour l’enfant. Mais cette désignation n’intervient que s’il y a eu constitution de partie civile. Ceci veut donc dire que si l’administration ad hoc ne se constitue pas partie civile, l’enfant n’a pas d’avocat. Il serait pourtant intéressant que la défense judiciaire de l’enfant soit, en tout état de cause, assurée par un membre du barreau. Institution prétorienne, l’administrateur ad hoc est entré dans le Code civil en 1910 avec l’article 389 alinéa 3 du Code civil. Sa désignation était alors soumise à l’appréciation, par le juge des tutelles, d’une opposition d’intérêts entre l’enfant et son administrateur légal, à l’initiative de ce dernier.

Il s’agit de confier à l’administrateur ad hoc le rôle du subrogé tuteur systématiquement prévu dans le cadre de la tutelle, pour répondre à une difficulté ponctuelle et accomplir, au nom du mineur, un acte patrimonial ou pour représenter l’enfant en justice. Cette disposition ne pouvait garantir la représentation de l’enfant victime d’actes délictueux de la part d’un titulaire de l’autorité parentale. Le législateur a établi en 1989 une seconde hypothèse d’intervention d’un administrateur ad hoc de l’enfant dans l’article 87-1 du Code de procédure pénale qui permet désormais au juge d’instruction ou à la juridiction de jugement de procéder à la nomination d’un administrateur ad hoc pour exercer au nom de l’enfant les droits reconnus à la partie civile.

Cette loi spéciale dérogeant à la règle générale, le juge d’instruction n’a pas à rechercher l’existence d’une opposition d’intérêts entre l’enfant et son représentant légal. De manière générale, la nomination de l’administrateur ad hoc répondait, avant 1993, à des conditions restrictives et se trouvait soumise à la volonté du titulaire de l’autorité parentale ou à celle du magistrat, en entraînant fréquemment une carence de la représentation du mineur[14] . Cependant la préoccupation contemporaine de donner la parole à l’enfant, d’assurer sa représentation en justice, a relancé la mode de l’administrateur ad hoc. Ainsi le Conseil d’État, dans son rapport du 18 mai 1989 sur « l’audition et la défense de l’enfant en justice » suggérait « de renforcer l’institution de l’administration ad hoc »[15] .

Références

  1. HAUSER, Jean, « Droits de l'enfant, état des lieux », Journal du droit des jeunes, 2001/8, N° 208, p. 13-19.
  2. HAUSER, Jean RTD, 1996 p.140, n°14
  3. KROSS, Jean Claude « L’audition de l’enfant et la loi du 8 janvier 1993 », Gaz. Pal. 1994, doct., p.680
  4. Dictionnaire historique de la langue française, dir. Alain REY, v° Discerner.
  5. Dictionnaire de la langue française LE ROBERT, v° discernement ; Dictionnaire de la langue française LITTRÉ, Tome 3 2000, v° discernement.
  6. Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. REY, éd. Dictionnaire LE ROBERT, Paris, 1992, v° Mineur.
  7. Le mot mineur est apparu en 1437, l’adjectif n’est apparu qu’en 1467 : Dictionnaire historique de la langue française, dir., A. REY, éd. Dictionnaire LE ROBERT, Paris, 1992, v° Mineur.
  8. Art 1 er de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), Statut et protection de l’enfant, Rapport adopté par la section du rapport et des études en mai 1990.
  9. Rubellin-Devichi, op. cit. P. 63.
  10. Cass. 2 e civ. 25 mai 1993, D.1993, inf. rap. p. 163
  11. M. J.-L. gebler, Regards éthiques sur les droits de l’enfant : D. 1993, chron. p.119.
  12. Cl. Neirinck, De Charybde en Scylla, l’administrateur ad hoc du mineur : JCP 1991, éd. G, I, 3496.
  13. Renucci, l’efficacité de l’audition des parents et du mineur dans une procédure d’assistance éducative, D. 1987, chron. p.19.
  14. D. Cacheux, Rapport n° 2602, Doc. A.N. 1991, 1992, p.21.
  15. Conseil d’État, rapport du 18 mai 1989, p. 20.