Les nouvelles prescriptions en matière civile et pénale (fr)

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Auteur: Cabinet Barbier, Avocats
Date : Avril 2018



« Les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme » écrivait Marcel Proust. Encore moins pour un juriste. La prescription est une illustration du temps ayant des conséquences juridiques. Elle désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice, civile ou pénale, n'est plus recevable.

En matière civile, l'ancien article 2219 du code civil définissait la prescription comme le « moyen d'acquérir ou de se libérer, par l'écoulement d'un certain délai et sous les conditions déterminées par la loi ». Ici, la prescription est respectivement dite acquisitive ou extinctive.

En matière pénale, la prescription est définie comme l'extinction du droit de poursuivre l'auteur d'une infraction après l'écoulement d'un certain délai, ainsi que l'extinction des conséquences substantielles du procès. La distinction est ici faite entre la prescription de l'action publique et la prescription de la peine.

L'existence d'une telle institution fait encore aujourd'hui l'objet de vifs débats doctriniens, et ce, depuis bien longtemps déjà. Si, pour certains, l'injustice née de l'impunité d'un tel malfaiteur serait un mal aussi fort pour la société que le méfait lui-même et l'inciterait à recommencer, pour d'autres, l'auteur d'une infraction serait déjà suffisamment puni par « une vie dans l'angoisse » liée à la possibilité de poursuites. Vivant dans l'attente d'un possible châtiment, le délinquant est déjà sanctionné et rien ne servirait de punir une seconde fois.

La majorité de la doctrine s'accordait toutefois sur la nécessité de réformes face à la complexité du système de prescription en France.

La prescription en matière civile

La réforme de la prescription en matière civile a été opérée par la loi du 17 juin 2008, publiée le 19 juin 2008. Elle réduit considérablement les délais de prescription sans modifier les délais spéciaux pouvant exister en recomposant les articles 2219 à 2283 du code civil.

En matière civile, deux types de prescription sont à distinguer :

La prescription acquisitive, qui est définie comme « un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi » (article 2258 C.civ.).

La prescription extinctive, définie elle comme « un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps » (article 2219 C.civ.).

Jusqu'à la réforme, la prescription civile était dite « trentenaire », désormais, l'article 2224 dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

Si le législateur a considérablement réduit le délai de prescription de droit commun, les délais spéciaux , qui peuvent être plus courts ou plus longs, continuent de subsister.

• Les actions d'injure ou diffamation se prescrivent par trois mois à compter de la publication des propos litigieux.

• La provocation à la haine, la discrimination sont des actions soumises à un délai de prescription de 1 an.

• Toutes les actions dérivant d'un contrat de bail sont prescrites au-delà de trois ans.

• La prescription acquisitive d'un droit de propriété immobilière est de 30 ans ou de 10 ans en cas d'acquisition de bonne foi.

• Le délai de péremption du droit patrimonial au sujet des droits d'auteur est de 50 ans.

• Enfin, le droit moral sur une oeuvre de l'esprit est imprescriptible.

Le délai de 5 ans instauré par la réforme s'applique toutes les fois qu'un délai spécial ne pourra être invoqué.

Concernant le point de départ du délai, la loi énonce que le délai de prescription court à partir du jour « où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (article 2224 du Code Civil).

• En cas de violences, le délai commence à partir du jour où la violence a cessé.

• En cas de dol ou d'erreur, le délai commence à partir du jour où le vice a été découvert.

En tout état de cause, le Code civil prévoit, en son article 2232, un délai butoir de vingt ans.

La réforme énonce également désormais avec clarté les notions et causes d'interruption ou de suspension du délai.

L'article 2230 du Code Civil dispose : « La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru ». La suspension du délai de prescription peut être le fait d'un recours à la médiation ou conciliation des parties ou la demande d'une mesure d'instruction.

L'article 2231 dispose quant à lui : « L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ». Ici, l'interruption du délai peut être causée par une demande en justice, même en référé, ou en cas d'acte d'exécution forcée.

Enfin, la loi est d'application immédiate, la cour de Cassation rappelle, de manière constante que « lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf dispositions contraires, du jour de l'entrée en vigueur de loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

La prescription en matière pénale

La réforme de la prescription pénale a été votée le 27 février 2017 à l'initiative des députés Alain Tourret et Georges Fenech, et est entrée en vigueur le 1er mars 2017. D'application immédiate, elle allongera les délais de prescription de l'action publique pour les délais non encore expirés au moment de son entrée en vigueur.

Cette loi a pour but d'adapter les délais de prescription aux justifications de son existence. L'une des nombreuses raisons d'être de la prescription résidait dans les limites propres aux techniques scientifiques de recherche de l'auteur d'une infraction.

En effet, pour certains auteurs, il y a lieu de présumer que les indices du crime se sont peu à peu effacés, que les juges, statuant sur des éléments altérés par le temps n'arriveraient à un jugement qu'en s'appuyant sur des erreurs. L'acquisition de la prescription de l'action publique permettrait ainsi d'éviter l'erreur judiciaire.

Albert Camus écrivait ainsi « le crime impuni, selon les Grecs, infectait la cité. Mais l'innocence condamnée et le crime trop puni, à la longue, ne la souillent pas moins. »

Désormais, la science a évolué, permettant ainsi de limiter le risque d'erreur judiciaire.

Concrètement, la loi n°2017-242 double les délais de prescription de l'action publique en matière criminelle et délictuelle.

• L'action publique pour les crimes se prescrit par 20 ans à compter du jour de la commission de l'infraction (article 7 du code de procédure pénale), et leurs peines par 20 ans également.

• Les délits se prescrivent par 6 ans à compter du jour de la commission de l'infraction (article 8 du code de procédure pénale) et leurs peines par 6 ans.

• Les contraventions se prescrivent par 1 an (article 9 du code de procédure pénale) et leurs peines par trois ans.

La loi conserve l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, ainsi que de leurs peines.

Concernant les délais de prescription spéciaux, les articles 7 à 9 du Code de procédure pénale tels que modifiés par loi établissent quelques principes.

• Certains délits commis sur mineurs se prescrivent soit par 10 ans à compter de la majorité de la victime, c'est le cas, par exemple, en matière de délit de proxénétisme à l'égard d'un mineur, d'incitation à une mutilation sexuelle, soit par 20 ans à compter de la majorité de la victime, en cas notamment d'agression sexuelle sur mineur.

• D'autres délits se prescrivent également par 20 ans, il s'agit, entres autres, des délits de guerre, des délits de terrorisme, des délits de trafic de stupéfiants.

• Les crimes relatifs aux actes de terrorisme, les crimes relatifs au trafic de stupéfiants, ceux relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive, les crimes d'eugénisme et de clonage reproductif, et enfin les crimes de disparition forcée se prescrivent par 30 ans révolus.

Par ailleurs, la réforme consacre une jurisprudence ancienne quant au point de départ de l'action publique en matière d'infractions occultes et dissimulées.

Est considérée comme « occulte » l'infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire et « dissimulée », l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte. Une infraction peut être à la fois occulte et dissimulée.

Le point de départ de sa prescription se situe désormais, selon l'article 9-1 du code de procédure pénale au jour « où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise ».

Concernant l'interruption de la prescription en matière pénale, la nouvelle loi détermine les actes concernés : les actes de poursuites (comparution immédiate, plainte avec constitution de partie civile par exemple), ou d'instruction (jugement, arrêt, procès-verbaux par exemple).

Concernant la suspension de la prescription, le nouvel article 9-3 du Code de procédure pénale énonce tout obstacle de droit prévu par la loi, tout obstacle de fait «insurmontable et assimilable à la force majeure » rendant impossible la mise en mouvement de l'action publique.

Si cette réforme se veut simplificatrice du droit, elle n'a pas tenu compte des querelles doctrinales, et notamment pour les partisans du « droit à l'oubli », il apparait que cette loi est de nature à nuire aux justiciables. Vivre avec le poids de la culpabilité n'est pas chose aisée et ce n'est pas l'acquisition de la prescription qui viendra soulager les consciences.