Licenciement d’un lanceur d’alerte et compétence du juge des référés

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Février 2023


Le Juge des référés est compétent pour statuer sur la réparation d'un trouble manifestement illicite

Lanceur d’alerte : une position courageuse mais risquée

La vertu ne compte manifestement pas parmi les principales qualités requises, et moins encore récompensées, en entreprise.

Cette affirmation se vérifie notamment dans les décisions relatives aux lanceurs d’alerte [2] dénonçant des faits délictuels commis par l’employeur, qui se suivent et se ressemblent sur ce point.

Le salarié qui a le courage de se livrer à cette dénonciation le paie souvent cher, au prix d’un licenciement.

On observe au demeurant que si les grandes entreprises, et la plupart des groupes internationaux, ont mis en place des « comités d’éthique » dans le but de moraliser la vie des affaires en leur sein et de satisfaire aux exigences légales, leur rôle se réduit trop fréquemment à une officine prompte à embrasser les thèses de l’employeur sans discernement.

Le salarié injustement licencié n’est pas au bout de ses peines et doit engager un (long) parcours judiciaire avant de voir reconnaitre la nullité de son licenciement !

Tel est l’enseignement qui se dégage de la dernière décision de la chambre sociale de la Cour de cassation sur ce sujet.

Celle-ci met rappelle heureusement que l’office du Juge consiste à rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié.

Les éléments à présenter au Juge par le lanceur d’alerte pour bénéficier d’une protection légale

Le lanceur d’alerte est notamment défini par la loi, dans sa dernière mouture [3], comme une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit.

Afin de lui assurer la protection à laquelle il a droit, et qui peut permettre de l’inciter à agir, il bénéficie, au même titre que tout salarié victime de discrimination, d’un régime probatoire favorable.

Il appartient en effet au lanceur d’alerte de présenter des éléments laissant supposer l’existence de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (articles L 1132-3-3 [4] et L 1121-2 [5] du Code du travail).

Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé.

Étant précisé qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect exigences légales précitées.

Les faits de l’espèce

Une salariée occupant un emploi de responsable du département offres et projets export d’une filiale du groupe Thales saisit le 24 mars 2019 le comité d’éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption, qui mettent en cause l’un de ses anciens collaborateurs ainsi que son employeur.

Le 7 octobre suivant, elle informe en outre le comité d’éthique faire l’objet de harcèlement à la suite de l’alerte qu’elle avait déposée.

Le 20 février 2020, le comité d’éthique conclut à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques.

Moins d’un mois plus tard, le 13 mars 2020, l’employeur la convoque à un entretien préalable lui notifie le 27 mai 2020 son licenciement pour cause réelle et sérieuse.La salariée conteste son licenciement.

Elle soutient que ce sont les personnes visées par l’alerte qui ont initié et mené la procédure de licenciement et que le compte-rendu d’entretien préalable faisait expressément référence au lien entre la dégradation des relations de travail et l’alerte qu’elle avait donnée.

Invoquant un trouble manifestement illicite, elle saisit donc le Juge des référés afin que soit constatée la nullité de son licenciement, intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alerte.

La décision

La Cour d’appel la déboute, considérant que les éléments qu’elle a fournis n’ont pas permis d’établir et de démontrer un lien évident de cause à effet entre l’alerte qu’elle a signalée et son licenciement, et que les représailles n’étaient pas davantage caractérisées.

Sur le plan procédural, elle estime que l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait de la compétence exclusive des juges du fond, et non de celle du Juge des référés, dès lors que la lettre de rupture déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée.

La chambre sociale de la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et censure cette décision.

Elle énonce que le juge des référés avait bien compétence [6] pour se prononcer sur le licenciement.

Les juges d’appel ayant reconnu la qualité de lanceur d’alerte à la salariée il leur appartenait, même en présence d’une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d’un contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte.

Il leur incombait en outre de rechercher, après que la salariée ait présenté des éléments permettant de présumer qu’elle avait signalé une alerte dans le respect des dispositions légales, si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée (Cass. Soc. 1er fév. 2023 n° 21-24271 [7]).

Faute de répondre à ces exigences, et à s’être livré à cet examen, l’arrêt est donc cassé.